24. Retour en France
pour deux mois : le 31 juillet 2004
J'ai quitté
Stépanakert pour Erévan, où la vie se poursuit
comme à son habitude, c'est-à-dire reconstruction
et construction à un rythme accéléré.
Mon ami d' Erévan,
Yeghiazar, m'avait invité à venir à ses
fiançailles avec une demoiselle du nom de Gohar. Voilà
l'occasion de vous raconter comment cela se passe.
Tout d'abord
il est indispensable, ou très préférable,
que chacun ait l'accord des parents respectifs.
Ensuite on organise les fiançailles. Le jeune homme prépare
différents plateaux à offrir à sa dulcinée.
Lui par exemple en a préparé 3 : 2 présentant
des fruits, une boîte de chocolats et une bouteille de
cognac avec un homme et une femme en habits de mariage sculptés,
et un panier de présentation des cadeaux.
Si en France on
offre une bague, la demoiselle ici en reçoit plusieurs,
Presque une à chaque doigt. La demoiselle, elle, offre
une bague qu'elle glissera pendant le repas au doigt de son
futur époux.
Dans un premier temps, la famille du jeune homme se réunit
à la maison autour d'un repas de fête, puis tout
ce monde part demander la jeune fille à sa famille. Donc
direction sa maison.
La famille de la jeune fille attend sur place et une table est
dressée pour réunir tous les membres, cette fois,
environ 50 personnes. Le repas se déroule sur fond musical
avec des toasts portés aux futurs époux, aux familles
respectives, à leurs membres… Car le repas est aussi
l'occasion pour chacun des chefs de famille de présenter
tous les membres de son entourage proche à l'autre famille,
en mettant en avant à chaque fois les qualités
personnelles de chacun. Entre deux toasts, on mange bien sûr,
on danse aussi.
Voilà un
repas fait pour durer des heures.
La famille arménienne
est bien différente de la famille française. Tout
d'abord, les liens familiaux, entre chacun des membres, sont
beaucoup plus forts. La famille est une unité sacrée.
C'est à l' homme de supporter les charges de la famille,
d'où la grande responsabilité que d'assurer un
revenu suffisant et de veiller à la bonne condition matérielle
de chacun des membres.
S'il est le chef
de famille, la femme est la chef de la maison, cela n'a rien
de péjoratif, au moins dans mon idée. Le principe
est que tout ce qui se passe dans les murs de la maison est
sous la responsabilité de la femme. Tout ceci, comme
nous l'avons déjà vu, n'empêche pas la femme
de travailler, ni d'avoir accès aux droits élémentaires,
par exemple, il n'y a rien qui interdit à une femme de
conduire une voiture, ou d'avoir son propre compte bancaire...
L'Arménie compte, comme ailleurs, plusieurs femmes chefs
d' entreprises, et le Karabakh a une femme ministre (de la santé)
et a eu aussi une femme ministre des Affaires Etrangères
(jusqu'en 2002). Mais cela reste l'exception.
Il y a un droit
des femmes qui n'est pas encore aux normes mondiales, c'est
au niveau du congé maternité. L'Arménie
ne respecte pas encore la durée de repos obligatoire
avec préservation du salaire et de l'emploi, les soins
liés à la grossesse gratuits. Je pense que c'est
plus une question financière qu'une volonté flagrante
(comme certains le dénoncent) d'enfreindre la législation
internationale.
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
r.armen@laposte.net
23. Nouvelles de
Shushi : le 29 juillet 2004
Pour ceux qui
ne connaissent pas, il ne s'agit pas d'une femme, mais d'une
ville qui fut en son temps capitale culturelle d'Arménie
et de tout le Caucase, au même titre que Tiflis, alors
qu'Erévan n'était qu'un bourg et que Bakou ne
faisait que commencer à se développer comme ville
pétrolière.
C'était
aux XVIIIeme-XIXeme siècles. Elle fut par exemple la
ville du Caucase où furent publiés les premiers
livres imprimés, dans les années 1820. Shushi
l'Arménienne, c'est une ville de culture, de rayonnement.
Malheureusement, heureusement, pour elle, elle est aussi un
carrefour, ce qui a fait dire à un général
russe : celui qui contrôle le rocher de Shushi (la ville
est assise sur un rocher, cf. plus loin) maîtrise tout
le Karabakh. Les vallées du Karabakh se croisent dans
la vallée de Stépanakert, c'est-à-dire
au pied de Shushi, 500-1000 mètres en contrebas.
Et les Turcs l'ont
enviée et finalement en ont pris possession en la brûlant
et en décimant ses habitants arméniens. Nous sommes
en 1920, le Caucase est soviétisé et le Karabakh
passé sous le contrôle de l'Azerbaidjan sur décision
de Staline.
Et Shushi devint
turque jusqu'en 1992, le 9 mai, le jour de sa libération
par les Forces de Défense de la RHK (République
du Haut-Karabakh) au cours de la guerre de Libération
imposée par l'Azerbaidjan qui refusait de reconnaître
la légitimité par referendum et demandes officielles
aux autorités soviétiques qui avaient reconnu
la normalité des démarches, sans toutefois exprimer
leur soutien aux demandes des Arméniens du Karabakh.
La guerre se solda
comme on le sait par l'émergence d'une République
du Haut-Karabakh indépendante De facto, sortie de toute
vassalité de l'Azerbaidjan.
Shushi est sortie
de la guerre certes libérée, mais dans un état
de démolition générale. C'est la ville
des ruines, comme certains disent. D'autres la disent morte.
D'autres fantôme. C'est peut-être plus juste. La
ville a été si détruite que ne sont venus
y habiter après la guerre, que des réfugiés
d'Azerbaidjan et des désespérés d'Arménie
pour qui cette ville représentait une amélioration
de leurs conditions de vie !!!!!
Parmi les 3200
habitants qui y habitent désormais, on ne trouve qu'une
infime part de spécialistes ou de techniciens. Par exemple,
la mairie ne dispose d'aucun architecte. Ils sont envoyés
de Stépanakert, par le gouvernement. La nouveauté
c'est qu'il semblerait que sa reconstruction ait enfin été
commencée. Depuis 2001, j'y vais chaque année,
mais c'est la première fois que j'ai pu y remarquer des
changements visibles. Shushi est connue pour son histoire, certes,
pour ses monuments, certes encore, mais marque les esprits de
ses visiteurs par sa pauvreté extrême qui est visible
à chaque coin de rue, sur les visages maigres de ses
habitants, l'absence de sourire chez les enfants dont une part
est réduite à mendier quelques drams. Il n'y a
pas de travail à Shushi, d'où le fait que des
10000 Arméniens qui s'y étaient réfugiés
à la fin de la guerre, il n'en reste que 3200.
Mais comme je
vous l'ai écrit, Shushi change désormais à
vue d'oeil.
