Bras de fer Azerbaïdjan, Arménie, Turquie -- 57ème session de la Commission des droits de l'homme, 19 mars-27 avril 2001, Palais des Nations, Genève.
Aline Dedeyan (ONU, Genève, adedeyan@yahoo.com  ) 

Jamais une conférence en matière des droits de l'homme avait pris une telle ampleur et épaisseur laissant entrevoir traçabilité politique, alliances et tendances des États présents. Avec un agenda de vingt uns points, plus sous-points, émaillé de discours au sommet et au niveau ministériel les séances se sont souvent prolongés aux heures tardives de la nuit. Le 30 mars, sur le podium une palette impressionnante de chefs d'États -- Chirac, Kostunica, Kabila, Leuenberger et Kofi Annan. Autres ministres, vice-ministres et  dignitaires d' États membres (53) et Observateurs se succèdent à la tribune. Sont présents des délégations gouvernementales, représentants des agences spécialisées, d'institutions internationales et organisations intergouvernementales, ainsi que bon nombre d'ONG (organisations non-gouvernementales). Discours, droits de réponse, déclarations, rapports des experts et rapporteurs spéciaux sur leurs travaux et investigations dans des pays en crises : Afghanistan, Guinée équatoriale, Myanmar, Congo, Iran, Iraq, Sierra Leone et bien d'autres dans le collimateur et autres préoccupations de la Commission : droit à l'autodétermination, détention arbitraire, disparitions involontaires, exode massif , discrimination raciale, personnes déplacées, torture, abus d'enfants, droits des femmes, SIDA, etc., sans oublier le conflit israélo-palestinien mobilisant à lui seul deux jours de débats ininterrompus. 

Après le discours de Mary Robinson (Haut Commissaire aux droits de l'homme) - priorités de la communauté internationale et  violations des droits de l'homme les plus graves dans le monde, le représentant du Pakistan au nom des États membres de l'Organisation de la Conférence islamique cite une phrase du rapport de l'OIC " l'agression arménienne contre l'Azerbaïdjan et l'isolement inhumain imposé aux Chypriotes turcs " suscitant un premier droit de réponse de la part du représentant de l'Arménie : " ... prétendue agression de l'Arménie contre l'Azerbaïdjan alors qu'aucun document officiel de l'ONU ne permet de qualifier ainsi la situation... ne correspond pas à la réalité ... L'Arménie n'a cessé de participer à tous les efforts pour trouver un règlement pacifique au NK... " suivi de la réplique de l'Azerbaïdjan se référant à la charte de l'ONU et la nécessité d'intégrité territoriale et l'indépendance des États " ... les crimes commis contre l'Azerbaïdjan... l'Arménie a envahi le territoire azéri en violation du droit international et, en 1999, l'adoption par le parlement arménien d'une décision sur l'annexion du territoire du NK qui fait partie intégrante de l'Azerbaïdjan ... sans parler des citoyens azéris pris en otages... " (communiqué de presse 22 mars, matin, point 3 de l'ordre du jour).

Le 22 mars les débats portent sur le point 5 : Question de l'autodétermination et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.  Tigran Samvelian, Premier secrétaire à la Mission, intervient dans l'après-midi. " ... les tentatives de limiter l'application du droit des peuples à une seule fois et uniquement sur ses propres territoires et opposer ce droit au principe de l'intégrité territoriale alors que l'acte de Helsinki estime ces deux principes comme complémentaires... L'Arménie s'est engagée à la pleine application du droit à l'autodétermination du NK par des voies pacifiques... région qui a souffert par la domination coloniale de l'Union soviétique et ensuite l'occupation étrangère de l'Azerbaïdjan et applaudit le courage de certains gouvernements conduisant des référendums et prenant les mesures nécessaires pour assurer sa pleine application sur leur territoire... " La réponse de l'Azerbaïdjan ne se fait pas attendre : " ...le droit à l'autodétermination ne peut en aucun cas justifier l'expansionnisme territorial. L'appui aux activités sécessionnistes est dangereux pour l'ordre juridique international. ... Le respect de l'intégrité territoriale et de non-ingérence est essentiel ...le droit international n'a pas reconnu le droit à la sécession au détriment de la protection de droits de l'homme ... fragmentation des États... les résolutions de l'ONU reconnaissent l'inviolabilité des frontières universellement reconnues de l'Azerbaïdjan ... exigent le retrait des forces arméniennes des zones occupées... "

