Mon vécu et ma découverte
de l'Artsakh.
Exposé - INALCO le 11 mai
2009
Garbis Nigoghossian
Je
commencerais cet exposé par une phrase du héros national MONTE MELKONIAN
dit «AVO ».
« Si nous perdons l'Artzakh,
nous tournerons la dernière page de l'Histoire de notre peuple ».
J'ai utilisé le mot Artzakh,
car d'après les documents du Vème siècle c'est le nom
historique du Karabagh.
Au XIV ème
siècle la région des plaines est appelée KARABAGH par les envahisseurs
Perses = Jardin noir pour évoquer la couleur noire de la terre
extrêmement fertile.
La région montagneuse où vivaient les arméniens a été nommé NAGORNY
KARABAGH, par les Russes, « Nagorny » signifiant haut en russe, d'où le
Haut Karabagh.
En 1996, nous étions en vacances à la Baule, avec mon épouse.
En regardant la liste des clients de l’Hôtel, nous trouvons un nom
arménien : GHOUKASSIAN.
Dès cet instant nous partons à sa recherche. Le truc c'est de passer
devant des personnes ressemblant à des Arméniens en disant :
« HAY ES » ? sans les regarder, en attendant une réaction.
Après plusieurs tentatives un homme brun, accompagné de son épouse, et de
leur jeune fille, nous dit « AYO ».
Evidemment nous sympathisons et nous ne nous quittons plus durant la
semaine. Il me parlait sans cesse de
l'Artsakh
et je l’écoutais sans trop savoir de quoi il en retournait.
Nous sommes allé voir une exposition sur l'Arménie à Nantes, et il m'a
montré sur une carte où était
l'Artsakh.
C'est là que j'ai su qu'il était le Ministre des Affaires étrangères
depuis 1993 et, qu’il était venu en France, sur les recommandations de
l'UMAF pour calmer la tension nerveuse à laquelle il était exposé pour
les négociations depuis la fin des hostilités.
Et j'ai entendu parler quotidiennement de
l'Artsakh.
Il me racontait les aventures et les actes héroïques de « DRAK », pour «
l’AZADAKROUTIOUN ». Mais en fait, je ne savais rien de
l'Artsakh,
je n'arrivais pas à le situer sur une carte. Etait-ce un pays ? Une
région ?
Nous nous sommes quittés avec la promesse de nous retrouver en
Artsakh.
Nous acceptons avec joie, mais aussi un peu d'inquiétude. Qu'allions nous
trouver ?
1997,
Arkady Ghoukassian est élu Président du pays, succédant à Robert
Kotcharian qui prend la fonction de 1er
Ministre en Arménie sous la présidence de Lévon Der Pétrossian.
1998, nous recevons une invitation pour le baptême de leur fils Dikrane.
Baptême qui est célébrée par BARKEV SERPAZANE et DER OHANNES à Kantzassar
(Mont du Trésor)
dans la magnifique église et monastère du 13ème
siècle : Sourp Ohanou Meguerditch, ce haut lieu de culture et de
résistance arménienne, qui surplombe une vallée verdoyante.
Après 60 ans de silence forcé, il avait été récemment rouvert au culte par
une bénédiction solennelle.
Après la cérémonie religieuse, nous nous sommes retrouvés pour un repas
réunissant les membres de la famille et du gouvernement.
Mon
épouse m'avait fait remarquer une dame pour son allure et sa beauté, et
au cours des multiples « Guenats », elle a pris la parole faisant
l'éloge avec emphase et une élocution digne d’une grande actrice, de la
femme arménienne qui avait participé activement à la guerre.
Captivé par ses paroles, un silence total régnait, les gens buvaient ses
paroles, et dans ce silence mon émotion m'a fait versé quelques larmes.
J'ai su plus tard que c'était la fameuse « JANA », la Jeanne d’Arc de
l'Artsakh,
qui était réellement actrice à Bakou. Elle n’avait pas hésitée à prendre
les armes, et avait eu un rôle déterminant pour convaincre les hommes
caché de peur dans leurs maisons, en sillonnant les villages avec des
hauts parleurs pour les exhorter à prendre les armes (bien souvent des
vieux fusils de chasse) et se battre pour préserver leur famille, leur
terre, leur honneur.