En un an, plusieurs grands magasins (40-50m2) ont ouvert. Auparavant,
les boutiques se cherchaient, désormais une sorte de
petit centre s'est créé, près de l'Eglise
Ghazantchetsos. L'an dernier, une portion de rue était
en construction, cette année, on la termine et une nouvelle
est commencée. En même temps, des centaines de
mètres de nouvelles canalisations d'eau sont posées
pour alimenter enfin des bâtiments qui attendent un raccordement
depuis plus de 10 ans maintenant. Le gaz alimente à présent
plusieurs rues. Quand on entre dans la ville par Stépanakert
(la ville a deux entrées), on est accueilli par un bâtiment
de 7 étages (8 hark en arménien) en complète
rénovation sur la place centrale. Ce sont les propriétaires
de l'hôtel Shushi, dans la ville, qui financent cette
reconstruction pour en faire un autre hôtel. De fait il
sera le plus grand de tout le Karabakh.
Le gouvernement
aussi y mène ses projets avec l'objectif de faire de
Shushi un centre culturel et touristique. D'où la rénovation
en cours d'une troisième église et d'une des deux
mosquées de la ville (par l'association Chène
de France). Enfin qui dit développement économique
au Karabakh dit repeuplement, et Shushi est au centre de ce
programme.
L'an prochain,
l'Etat va rénover 50 appartements pour les donner à
des réfugiés ou des personnes en situation précaire.
L'Etat a prévu de leur assurer un emploi sur place: dans
une usine de fabrication de tuyaux (pour l'eau et le gaz surtout,
deux grands programmes en cours au Karabakh). Il existe une
usine dans la région d'Askéran, elle a besoin
d'augmenter ses capacités de production, Arkady Ghoukassian,
le président de la République, a demandé
au directeur d'ouvrir à Shushi la succursale pour développer
la ville en y créant de l'emploi.
Je terminerai
par le meilleur, la description de la ville :
La ville est située
sur un rocher, donc à environ 1800 mètres d'altitude.
Il y fait très froid l'hiver et frais l'été.
On peut dire que la ville et son rocher ressemblent à
un @ ou le a correspond à la ville et le cercle autour,
au rocher. Le bas du @ est le nord avec Stépanakert en
bas à 10km par une route en lacets. Le rocher est fermé
dans sa partie supérieure et entouré dans la moitié
supérieure gauche par une haute falaise imposante d'un
kilomètre et demi de long. En continuant de la gauche,
en passant par le bas, la falaise laisse la place à une
pente raide. Par la partie en contrebas de la ville passe la
route qui la contourne. On entre dans la ville par l'une des
deux extrémités de la barre de droite du a. Par
en bas depuis Stépanakert, par en haut en venant d Erévan.
La ville en elle-même est circulaire avec une route qui
en fait le tour. La mairie (partie basse de la ville) se situe
au centre du contour inférieur du a. En tournant autour
de la ville par la droite, on a un quartier avec principalement
des bâtiments, avec un rocher qui grimpe de plus en plus
haut. A l'angle en haut à droite (entrée depuis
Erevan) on a une forêt de pins, de la forme des pins des
Landes, avec un tronc rouge comme nos pins sylvestres (nos pins
de montagnes en France). On longe la falaise entre pâturages
et forêts, une forêt qui se densifie au fur et à
mesure que l'on va vers l'est (à gauche). C'est de ce
côté, entre une épaisse forêt de feuillus
et la place de la mairie que l'on a un quartier pavillonnaire
dont les maisons disparaissent dans le brouillard d'une végétation
des plus riches. Les potagers n'ont quasiment pas besoin d'arrosage,
mais d'un désherbage constant.
La partie pavillonnaire
est totalement habitée et les anciens bâtiments
sont aux ¾ vides. Et quand on visite la ville, ses monuments,
on ne voit que ces bâtiments brûlés mais
toujours debout.
Shushi brulée
(en 1920)
Shushi occupée (1920-1992)
Shushi libérée (9 mai 1992)
Mais Shushi toujours là (2004) !
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
r.armen@laposte.net
22. Visite de Vasguenashen
: le 18 juillet 2004
Je vous avais
dit que je vous emmènerais au bout du monde, nous y allons.
D'abord qu'est-ce
que le bout du monde ? Dans l'esprit de chacun, c'est un endroit
perdu, loin de tout, où l'on ne trouve rien ou presque.
C'est un endroit où la vie ne peut se dérouler
normalement en raison de l'éloignement. Ceci est une
définition au sens figuré. Au sens propre, cela
correspond à un endroit qui se trouve au bout, d'où
l'on ne peut pas continuer. C'est ce que l'on appelle la fin
du monde, son extrémité.
Comme plusieurs
d'entre vous le savent, le Karabakh est toujours en opposition
avec l'Azerbaidjan. Les hostilités sont certes en arrêt
depuis 10 ans à présent, mais il n'en reste pas
moins que les tanks arméniens font face aux tanks azéris,
et que le premier qui s'aventure à vouloir traverser
cette ligne est accueilli comme il se doit, comme un invité
dont on ne raterait pour rien au monde la venue. Dans le meilleur
des cas il est fait prisonnier, au pire il est tué. Cela
arrive de temps de temps, c'est ce que l'on appelle les échanges
de tirs sur la ligne de contact et qui suscitent plus ou moins
d'attention.
Donc j'ai décidé
d'aller visiter un village à la frontière de la
région de Martouni (est du Karabakh), le village de Vasguenashen.
Vasguenashen a la particularité d'être un village
reconstruit récemment, qui compte une cinquantaine de
maisons.
Pour m'y rendre,
je vais à la gare routière de Stepanakert. Il
faut savoir que la quasi totalité des villages du Karabakh
sont reliés par une ligne d'autobus directe ou non avec
Stepanakert. Donc on me dit que pour ce village il y a 3 allers-retours,
mais pas le dimanche et nous sommes dimanche. Que nenni, je
vais y aller quand même en utilisant d'autres lignes.
Donc je prends le premier autobus qui quitte la ville vers l'est.
Allant vers le nord, Martakert, je descends à Aghdam
et commence à marcher vers le sud. Au bout d'un ou deux
kilomètres de marche, une voiture me prend en stop. Je
lui dis que je vais à ce village, le chauffeur me répond
qu'il connaît, qu'il me laissera au carrefour et qu'il
ne me restera que 6 kilomètres à faire à
pied ensuite. Au croisement dit, il me laisse, et je commence
à marcher. Finalement une voiture passe, va pour me mener
à mon village, mais le chauffeur me dit que le village
en face, c'est celui de Bertashen. Vasguenashen, c'est le croisement
précédent!!!! Pour votre information, il n'y a
pas de panneaux au Karabakh et en Arménie, ou seulement
le minimum. Bien que la situation s'améliore.