2 avril, le débat porte sur le point 9 : violations des droits de l'homme et des libertés fondamentales où qu'elles se produisent. Le représentant d'Azerbaïdjan rappelle "...que les forces armées arméniennes continuent d'occuper 20% du territoire de son pays, notamment la région du Nagorno-Karabagh... Afin d'empêcher les personnes déplacées internes (IDP) de revenir dans leurs foyers, l'accord signé le 5 sept 2000 avec le régime " fantoche " de la région occupée du NK -- accord de coopération en vu d'accroître la population de cette région de 300 000 personnes en une décennie. Les personnes disparues citoyens azéris préoccupent le gouvernement ... consultations concernant l'éventuelle présentation d'un projet de résolution sur la persistance de l'occupation de territoires azerbaïdjanais... demandant le soutien des membres de la Commission... ". Deuxième droit de réponse de l'Arménie: "... la déclaration faite cet après-midi par l'Azerbaïdjan est la plus cynique jamais faite par ce pays ... le président de l'Azerbaïdjan lui-même avait reconnu que c'était la milice du Front national azéri qui avait empêché l'exode de la population locale à Khojaly ...avait fait tiré sur elle. La politique du génocide menée par la Turquie contre les Arméniens n'a toujours pas été reconnue ni par la Turquie, ni par l'Azerbaïdjan en dépit des pressions de la communauté internationale... ". Réponse de l'Azerbaïdjan : " ... le représentant d'un pays qui occupe 20% du territoire de son voisin devrait savoir ce qui signifie le respect de ses engagements internationaux. Le conseil de sécurité a demandé le retrait immédiat de ces territoires. Quant au génocide , il ne sert qu'à justifier les pires atrocités commises par l'Arménie... " C'est au  tour de la Turquie d'exercer son droit de réponse : "... les événements mentionnés par le rép. de l'Arménie ne peuvent pas être qualifiés de génocide car il s'agissait d'une guerre civile au milieu d'une guerre mondiale. L'Arménie est un pays agresseur dont le gouvernement est le siège des actes d'assassinats et qu'il devrait porter son attention sur les violations qu'il commet au lieu d'accuser les autres... ". Le bras de fer continue. L'Arménie : "... la déclaration de l'Azerbaïdjan démontre bien le manque de volonté politique et le manque d'esprit constructif pour régler la question du NK. Le moment est venu pour l'Azerbaïdjan et la Turquie de s'excuser de leurs déclarations qui sont un affront aux 1,5 millions d'Arméniens qui ont péri lors du génocide. La Turquie qui viole elle-même les droits de l'homme se pose en défenseur de ses droits... Le cas de Chypre... la Turquie fait également obstacle au règlement de la situation sur l'île... " Azerbaïdjan : "... la déclaration de l'Arménie montre qu'elle n'est pas en mesure de respecter le droit international ... la sécurité de son pays bénéficierait du règlement du différend et elle doit respecter les droits des minorités... ". Turquie : " ...les gouvernements qui occupent les territoires des autres pays et violent les droits fondamentaux de ses citoyens ne devraient pas critiquer les autres pays... " (communiqué de presse 2 avril, après-midi).

Se joint à la délégation arménienne M. Ashot Kotcharian du Ministère des affaires étrangères pendant que l'Azerbaïdjan poursuit sa décision de soumettre une résolution contre l'Arménie sur la situation des droits de l'homme en rapport avec l'occupation continue des territoires de l'Azerbaïdjan. Cas sans précédent qui déstabilise la délégation arménienne non préparée à une telle vindicatif. Tractations intenses avec la délégation azérie et autres pour l'en dissuader. Si Azerbaïdjan ne retire pas sa résolution, l'Arménie soumettra une à son tour l'accusant d'agression contre l'Arménie. Rédaction de projet, recherche de formules et de sponsors, tout projet de résolution proposé par un État observateur devant être parrainé par un État membre avant d'être soumis au Bureau de la Commission.