Elle a été Colonel dans l'armée, et aujourd'hui elle est députée au
Parlement et conseillère sociale du Président.
C'est sur place que j’ai découvert le souffle, le sentiment national des
l'Artsakhtsis,
leur enthousiasme de vainqueur, leur fierté d'avoir gagné une guerre.
Pris dans cette ambiance patriotique, nous avons décidé dans notre
euphorie de faire quelque chose pour
l'Artsakh.
Quoi faire ?
Plusieurs projets nous ont été présentés. Rénovation d'une aile de
l'hôpital, un dispensaire, une école.
Après une visite dans les villages les plus isolés, et surtout après avoir
vu dans la province de Martouni, l'école de Chékher, une école datant
des années 30, autant dire une antiquité en très mauvais état (carreaux
cassés durant la guerre remplacé par des cartons ou du bois, poêle au
milieu d’une salle de classe qui aurait dû chauffer l’école, des seaux
au milieu pour recueillir l'eau qui dégoulinait du toit , le sol
laissant apparaître la terre) , nous avons décidé d'y construire une
école dédiée à mes parents.
2000, débuts des travaux. Plusieurs voyage pour les surveiller.
Détails amenés pour la réalisation (tuyaux d'évacuation des eaux de pluie
encastrés dans un trottoir au lieu de voir des tuyaux apparents qui
évacuaient l'eau au milieu de la chaussée, inclinaison du seuil de
fenêtres recouverte de zinc avec goutte d'eau, plinthes etc …).
2001, inauguration officielle de l'Ecole Nigoghos et Herminé Nigoghossian.
Bénédiction solennelle avec l’eau, le sel et le pain par
Barkev
Serpazan, discours, poème très émouvant écrit et récité par un élève,
Erik, chorale des enfants, musiques et danses.
Je pense qu'il n’y a jamais eu autant de monde dans ce village.
Pour cette occasion j'avais préparé un discours que je devais prononcer
devant les portraits de mes parents gravés sur la façade. Mais j'avais
présumé de mes émotions et j'ai commencé à pleurer, et le Président à
dit qu’il prendrait la parole à ma place car il savait ce que je voulais
dire, entre autre que je prenais en charges les frais d'études à
l'Université de Stépanakert des 3 meilleurs élèves.
Voulant porter quand même un « guenatz » j'ai pris le verre d'eau bénite,
mais je me suis fait reprendre par Monseigneur Barkev, que cela ne se
faisait pas avec l'eau bénite. Avis à ceux qui ne le savent pas.
Un petit détail qui est assez typique. Le directeur de l’école, Hamlet,
m'avait demandé durant les travaux de fournir les bureaux, chaises,
tableaux, mobiliers etc. J'ai volontiers accepté. On ne pouvait laisser
une école flambant neuve avec un équipement vieux de 50 ans.
Et le jour de l'inauguration dans un pays où le bois et les artisans ne
manquent pas, les bureaux étaient fait en aggloméré, recouverts d'un
vinyle imitant le bois.
Alors j’ai ouvert une fenêtre du premier étage ; et j'ai pris un bureau
pour le jeter dehors. Le Pst est intervenu me demandant ce que je
voulais faire. - J’ai répondu que je n’avais pas versé l'argent pour des
imitations de bois, et que je les jetais pour les brûler.
On m'a expliqué alors que c’était provisoire pour l'inauguration.
Moi je pense que sans ma réaction les bureaux seraient encore là, pour un
provisoire qui durerait.
Évidemment aujourd’hui les mobiliers sont très bien réalisés en bois
massif.
Grand Khorovadz avec les personnalités, auxquels j'ai demandé la présence
des gens du village qui désiraient y participer.
Après le spirituel, le matériel. Après les larmes, le rire.
Le « touti ori », les discours, les émotions, mais aussi la fête.
Un village allait revivre, les enfants allaient fréquenter une école digne
de ce nom. Les yeux brillants des enfants arméniens reconnaissant et
fiers d'avoir enfin une vraie école ont été mon salaire et ma joie.
Aujourd’hui l'école compte 120 élèves, et une quinzaine d'enfants dans la
maternelle que j'ai demandé d'ouvrir, dans la salle qui devait servir,
comme il est de coutume au Karabagh, à l'apprentissage des jeunes au
maniement d'armes. N’oublions pas que nous sommes toujours dans une
période de ni guerre, mais ni paix.