Autour de Stepanakert,
ils commencent à mettre des panneaux réfléchissants
pour les rendre visibles la nuit, un peu comme en France, sauf
qu'ils sont tous fabriqués à la main avec des
ciseaux. Donc je repars à pied, une voiture me prend
et finalement me laisse au croisement de la route de Vasguenashen.
Du croisement au village, il faut compter 8 à 10 kilomètres.
En général cela ne pose aucun problème,
sauf que sous le soleil écrasant de cette fin de matinée
je commençais à avoir un peu soif. La bonne nouvelle
c'est qu'il y avait un ruisseau qui coulait le long de la route.
La mauvaise, c'est qu'il y avait des panneaux vous avertissant
de la présence de mines en dehors de la route. Je n'ai
pas besoin de vous expliquer comment je me suis résolu
à boire un peu plus tard, quand ce ruisseau croisa finalement
la route.
Le Karabakh est
l'une des régions les plus minées au monde, chaque
année, il est rapporté un certain nombre d'accidents.
Une association anglaise, Halo Trust, travaille au déminage,
elle prévoit le déminage complet de tout le Karabakh
d'ici à 5-7 ans. Le point positif, c'est que ce problème
(parmi les plus urgents à régler) a un temps limite.
Ici, dans tous les domaines, il y a des manques, des problèmes,
des difficultés, mais ce que l'on remarque c'est qu ils
sont résolus avec le temps. Pour les mines, je vais vous
rassurer, vous pouvez venir au Karabakh sans aucun risque, toutes
les zones fréquentées par les touristes ou simplement
les zones habitées sont à présent totalement
sécurisées. Restent des territoires comme à
quelques kilomètres de ce village. Les mines, certes
ont une conséquence humaine, mais aussi économique
car ce sont autant de terres qui ne peuvent être cultivées
et où les troupeaux ne peuvent paître. Et les terrains
minés sont souvent les terrains qu'il était difficile
de défendre, comme les plaines.
Le village de
Vasguenashen surprend car toutes ses maisons sont identiques
et blanches. Je vous rappelle qu'on est dans le pays de la pierre.
C'est le gouvernement qui finance sa construction. Les maisons
sont attribuées gratuitement aux familles qui en font
la demande (d'Arménie ou d'ailleurs) et aux jeunes du
village qui se marient. Les maisons deviennent la propriété
de leur bénéficiaire après 10 ans de logement
permanent. En complément, l' Etat attribue un prêt
de 200 000 drams (environ 400 euros) pour permettre à
la famille de s'installer, achat de bétail par exemple
ou de meubles…, prêt à un taux de 0.5% remboursable
sur 20 ans. Les frais de déménagement sont entièrement
pris en charge par l'Etat. Il est aussi attribué, comme
à tout habitant du Karabakh, 0.6 ha de terres par membre
de la famille. Il y a aussi la possibilité de louer des
terres appartenant au village. Les premiers habitants sont arrivés
il y a 4 ans, dont deux personnes de Syrie. Le projet prévoit
la construction d'une localité de 1000 maisons en 10/20
ans. Une école neuve va ouvrir en septembre.
Le village détient
un record dans le Karabakh: celui du nombre de familles très
nombreuses, proportionnellement à sa population. On a
une championne, Tamara avec 11 enfants (le dernier est né
il y a 3 mois), suivie de Seda, 10 enfants (le dernier a 1 mois
et demi) et en troisième position on trouve Anahit, 8
enfants. Le village (50 maisons) compte 150 enfants scolarisés!!
Vous comprendrez mieux que la première demande des villageois,
c'est la construction d'une maternelle.
Vasguenashen n'a
pas de téléphone fixe, seulement le portable,
ne capte pas la télévision du Karabakh, seulement
la télé d'Azerbaidjan, mais l'eau est de première
qualité et en utilisation libre. Le village se situe
en pied de colline où il capte l'eau de source qui descend
directement dans chacune des maisons. L'électricité
vient de la région de Martouni.
Le village vit
de l'agriculture, des champs de blé à perte de
vue, de jardins potagers et d'élevage, dont les productions
sont vendues sur les marchés de Stepanakert, d'où
les 3 allers-retours hebdomadaires.
Mais quand vous
parlez avec Anto, l'un des candidats au poste de maire du village
(élections municipales au Karabakh le 8 août prochain),
ce qui est attendu avec impatience c'est l'ouverture d'une petite
fabrique, de tapis par exemple, ou autre, pour permettre de
développer l'économie du village. La croissance
démographique du village ne pourra être assurée
que si les gens ont de quoi vivre. La jeunesse ne restera que
si elle a du travail.
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
r.armen@laposte.net
21. Stepanakert
- Premiers contacts : le 12 juillet 2004
Le premier contact
physique que l'on a avec le Karabakh, c'est la route. La route
est la seule ouverture du Karabakh (excepté l'hélicoptère,
un peu cher, et en plus c'est sans les paysages d'Arménie
qui défilent). Donc va pour la route! Je dis la route,
au singulier car il n'y en a qu'une, c'est là que le
mot enclave prend tout son sens. Le Karabakh n'est relié
au monde que par une seule route, et encore il a fallu la construire
car celle qu'il y avait était à peu près
impraticable. Cette route, c'est la Route de la Vie construite
par le Fonds Arménien, c'est-à-dire par la diaspora
arménienne, par une partie de vous lecteurs donc. Au
moment de son ouverture, c'était l'une des plus belles
de tout le Caucase. Aujourd'hui, elle est toujours en parfait
état, mais par exemple en Arménie on a à
présent de véritables autoroutes de montagnes,
c'est assez fantastique de voir le travail réalisé
par la fondation Lincy, financée par le milliardaire
américain, Kirk Kirkorian. Et la Route de la Vie est
un véritable bijou. A chaque fois, c'est un pincement
au coeur que de voir le panneau du Fonds qui dit cette route
a été construite par la communauté arménienne,
et de voir la qualité de son entretien assuré
par un arménien de Suisse, Vahé Karapétian.
J'en profite
pour vous dire que les routes au Karabakh se comptent sur les
doigts d'une main, je veux parler des routes carrossées.
Il y a la Route de la Vie donc, et la Route dorsale en fin de
construction, je l'ai constaté moi-même sur le
terrain, les travaux avancent à rythme soutenu, et il
ne reste que quelques tronçons à financer. On
devrait bientôt disposer de plus de 220 km de route aux
standards européens. On peut s'en réjouir, certes,
mais il ne faut pas oublier que si ces 2 routes relient entre
elles et au monde la moitié des localités de la
région, il reste l'autre moitié qui ne dispose
toujours pas de liaisons normalement praticables. Soit dit en
passant, c'est un peu pareil pour l'Arménie quand vous
sortez des routes nationales. Voilà pour le chapitre
des routes, pour approfondir la question, soit vous l'avez déjà
constaté par vous-même, soit ce sera au cours de
votre prochain voyage.