Sous le point 14 : Groupes et individus particuliers, travailleurs migrants, minorités, exodes massifs et personnes déplacées, autres groupes et personnes vulnérables, alors que ça tonne entre la Chypre et la Turquie, l'Azerbaïdjan se référant au rapport de M. F. Deng " ... il ne fait pas de doute que la politique agressive de l'Arménie envers ses voisins est la cause principale de la catastrophe humanitaire en Azerbaïdjan et dans le sud du Caucase. ... Difficile d'imaginer comment son pays dont 20% du territoire est occupé par l'Arménie pourrait coopérer économiquement avec cette dernière... les États du sud Caucase ont rejoint l'ONU dans les frontières héritées de l'URSS internationalement reconnues. ... Zones frontalières ont souffert des intenses tirs depuis le côté arménien... le problème des personnes déplacées ne peut être résolu que par le retour inconditionnel vers les lieux d'origine et sur la base des 4 résolutions du Conseil de sécurité ... la question des indemnisations ne peut être résolue que dans le cadre des négociations de paix ". (communiqué de presse11 avril, soir/nuit)

Le 12 avril matin A. Kotcharian félicite M. F. Deng , Représentant du Secrétaire général qui présente son rapport E/CN.4/2001/5/Add.3 sur le point 14 (a) dont l'additif 3 : Déplacements de population : le cas de l'Arménie, rend compte de sa visite sur le terrain, de la situation de crise du déplacement interne de population, actions nationale et internationale en Arménie en proposant des recommandations. " ...le sort des personnes déplacées du fait du long conflit entre le N.Karabagh et l'Azerbaïdjan provoquant le déplacement de 72,000 personnes concentrées le long des frontières. ...Le gouvernement arménien a adopté plus de 50 décrets et décisions pour venir en aide aux réfugiés et IDP en Arménie ... En revanche au niveau international l'attention nécessaire ne leur a pas été accordée... une approche régionale étant le meilleur moyen de résoudre les problèmes de façon globale.... Les efforts unilatéraux ne sont pas suffisants pour répondre aux vastes besoins des IDP en Arménie déplacés de force à cause de l'agression, des bombardements et de l'occupation de l'Azerbaïdjan... intensifier les mécanismes des Nations unies ... " (communiqué de presse 12 avril, matin).

Le 17 avril après-midi le Vice-ministre des affaires étrangères de l'Arménie, M. Tatoul Markarian, est l'invité à haut niveau de la Commission. Sa déclaration porte essentiellement sur la nouvelle société arménienne, le choix de la démocratie, de l'état de droit et du respect de la vie et de la dignité humaine... (communiqué de presse du 17 avril, après-midi). 

Quelques jours plus tard, M. Vahram Kazoyan, Département des organisations internationales au Ministère des Affaires étrangères vient renforcer la délégation arménienne qui se prépare à lancer son (ou ses) projet (s) de résolution. A noter que cette année exceptionnellement M. Mario Nalpatian, juriste de l'Argentine, membre de l'A.R.F. Dashnak, ami de longue date du président de la session,  M. Leandro Despouy, imminent expert argentin en droit international, M. Leandro Despouy,  participe activement au lobbying et aux réunions au côté des délégués d'Arménie.  

Conséquences de la rencontre au sommet à Key West ou autres raisons, soulagement général lorsque l'Azerbaïdjan décide enfin de retirer son projet de résolution. L'Arménie fait de même se concentrant sur son projet initial intitulé Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (E/CN.4/2001/L.92) sur le point 17 (a) : Promotion et protection des droits de l'homme : états des pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme. Après un lobbying soutenu, plusieurs tractations et révisions sans pour autant tenir compte de l'amendement des USA de supprimer le paragraphe mentionnant la Convention de 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, ce projet de résolution est adopté par consensus le 25 avril matin. (Communiqué de presse du 25 avril, matin). 