Mais il n'est pas question d'oublier les jeunes soldats de Chekher morts
pour la patrie.
Nous faisons une halte devant la stèle érigée en leur mémoire. Et en
présence des parents de ces jeunes victimes et des habitants nous posons
des bouquets, et après les prières, et encore les larmes, mais non
seulement les nôtres, mais aussi celles des parents des morts.
Et en discutant avec eux je me suis aperçu que lorsque je parlais « en
arménien, mon arménien », les braves gens me regardaient comme si je
parlais une autre langue. De même quand eux me parlais j’avais du mal à
les saisir. Mais au bout de mon 18ème
voyage je pense que ça s'arrange.
En Arménie on ne dit pas comme en arménien occidental, "INTCH BESS ESS"
mais "VONTS ESS", et la réponse est trés souvent : "VOTCHINTCH NORMAL".
Mais au Karabagh, on demande "OUNTS EUSS" et ils répondent "LOKH
LAVA".....et
pour dire que c'est ainsi qu’il fallait faire : « DUZE DA E ».
Dans la suite de ces différences de vocabulaires, lors d’un appel
téléphonique que je fais régulièrement au Directeur de l’école, il me
demande un « KEMPETER ».
Évidement je ne comprends pas sa demande.
Après moult questions j'arrive à deviner qu'il s’agissait d'un ordinateur.
Évidemment le mot arménien « HAMAGARKITCH » n’était pas arrivé en
Artsakh, par contre le mot anglais « COMPUTER » avait déjà franchit les
frontières.
A quand le dictionnaire arménien –Artsakhartsi ?
Après 2h30 de route cahoteuse, arrivée à Stépanakert, et après la fête on
n’oublie pas les morts, nous sommes aller fleurir le monument aux morts.
Après une prière sous les senteurs de l’encens, j'ai vu arrivé un homme,
de petite taille avec un étui de violon dans les bras. Il s'est dirigé
vers une tombe, je me suis approché pour le saluer, et j'ai remarqué que
la tombe sur laquelle il avait posé l'étui n’était pas fleurie. Je suis
allé prendre un des nombreux bouquets pour fleurir la tombe.
Curieusement il ne m'a adressé aucun mot de sympathie, ni de
remerciement. Il a pris son violon et commencé par jouer de son
instrument le long les nombreuses tombes. des jeunes soldats qui ont
donné leur vie pour la patrie
Je ne comprenais pas son mutisme.
Interpellé par son comportement, j'ai demandé des explications.
On m'a dit que ce musicien venait tous les samedis qu'il fasse beau ou
même sous la pluie et la neige, pour offrir un peu de musique aux jeunes
morts pour alléger la terre qui les recouvrait.
Il disait que n'ayant pu se battre avec les armes, il amenait à sa manière
une contribution au combat.
Et encore larmes et émotion, autant par la beauté de la musique et que par
ce geste profondément symbolique, prouvant que si la guerre n'adoucit
pas les mœurs, que la musique peut y contribuer.
Nous rendons au moins deux fois par an visite, au Directeur, aux
Professeurs, aux élèves, et à nos nombreux amis, car ces rencontres
réjouissent nos cœurs et nous redonnent le courage pour continuer dans
cette voie.
Les négociations actuelles auxquelles doit obligatoirement participer
l'Artsakh,
ne laissent passer aucune information véritable. Mais le Président Bako
Sahakian, le gouvernement ainsi que toute la population qui a souffert
et s’est battue ne veulent pas que leur sacrifice ne soit vain et que
chaque centimètre de terre libérée leur revienne de plein droit.
J’estime pour ma part que notre victoire sur les turcs azéris est la
preuve qu'une nation opprimée même pendant plus de 70 ans, peut vaincre,
si comme l'a dit le poète Yeghiché Tcharents :
« Peuple arménien, ton
unique salut est dans la force qui nous unie ».
Cette victoire je suis sur a
redonnée force, vigueur et fierté aux Arméniens pour continuer à nous
battre pour garder l’Artzakh, pour la reconnaissance du Génocide et pour
la condamnation du négationnisme turc.