Après la
route, on a Stepanakert, et en soit, cette capitale est aussi
un monument. De la frontière de l'Arménie à
Stepanakert, il faut compter 1 heure 30 de virages à
flanc de montagne. Pour les fragiles du coeur, évitez
de manger avant le départ d'Erevan, on reçoit
des virages pendant 4 heures de routes, la première heure
étant la ligne droite dans la vallée de l'Ararat.
Au cours de ce voyage (d'Arménie à Stepanakert)
vous ne traverserez qu'une seule bourgade, Perdzor, dans le
détroit de Latchine. Pour vous permettre de comprendre
à quoi ressemble Latchine, c'est une ville à flanc
de montagne en reconstruction vitesse très grand V. Rien
que depuis la route, on voit 2-3 grues en action et des dizaines
de chantiers de maisons et de bâtiments en réfection.
Chaque année la reconstruction s'accélère.
C'est à se demander jusqu'où ils iront.
Et puis arrive
ce virage où Stepanakert apparaît en contre-bas,
c'est-à-dire que vous êtes 500 mètres au-dessus
de la ville avec une vue panoramique de première. Alors
vous réfléchissez, et vous vous dites: je viens
de faire 5 heures de routes depuis Erevan et enfin de nouveau
la civilisation, et puis vous réfléchissez autrement
et vous vous dites, c'est cette petite bourgade de 50 000 habitants
qui dérange tant de chancelleries ? Cela en vaut il la
peine ? Cela dépend de quel côté on se place…
Donc on descend la colline par une route des plus sinueuse,
une dizaine de lacets.
Ensuite, enfin,
vous entrez dans Stepanakert. Non pas tout de suite, au premier
rond point (à la française), vous tournez à
droite, vous vous retrouvez sur une voie rapide qui contourne
par l'est au bord de la rivière l'ensemble de la ville.
Cette route a été construite juste après
l'armistice et elle est d'une qualité telle qu'on ne
fait pas mieux en France. Au rond point suivant, vous prenez
à gauche (tout droit et vous êtes à l'autre
extrémité de la ville). Vous voilà en plein
centre ville. Vous remontez l'avenue principale qui grouille
de monde et d'activité (les façades sont en cours
de ravalement sur toute sa longueur), vous êtes arrivé
à la gare routière, elle aussi en reconstruction,
un grand bâtiment de 2 étages.
Bienvenue à
Stepanakert, une ville perdue dans une région perdue
du Caucase, c'est-à-dire à l'autre bout du monde.
Dans mon prochain
message, je vous amène au terminus du Karabakh, dans
un village loin de tout, où vous ne trouvez pas grand'chose
si ce n'est une ferme volonté et détermination
de garder un Karabakh arménien. C'est vrai je ne vous
l'avais pas encore dit, mais jusqu'à preuve du contraire,
le Karabakh est arménien, et semble-t-il l'a toujours
été. C'est vrai qu'on trouve sur place une espèce
rare de gens têtus, bornés, déterminés,
mais d'une élégance sans pareil, là vous
m'excuserez messieurs, mais je pense à nos femmes, ou
plutôt à celles du Karabakh. Des bijoux d'élégance.
Ces derniers
jours, il fait entre pluie et nuage, entre 15 et 20 degrés.
Ne cherchez pas à comprendre, mais 90% de ceux et celles
que vous croiserez dans la rue sont en manches courtes et ne
s'encombrent pas de parapluie. Les femmes, les premières.
Quand je vous
disais qu'ils sont formatés autrement !
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
r.armen@laposte.net
20. Arrivée
à Stepanakert : le 07 juillet 2004
Après un
contre temps et un peu plus d'un mois d'attente active à
Erevan, je suis arrivé à Stepanakert samedi, il
y a 4 jours. Mon déménagement suit son cours,
et mon installation va se préciser dans les jours à
venir. Dans un premier temps j ai été installé
à l'internat de l'Université. L'Etat m'a donné
une chambre le temps que je me trouve un logement personnel.
Désolé
de ne pas vous avoir envoyé de nouvelles depuis Erevan,
mais l'accès à l'ordinateur ne m'était
pas du tout commode. A Stepanakert, les choses sont différentes,
la ville est plus petite (50000 habitants environ), l'ordinateur
est un outil de travail très répandu, et l'Internet
est utilisé par la plupart des jeunes et par une tranche
toujours plus nombreuse de travailleurs.
Stepanakert est
une petite ville à 1000 mètres d'altitude avec
un climat plus clément qu'Erevan, moins chaud l'été
et moins froid l'hiver. C'était aussi une région
plus humide avec une végétation d'un vert étincelant
quand les pentes des montagnes d'Arménie jaunissent l'été.
Stepanakert est tout ce qu'il y a de plus atypique. Ceux qui
s'y sont rendus peuvent en témoigner. On y reviendra.
En attendant, je vous propose de découvrir le Karabakh
avec ce qu 'il a de meilleur, l'humour arménien.
Voici quelques
blagues choisies entendues ici à Erevan et à Goris
:
On est en 1988,
deux peuples commencent à se disputer dans une région
perdue d'URSS.
Il s'agit des Arméniens et des Azéris au Haut
Karabakh.
Gorbatchev, fatigué se couche.
Les années passant, il ne se réveille que 20 ans
plus tard. Etonné qu'on ne l'ait pas réveillé,
il demande qu'on lui passe une carte du monde pour voir les
changements qu'il y a eu.
Quelle n'est pas sa surprise de constater que le monde entier
est désormais unicolore, ou presque.
Il demande ce qui s'est passé.
Et l'un de ses assistants lui répond : " tu te rappelles
la dispute dans le Haut Karabakh ? Eh bien l'Arménie
a finalement conquis le monde ! "
Gorbatchev de demander : " Mais ce point-là dans
le Caucase, cette tache, c'est quoi ? "
- Ah ça ? C'est le Haut Karabakh, elle n'a jamais pu
le prendre !
Un soldat arménien
discute avec son supérieur .
Le chef lui demande : " Soldat, tu es de garde sur la frontière
face à l'Azerbaidjan et deux Turcs se présentent,
un sur ta droite et un sur ta gauche, que fais- tu ?"
- Je prends mon fusil et je tue le Turc à ma droite et
je tue le Turc à ma gauche !
- Bien soldat. Mais dis-moi, si jamais il se présente
10 Turcs, 5 à ta droite et 5 à ta gauche ?
- Je prends mon fusil et je tue les 5 Turcs à ma droite
et je tue les 5 Turcs à ma gauche !
- Bien soldat. Mais dis-moi, si jamais il arrive 50 Turcs, 25
à ta droite et 25 à ta gauche, que fais-tu ?
- Je prends mon fusil et je tue les 25 Turcs à ma droite
et je tue les 25 Turcs à ma gauche !
- Bien soldat. Mais dis-moi, si jamais il se présente
200 Turcs, 100 à ta droite et 100 à ta gauche,
que fais-tu ?