Pratiquement identique aux résolutions précédentes de l'Arménie présentées à cette même tribune, elle figure au chapitre II, section A, du rapport de la Commission comme résolution 2001/66, co-parrainée par l'Angola, l'Argentine, le Bélarus, le Brésil, la Bulgarie, le Burundi, le Cameroun, le Canada, la Chypre (la Grèce s'étant abstenue à cause son adhésion à l'UE), la Colombie, la Côte d'Ivoire, la Croatie, l'Équateur, l'Éthiopie, la Georgie, le Guatemala, l'Israël, le Kenya, le Mexique, le Pérou, le Rwanda et l'Ukraine. Après son adoption les représentants algérien et américain ont exprimé leur position à son sujet. Par ailleurs, l'Arménie a co-parrainé des résolutions sur l'élimination de toute forme d'intolérance religieuse, l'impunité, les personnes déplacées dans leur propre pays, prise d'otages, les institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme.

Trois documents sous forme de lettre adressée au secrétariat de la Commission par le Représentant permanent de l'Azerbaïdjan auprès de l'ONU... ( textes en  annexe seulement en anglais) ont circulé comme documents officiels de la Commission. Le premier, E/CN.4/2001/107, porte sur les violations des droits de l'homme des prisonniers de guerre et otages retenus en Arménie et la région de Nagorno Karbakh d'Azerbaïdjan et commence par : " ... suite à l'agression de la République d'Arménie... " suivi de " ... l'Arménie est le premier pays après la guerre de s'être lancée dans une politique criminelle de 'nettoyage ethnique' et de 'terres brûlées' en ayant détruit et réduit en cendre des populations... qui constitue un crime de génocide contre le peuple de l'Azerbaïdjan ". Rédigé dans la même veine jusqu'à la fini, il fait également allusion aux événements de Khojaly, etc. Le deuxième , E/CN.4/2001/131, contient une Déclaration du Ministre des affaires étrangères de l'Azerbaïdjan accusant " ... la propagande et soutien de la diaspora arménienne, pressions exercées sur des forces anti-turques (qui aurait permis) à la République d'Arménie de réussir a détourner l'opinion publique d'un grand nombre de pays européens et entités internationales suscitant des revendications non fondées et des accusations au sujet du mythe du génocide arménien qui ainsi retrouverait place sur l'agenda politique mondiale... ". Fort d'un remake historique faites de machinations politiques  invraisemblables sur les circonstances du génocide, il condamne, entre autres, la hâte des parlements français, italien et européen à passer des jugements arbitraires, sous pression de..., etc. 

Quant au troisième, E/CN.4/2001/135, il s'agit d'une Déclaration du " Milli Majlis de la République d'Azerbaïdjan " extrêmement préoccupé par l'adoption du Sénat français de la loi sur la reconnaissance du ' soi-disant génocide arménien' en considérant cette démarche du Sénat comme un faux pas pouvant susciter de nouveaux problèmes dans le Caucase ... Les nationalistes arméniens en ont profité en s'appuyant sur l'image de peuple torturé qui aurait tant souffert ... ". Entre autres, le document incrimine l'Arménie des "... atrocités commises ... dans les  régions de Nagorno Karabakh, etc..... ". 

Finalement, après six semaines d'activités politiques intenses, l'Arménie est attribuée un siège de membre de la Commission (mandat de trois ans) aux élections de l'ECOSOC à New York, en occupant  une des places devenue vacante dans le groupe d'États de l'Europe centrale et orientale, juste derrière la Croatie, et en battant l'Azerbaïdjan, candidate perdante comme les États-Unis, à cause de votes insuffisantes!

Note : Les documents cités dans ce reportage peuvent être consultés sur le site du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme www.unhchr.ch/,  57ème session, documents, rapports, lettres, communiqués de presse et plus tard compte rendu des séances (E/CN.4/2001/SR. 1...)