AVEC DES LARMES
4 mai 2011. Un après-midi lumineux.
Une foule d’Arméniens rassemblés devant le Sénat au Palais de
Luxembourg anticipant le vote sur le projet de loi sanctionnant le
négationnisme du génocide arménien. Un moment historique ?
Tombe, enfin, le verdict du non recevoir ! Sur les visages défaits,
des larmes incontrôlables. Colère et indignation venant sceller, une
fois de plus, la mise en abîme du drame arménien - vieux d’un siècle …
Estimée inapte pour délibération au Sénat, la proposition de loi est
rejetée par une écrasante majorité : 196 voix contre 74. Le
président UMP de la Commission des Lois, le sénateur Jean-Jacques
Hyest, la jugeant même néfaste : « l’intervention du juge pénal dans
le jugement de l’histoire … cela pouvant soulever des risques
d’inconstitutionnalité… ».
Pourtant, après six ans de blocage,
cette proposition figurait bel et bien sur l’agenda du Sénat pour y être
entérinée, ultime étape avant son entrée en vigueur. Démarche appuyée,
selon les dires, par Martine Aubry et une majorité du PS, ainsi que les
promesses de Nicholas Sarkozy !
Or, dans le cadre d’un procès – un tribunal international – cette
proposition de loi, même modifiée, aurait servi d’instrument légal, voire
de pièce d’évidence pour éclairer le procureur et le grand public des
actes négationnistes largement ignorés, en freinant, par ailleurs, leur
propagation.
Après les Protocoles insolvables de 2010, que de mieux pour consolider le
négationnisme qu’un non lieu pour ce qui est de la reconnaissance légale
du génocide, réclamant l’établissement des vérités et le droit aux
réparations, repoussée, ainsi, aux calendes grecques.
Ainsi, neutralisés par les lobbies turcs pesant lourds sur l’opinion
publique et les médias, voire même dans l’esprit de certains de nos
compatriotes, c’est la déroute des lobbies arméniens. Retrouveront-ils le
souffle pour renverser l’attitude bi partisane des G-8 et des G-20 ? Tout
effort sur le plan informatif et culturel – pour ne citer que le cas
récent de la suppression des légendes inscrites sur les hatchkars lors de
l’exposition à l’UNESCO – n’ayant pas servi à faire basculer l’opinion en
faveur d’une démystification scientifique des faits.
A la tribune, reliée par antenne à la
salle du Sénat, la jeunesse arménienne de France habillée en blanc,
entourée des élus et représentants des associations arméniennes et des
députés, menée par une jeune femme portant un bandana aux couleurs du
drapeau arménien. Après elle, la foule scande : « Nos droits sont
bafoués, nous voulons la légalité ou l’égalité ? « Citoyen en colère »
« Non, non, non ! Aucune hésitation à la négation ». Les voix
montent et s’intensifient au moment de l’annonce de la décision. « Nous
avons perdu une bataille mais pas la guerre ». Sur les banderoles on
lit: Le négationnisme est un crime… Pour le punir je veux une loi…
Sénat ne cède pas aux pressions… Le négationnisme n’est pas la liberté
d’expression… L’état turc assassin …
Brève présence de Charles Aznavour,
d’Arielle Dombasle, épouse de Bernard-Henri Lévy, et de BHV lui-même,
défenseur infaillible de la cause arménienne, pronostiquant la fin de non
recevoir de la proposition, qualifiant même d’«obscène » le désengagement
et la confusion intellectuelle de certains sénateurs réfractaires au
traitement du négationnisme à une session du Sénat. Le négationnisme,
selon eux, relevant des tribunaux de justice et non pas du Sénat. Avis
partagé par nombre d’historiens se disant contre la proclamation de lois
dites « mémorielles » !
Cependant, selon une autre logique légaliste inspirée par des instruments
internationaux, le génocide étant un crime contre l’humanité, son
négationnisme ne peut être que le prolongement de ce crime … en tenant
compte de la résolution 60/7 de l’Assemblée générale de l’ONU (42e
session, nov. 2005) sur la Mémoire du Holocauste, notamment de ses
dispositifs 3, 4 et 5 : « … rejette tout déni de l’historicité de
l’Holocauste, total ou partiel…»
Au final, le remake d’un scénario « centenaire » entre trois Etats du Sud
Caucase aux frontières communes liés par une histoire macabre ne pouvant
mettre fin à des conflits géopolitiques d’intérêts et de droits par voie
légale. Toute position et stratégie repliées sur le négationnisme et le
refus d’un Karabakh (Artzakh) libre et indépendant. Au-delà des démarches
diplomatiques – bilatérales et OSCE/Groupe de Minsk – comment aboutir à
une solution juste et durable sans s’attaquer aux racines des désaccords
qui perdurent? Sans évoquer les pogroms de Soumgaït, de Baku , de Shoushi
et autres ? Sans faire appel aux dispositifs et aux tribunaux
internationaux sur la question du génocide?
A propos du procès actuel de Ratko Mladic, je cite la Tribune de Genève
(10 juin 2011) : « En 2009, du fait de l’opposition des députés serbes,
un projet de loi visant à pénaliser la négation, la minimisation, la
justification ou l’approbation « de Génocide » ou de « crime contre
l’humanité » n’avait pas été adopté par le Parlement bosniaque… le
Parlement européen a appelé à la reconnaissance du 11 juillet comme
journée du génocide de Srebrenica … »
Aline Dedeyan juilet 2011
adedeyan@yahoo.com |