- Monsieur, vous me permettez de vous poser une question ?
- Je vous en prie !
- Je suis tout seul dans l'armée ?
Les francais
ont les Belges, les Arméniens ont les aparantsis (habitants
de la ville d'Aparan en Arménie) et les karabakhtsis
ont les Khounoushinaktsis (habitants de Khounoushinak dans la
région de Martouni au Karabakh (village du ministre des
finances pour le détail du jour).
Donc vous avez
le roi de la région de Sevan (plus grand lac d'Arménie
(et du monde à cette altitude), 25 km de large et 75
km de long) qui entre en guerre avec le roi d'Aparan pour la
possession du lac Sevan.
Ils se font la guerre, mais aucun des deux n'arrive à
vaincre l'autre.
Finalement ils négocient et décident de partager
le lac en deux suivant la ligne médiane.
Le roi de Sevan installe son bateau au bord de la ligne de démarcation
; de son côté, le roi d' Aparan fait de même.
La nuit vient et le roi de Sevan n'arrive pas à trouver
le sommeil en raison d'un bruit énorme.
Il monte sur le pont de son bateau et voit le roi d'Aparan en
train d'utiliser une grosse machine pour prendre l'eau du côté
du roi de Sevan et la reverser de son côté.
Comme vous devez
vous en douter, les Azeris ont bonne réputation au Karabakh.
Pour en témoigner voici un extrait du discours d'Arkady
Ghoukassian, président de la République du Haut
Karabakh, en voyage en France en novembre 2003. Vous saisirez
ainsi la finesse du discours pour présenter son pays
voisin à son auditoire. Ce qui suit est basé sur
des faits réels. Je préfère le préciser
au cas où certains en douteraient :
" Vous savez au temps de la guerre, les Azéris
avaient des avions, mais ils n'avaient pas de pilote, ils ne
savaient pas piloter. Mais comme ils avaient de l'argent, ils
ont payé des mercenaires, principalement d'Ukraine et
de Russie pour piloter leurs avions et bombarder les positions
arméniennes. Au fil de la guerre les Arméniens
se sont équipés en missiles anti-aériens
et puis ils ont commencé à abattre des avions.
Les missions devenant plus dangereuses, les mercenaires demandaient
plus d'argent. Puis ils ont demandé à moins s'approcher
parce que c'était trop dangereux. C'est ainsi que tirant
de plus en plus loin, ils en sont venus à bombarder les
Azeris ! "
Je vous propose
d'en rester là pour aujourd'hui, désormais au
Karabakh, nous allons pouvoir garder un contact plus régulier.
Vous pouvez bien sûr toujours me poser des questions,
je ferai de mon mieux pour vous répondre.
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
r.armen@laposte.net
19. Erevan sort
de terre : le 08 juin 2004
Je sais cela fait
quelques semaines que je n'ai pas écrit, mais je suis
surchargé de travail et je n'ai pas un accès facile
à l'Internet. Un contre temps de dernière minute
ne m'a pas permis d'aller à Stepanakert en mai, je fais
donc une halte à Erevan, jusqu'à fin juin. Quand
je parle de travail, c'est pour beaucoup de l'administratif
pour régler mes histoires de passeport (j'ai demandé
un permis de séjour de 10 ans). Je suis aussi en train
de créer une entreprise avec un ami afin de pouvoir acheter
un terrain, car ma situation de Français m'interdit de
le faire directement ; j ai choisi l'option du terrain car les
prix des appartements sont totalement prohibitifs, cela suit
une augmentation quasi exponentielle. Les terrains restent accessibles,
je construirai une maison quand je pourrai, mais au moins j'ai
réservé mon terrain. Il faut compter 10/15 dollars
le mètre carré, toutes taxes comprises quand on
achète le terrain à la mairie. A un privé,
ce tarif est au moins le triple pour le même terrain !!!
Et la construction
va bon train à Erevan, la capitale de l'Arménie
pour ceux qui l'auraient oublié. Tout le centre est en
reconstruction et désormais les constructions de nouveaux
bâtiments d'habitation débordent du centre ville
et touchent l'ensemble de la ville. C'est impressionnant de
voir toutes ces grues en action. Vous me demanderez s'il y a
une demande suffisante pour autant d'appartements? Je vous répondrai
que les prix n'atteindraient pas les valeurs actuelles s'il
n'y avait pas d'acheteur. Un voisin a acheté 40 000 dollars
700m2 de terrain nu, un autre 70 000 dollars, 500 m2 mais la
maison était déjà construite!!!! Dans le
centre ville, on ne trouve rien en bâtiment neuf à
moins de 1000 dollars le mètre carré.... Les prix
sont tirés à la hausse par la demande des non
résidents, les Arméniens de diasporas mais pas
seulement. C'est ainsi que certains très riches ont acheté
plusieurs des appartements du centre pour les louer aux personnels
des ambassades... De ce fait la population achète à
des tarifs plus abordables, autour du centre, où les
prix augmentent aussi. Cela va peut-être en étonner
certains, mais il y a une demande intérieure. Par exemple
un habitant du centre ville vend cher son appartement et pour
le même prix il achète un terrain et y fait construire
une maison. C'est la mode on pourrait dire. Et puis il y a une
activité économique qui explose aussi. Certains
jeunes peuvent donc se marier et s'installer dans un appartement
avec l'aide de leurs parents, ou par l'obtention d'un prêt
s'ils ont un bon travail (400 dollars par mois). C est ainsi
que les banques sont en train de lancer de nouvelles formules
de prêts immobiliers.
Au niveau des
magasins, on assiste a la même fièvre. Ou que vous
vous baladiez dans Erevan des magasins sont en cours de construction.
Dans le centre d'Erevan, on assiste à une concentration
avec l'ouverture de grands magasins. Au niveau magasin, on peut
dire que les riches jouent à celui qui ouvrira le plus
grand supermarché (au moins quelques centaines de mètres
carrés). L'an dernier, la mode était à
l'ouverture de café, la mairie d'Erevan a mis le holà
et certains ont même été démontés
des espaces verts où ils s'étaient implantés
sans autorisation. Cette année chacun construit son magasin
et achète son appartement ou construit sa maison.
De ce fait, les
magasins de bricolage et de matériel de construction
connaissent leurs beaux jours (et ce n'est pas près de
s'arrêter) tout comme les magasins d'équipement
de la maison, meubles, électroménager...
Désormais,
on voit des villes comme Achtarak, à 20km au nord d'Erevan
connaître une inflation des prix, dans des proportions
moindres, mais quand même. Le terrain que proposait mon
ami à 6500 dollars (cf. mails précédents)
a trouve preneur à 6000, il l'avait acheté 1 700
il y a deux ans. Pour les appartements à Achtarak, c'est
la même chose, désormais il faut compter 7 000
dollars pour un appartement et 20 000 pour une maison.
Pour le Karabakh,
c'est pareil, mais cela se limite à Stepanakert et la
région d'Askeran : à Stepanakert, il faut compter
15 à 30000 dollars la maison et 130 dollars (moyenne)
le mètre carré d'appartement. A Askeran, les prix
sont respectivement de 3 500 la maison en moyenne et 35 dollars
le mètre carré l'appartement.
Je ne me rappelle
plus quel ministre avait déclaré "quand le
bâtiment va, tout va", s'il ne s'est pas trompé
alors l'Arménie a de beaux jours devant elle.
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
r.armen@laposte.net
18. Goris - Revenus
de la population (2) : le 22 mai 2004
Pour réunir
les dollars nécessaires, il y a plusieurs méthodes.
Généralement chacun reçoit de plusieurs
sources. Par exemple, un professeur de plus de 60 ans va recevoir
son salaire de professeur (35 000 drams), une prime d'ancienneté
(10 000 drams, annulée pour les nouveaux anciens) et
une retraite (5 à 10 000 drams). Soit un total de 45
à 50 000 drams (presque 100 dollars). Pour les professeurs,
il y a un complément de revenu quasi général:
les cours particuliers. Il faut compter 10 à 20 000 drams
par mois par élève (2 à 3 fois par semaine,
2 à 3 heures de cours à chaque fois). Et il n'est
pas rare que le professeur fasse cours particulier par groupe
d'élèves (2 à 6 élèves simultanément).
A noter que pour les étudiants, c'est une opportunité
de travail aussi, jusqu'à 10 000 drams par mois.
Ensuite, il y
a ceux qui ont des magasins. Même s'il ne tourne pas suffisamment,
sa seule existence permet en plus de compléments de revenus
(parfois non négligeables) de bénéficier
de prix de magasins, et donc d'une certaine manière de
faire des économies. J'ai rencontré une famille
qui m'expliquait qu'elle vivait avec 50 000 drams par mois,
sans autres revenus. Au cours de la discussion, elle m'a ensuite
expliqué que sa cousine avait un magasin et qu'elle s'y
fournissait gratuitement en quantité voulue.
J'ai oublié
un complément de revenu non négligeable: les jardins.
La population ne les compte pas comme un revenu. et même
s'ils ne vendent pas leurs produits, le jardin permet des économies
de revenus, voire un mieux vivre, par exemple avec la consommation
du lait (non vendu), des oeufs (45 drams l'unité), et
la préparation possible (et effective) de beurre et de
fromage. Toujours dans le domaine agricole, il y a ceux qui
sont originaires de villages (c'est a dire une bonne part de
la population de Goris si l'on prend en compte les parents,
ce qui est le cas). Ceux-là possèdent des champs
(attribués par l'Etat d'Arménie), 0.4 hectare
par personne de la famille (0.6 hectare au Karabakh, densité
moins importante aidant). La famille habitant en ville, elle
ne peut exploiter ces champs, elle les met donc en location,
5 à 6000 drams l'hectare par an (c'est peu), mais elle
est aussi rémunérée en nature sur les récoltes
elles-mêmes (ce sont ces compléments que certains
appellent aussi corruption), du blé par exemple avec
lequel on pourra préparer du lavach (pain libanais).
D'autres choisissent
le cumul d'emplois. Par exemple l'un des rares juristes de la
ville qui exerce pour la mairie, au tribunal, pour l'association
Sakharov (qui s'occupe des réfugiés de la guerre
du Karabakh) et en cumul de tout cela, il est conférencier
à l'Institut. A chaque fois, cela fait un emploi, donc
un salaire. Ensuite, je vous prends l'exemple d'un chauffeur
de taxi qui est généralement taxi, mais à
l'occasion, il vend des citrons de son jardin, et il est l'un
des fournisseurs d'herbes aromatiques de la ville (il va à
Erevan en acheter plusieurs centaines et les revend aux commerçants
à Goris). Sur ce dernier point, ce qui est impressionnant,
c'est de savoir que des produits agricoles sont importés
d'Erevan et ne sont pas produits sur place avec des coûts
de transports bien moindres. Voici le détail de ces dépenses:
il achète chaque botte d'herbe 30 drams à Erevan;
il consomme pour 10 à 15 000 drams d'essence à
chaque aller retour, et revend 100 drams la botte d'herbe qui
se retrouve à 150 drams sur les étalages; pour
1000 bottes achetées, il paye 30 000 drams de fournitures,
15 000 de transport, et obtient 100 000 drams de recettes, soit
un bénéfice de 55 000 drams pour 2 jours de travail,
mais il ne fait qu'1 à 2 aller- retour par mois, et ses
transports varient de 300 à 700 bottes d'herbes; faites
vos calculs). Ce chauffeur a aussi une deuxième maison
à Goris qu'il loue (environ 5 à 10 000 drams par
mois) et ses deux fils travaillent à Erevan, l'un dans
un magasin d informatique.
J'ai plusieurs
exemples de ce type, une personne qui vend à Erevan des
lapins, une autre qui a un magasin non déclaré
dans son appartement!!! (chacun le sait, mais cela reste non
déclaré), comme l'hôtel de Goris, non déclaré
aussi, mais utilisé par tous, y compris par la mairie
pour loger les délégations!!!! Il y en a qui vendent
des fleurs du jardin...
C'est pour cela
que quand je cherche à savoir de quoi vit une personne,
une famille, je pose désormais au moins deux questions:
quel travail faites-vous? et vonts yola gnoum ek (comment vous
vous débrouillez). généralement, la réponse
à la deuxième question est plus intéressante
que celle à la première qui peut être "je
ne travaille pas"! alors qu'à la deuxième
il y a toute une série d'activités lucratives
présentées. Et je dirais que c'est la grande différence
avec la France. En Arménie, le travail déclaré
principal rapporte souvent moins que les activités annexes
ou les autres sources de revenus.
Là où
cela représente une grande meurtrissure pour le pays,
c'est que les impôts ne sont calculés que sur la
base du revenu principal déclaré. Ceci explique
peut-être aussi cela. Et donc, je ne dis pas que c'est
valable pour tous, loin de là, il y a des recettes fiscales
qui se perdent et donc des dépenses possibles pour améliorer
la vie de tous les jours qui se perd. Car en France, théoriquement,
vous devez déclarer tous les types de revenus que vous
recevez. En Arménie, le théoriquement n'existe
même pas. J'ose espérer qu'une fois être
parvenu à un taux de récoltes des impôts
sur les entreprises et les grosses fortunes convenable, c'est
à dire plus de 90% (chiffre presqu atteint aujourd'hui),
l'Etat va réussir à convaincre la population de
l'intérêt qu'elle a à déclarer l'ensemble
de ses revenus. Alors les vrais pauvres apparaîtront plus
clairement, et les moyens riches aussi ce qui augmentera les
recettes fiscales.
A la question
"Travaillez-vous?" quelle signification donner donc
à la réponse "Je ne travaille pas.".
C'est une question de considération du travail. Qu'est
ce qu'un travail ? En Arménie, c'est une occupation quotidienne
qui rapporte un revenu avec une base fixe et qui se pratique
dans le cadre d'une entreprise enregistrée (libérale
ou non) administrativement parlant. Ainsi, travailler dans son
jardin, récolter des fruits et les vendre aux commerçants
est du non travail, par contre, les vendre sur le marché
est du travail. Je suis arrive à cette définition
du travail au cours de mes entretiens, sûrement qu'il
me faut encore y travailler pour mieux la préciser, mais
je ne pense pas m'en être bien approché.
En tous les cas,
à Goris, le revenu principal reste malheureusement le
travail de quelques acres* de terre, et comme chacun le sait,
c est le travail qui rémunère le moins. Comme
dit plus haut, il faut visiter les magasins pour voir se qui
se vend.
On comprendra
mieux pourquoi l'Arménie n'a pas encore ratifié
certains règlements internationaux fondamentaux: sur
le travail des enfants (souvent dans des magasins) ou celui
sur la durée de repos obligatoire des femmes enceintes
qui est de 12 semaines en Arménie au lieu de 14 dans
les normes internationales. Je pense que c'est une question
financière plutôt qu'une non volonté de
ratification. Et le premier qui s'opposerait serait peut- être
le peuple qui pour une bonne part a besoin pour sa vie de tous
les jours du non respect de ces normes. La population arménienne
ne se plaint pas de devoir travailler, elle se plaint de ne
pouvoir travailler autant qu'elle le voudrait.
Pendant ce temps,
cela fait plusieurs articles de journaux déjà
qui paraissent sur le sujet: la reconstruction de Shushi est
un des projets désormais prioritaire. Les changements
sont déjà visibles sur le terrain (nouvelles rues,
bâtiments rénovés, ouverture de magasins,
annonce d'ouverture d'usines dans un proche avenir...). On en
reparlera quand je m'y rendrai.
* l'acre est une
ancienne mesure agraire qui valait 52 ares
A bientôt
du Karabakh,
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
r.armen@laposte.net
17. Goris - Revenus
de la population (1) : le
20 mai 2004
Voilà deux
mail consacrés à un sujet des plus centraux. Qu
ils vous permettent de mieux appréhender la vie au quotidien,
côté revenu familial. Je pense que d'une certaine
manière cet exposé peut s'appliquer plus ou moins
parfaitement à toute l'Arménie aussi juste qu
il pourrait l'être pour Goris.
C'est un sujet
qui concerne toute l'Arménie: comment la population vit
avec un salaire moyen officiel de 50 dollars (25 000 drams).
Réponse : elle ne vit pas.
25 000 drams correspond
à quelque chose près à mon budget mensuel
(20 000). Donc 15 000, c'est à dire 500 drams par jour.
Qu'avons-nous avec 500 drams par jour (ce que je dépense
donc pour m'alimenter): un pain de 600 grammes (180 drams),
150 à 250 grammes de fromage ou de beurre (1100 drams
le kilo pour le fromage et 1700 pour le beurre) (200 drams)
et en gros 200 drams pour les autres dépenses de la vie
quotidienne (bus (50 drams), hygiène...) et pour acheter
des fruits, des pâtes, du chocolat, des bonbons. Autant
dire qu'on n'a accès à rien, c'est pour cela que
je me suis réservé 20 000 drams supplémentaires
pour payer les dépenses non quotidiennes: les allers
retours avec Erevan et les taxis (une à deux fois par
semaine 500 drams), le coiffeur (500 à 700 drams par
coupe), l'achat de petite vaisselle, des cadeaux pour les fêtes,
des fleurs, le téléphone (depuis la poste)...
Et ce n'est qu
avec ces 20 000 supplémentaires que je peux boucler mon
budget. Et je suis tout seul. En fait, une personne seule peut
vivre avec 3 à 5 000 drams par mois en ne mangeant que
des pommes de terre! Par ailleurs, je ne compte pas dans mon
budget mensuel les dépenses vestimentaires et il y a
un certain nombre de dépenses que je n'ai pas: électricité,
eau, femme (en gros 20 000 drams par adulte), enfants (10 000
drams par mois, sans les habits bien sûr) (plus leur scolarisation
(2 a 3 000 drams de plus par mois).
Tout ceci pour
vous montrer qu on ne peut pas vivre avec les 50 dollars officiels
et d'ailleurs que la population ne vit pas avec les salaires
déclarés.
On s'en convaincra
en sachant qu'il est peu de maisons qui n'aient pas une télévision
neuve (au moins 75 000 drams (150 dollars)). Ensuite on s'étonnera
encore dans ces conditions du fait que les étudiants
aient sur eux des sommes d'argent qui permettent d'acheter à
l'improviste des livres présentés pendant les
cours (1000 a 5000 drams) ou tout simplement qu'ils puissent
payer 150 000 drams leur inscription annuelle (300 dollars),
ou de la très fréquente organisation de fêtes
(grands repas à la maison, dans un bar....) ou des perpétuels
allers retours effectués entre Erevan et Goris (environ
100 personnes par jour, soit l'équivalent de 10% de la
population de la ville chaque mois). Et les exemples de ce type
sont très nombreux. Alors comment vivent ils? Comment
boucle-t-on un budget mensuel non pas de 50 dollars comme déclaré
officiellement, mais de 200 à 250 dollars?
Ils yola gnoum.
Chaque famille se débrouille pour réunir les 200
à 250 dollars qui assureront leur subsistance. Car je
ne veux pas vous faire croire qu ils vivent tous très
bien, loin de là, seulement une minorité a un
minimum pour bien vivre, la moyenne vit, et peut-être
20 a 30% connaissent plus ou moins de privations pour assurer
un minimum, c'est-à-dire de ne pas manger que des pommes
de terre et de pouvoir renouveler les vêtements, de pouvoir
payer les factures de téléphone... Et cette dernière
part de la population vit effectivement avec l'équivalent
du revenu moyen, voire souvent moins, mais elle ne correspond
pas à la moyenne nationale. car tout le monde est devenu
débrouillard, tout le monde a dû s'adapter en prenant
un rythme de vie, en s'organisant de telle sorte qu il leur
soit possible de subvenir à leur minimum.
Le niveau de la
population peut être évalué en observant
tout simplement ce qui est vendu dans les magasins, en restant
quelques minutes devant chacun d'eux pour en constater la fréquentation
et donc avoir une idée de qui peut acheter quoi. A Goris,
comme déjà précisé, les magasins
sont des moins développés, mais il y a une très
belle bijouterie (je n'ai jamais vu personne y entrer), il y
a un magasin de meubles qui a une fréquentation régulière
(une à deux personnes par heure), deux trois magasins
de télé petit électroménager. Les
femmes sont généralement bien habillées,
voire très bien habillées, avec une coiffure entretenue...
Je parle pour les habitants de Goris, pas pour les guratsis
(les villageois).
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
r.armen@laposte.net
16. Goris - Economie
: le 17 mai 2004
Goris est une
ville de 30 000 habitants, dans la région du Syunik,
à 230 km au sud d'Erévan, au croisement des routes
reliant Erevan au Karabakh, à l'est, et à l'Iran,
au sud. Il y a une règle qui dit: pour qu'un petit trouve
sa place face aux grands, il doit se spécialiser. Cette
règle est valable pour une ville ou un village, à
l'échelle d'un pays voire simplement d'une région.
Quelles sont les
spécialités des villes du Syunik? Sissian (10
000 hab., 30 km au nord) a des champs en surcapacité
qu'elle loue à la population de Goris, Kapan (40 000
hab. à 60 km au sud) et Kadjaran (20 000 hab. 20km après
Kapan) sont des villes minières (Molybdène), Méghri
et Agarak sont en plus des deux villes frontières avec
l'Iran, avec un business adapté.
Attention ce
n'est pas la cohue que l'on peut imaginer, mais une plate-forme
d'echange et un espace d'étape pour les camions venant
d'Iran (Tabriz est à plusieurs centaines de kilomètres).
Les mines du Syunik
font de l'Arménie un pays qui a sa place dans le monde
pour la production de molybdène.
Et Goris alors?
C'est un carrefour. le Syunik (200 000 hab.) est la porte de
l'Arménie vers l'Iran (60 000 000 hab.) et le Karabakh
(150 000 hab. avec une croissance démographique dynamique(politique
de repeuplement). C'est-à-dire qu il est possible pour
Goris de s'établir comme un marché régional.
Les commerçants pourraient y acheter leurs marchandises
(environ 1000 magasins dans la zone couverte) sans avoir à
remonter jusqu'à Erevan pour faire leurs courses au marché
comme tout le monde.
Le problème,
c'est qu'aujourd'hui, elle n'a pas le visage d'une ville qui
profite d'une position aussi formidable. Quand on dit que Goris
est un gros village (maison, jardin, maison, jardin, jardin,
maison, maison jardin...) cela sous entend aussi son développement
organisé par bien des aspect comme dans un village. On
ne compte à Goris qu'un peu plus de 100 magasins (plus
de 600 à Stépanakert (50 000 hab.) et souvent
plus grands). On n'y trouve qu un seul marché (avec une
partie plein air) d'une rare pauvreté en nombre d'étalages.
Seul l'étage des vêtements est occupé totalement,
le rez-de-chaussée et l'extérieur sont pour ainsi
dire vides (pas plus d'une vingtaine d'étalages en tout!!!!).
95% concernent l'alimentaire et l'habillement. La ville ne compte
pas plus d'une dizaine de cafés, la moitié concentrée
autour de la faculté locale (700 étudiants à
90% du Syunik).
Si Goris a le
potentiel d'un carrefour économique, elle est aussi au
centre d'un patrimoine culturel de premier plan (à l'échelle
de l'Arménie). Combien ont visité Tatev (monastère
du Xeme siècle) mais restent incapables de situer Goris
qu'ils ont traversée? !!! C'est le problème, c'est
une ville transparente. Il y a un musée dans la ville
; après 2 mois et demi j'ai décidé de le
chercher !!
Son patrimoine
touristique: à l'ouest, à 20 km, si on a le célébrissime
monastère de Tatev, on en a un deuxième à
ses pieds, au fonds de la vallée, très facilement
accessible (à 10 minutes à pied du Pont du Diable
(sur la route) mais reste totalement inconnu (je l'ai visité
après 3 semaines de séjour à Tatev en 2001)
et on a les sources d'eau chaude aussi (à droite du Pont
du Diable). Au nord, les alentours de Sissian sont riches des
pierres paléolithiques de Zorakar (1000 ans plus anciennes
que celles de Stonehenge en Angleterre), d'un monastère
en amont d une vallée superbe, les chutes d'eau de Chaki
et des sources d'eau chaude. Au sud, Kapan a un site d'archéologie
et son immense complexe industrialo-minier dont la visite pourrait
être organisée. A 4 heures de route, on a aussi
accès au sud aux paysages iraniens de la région
de Meghri, une Arménie telle qu'elle n'existe que là-bas.
A l'ouest, à
seulement 7 km on a le vieux Goris, un immense village troglodyte
du 7eme siècle, près de Khndzoresque (il n'y en
a que 2 dans tout le Caucase, l'autre est en Géorgie).
Mais aucune pancarte sur la route pour vous le dire!! Ensuite,
à moins d'une heure, on a Latchine, en soi un monument,
et son monastère de Tsitsernavank (totalement rénové
par le chef de la région, Alexandre Agopian, architecte,
ancien membre du comité Karabakh (créé
en 1998 pour libérer le Karabakh par l'action politique).
Et à 2 heures de route, la ville historique et culturelle
du Karabakh, Shushi.
Elle fut en son
temps la 2eme ville du Caucase après Tbilissi, capitale
de la Géorgie, devant Bakou et Erévan non encore
développées au XVIIIeme siècle.
Goris est au centre d'un patrimoine qui lui file entre les doigts.
Je vous donne l'info: personne ne le sait, mais il y a un hôtel
à Goris! totalement inconnu mais bien réel. Je
parle d'une maison d'hôte des plus confortable, avec des
petits déjeuners garnis... Elle est en face de l'école
numéro 6, c'est la maison de M. Mejloumian.
Désormais,
ne traversez plus Goris en vous demandant ce que vous pouvez
y faire. Il y a tout sur place (y compris des restaurants dont
un en face de l'église). Il suffit de demander à
la population. Ce n'est pas parce qu il n'y a pas de panneau
qu'il n'y a rien ; bien au contraire. Et puis il y a ces montagnes.
Uniques, qui méritent à elles seules le détour
!
P.S.: Recette
de cuisine locale (pour les débutants) :
Le Harrissa
Cuisinez la viande d'une poule, rajoutez-y du sel, et laisser
sur le feu jusqu'à ce que la viande baigne dans son jus.
Lavez un kilo de boulghour puis mettez-y dessus la poule avec
le jus. Mettez l'ensemble de nouveau sur le feu et remuez un
peu toutes les deux minutes. Cuisinez jusqu'à ce que
la viande et le boulghour soient bien mélangés
et cuits uniformément. Une fois prêt, goûtez
et au besoin rajoutez du sel.
Recette de cuisine fournie par Arpinée Zeylanian en classe
de 7eme (13/14 ans) de l'école 6 de Goris.
Bon travail,
D'Arménie,
Armen
Huys Havatk yév Sér (espoir, foi et amour).
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