Fin ou gel  des protocoles  d’octobre 2009 ?

 N’auraient-ils pas  abouti à un cul de sac dépourvu de sens et de réalité,  pré signés mais non ratifiés  par les parties concernées,  alors qu’ils étaient – du moins  certains y croyaient – conçus  pour normaliser les relations arméno turques « sans conditions préalables » – en vue  d’un certain équilibre géopolitique  dans le  Sud Caucase. 

Rédigés dans  un  langage bien en deçà des normes internationales,  au final ils  n’auraient servi que de catalyseurs mettant en lumière  des positions antinomiques  et des  objectifs cachés.  Autrement dit, véhiculant  illusion et espoir, double langage et non-dits,  une interprétation et son contraire, esclandre et stupéfaction.

Pour  l’une des parties  la poursuite du négationnisme : quelle pertinence, sinon impertinence,  de vouloir constituer un Comité d’historiens sur les événements de 1915-18 alors qu’aujourd’hui  qu’il s’agisse de cadre  national ou international,  privé ou  public rares sont ceux  qui nient le génocide en s’y référant (sans toutefois nommer les auteurs)  ; et,  pour l’autre partie, bien que non impliquée dans les Protocoles,   la récupération d’Artzakh,  même par la  force,  brandissant le principe d’intégrité territoriale (en l’occurrence d’applicabilité partiale) en contrevenant au cessez-le feu de 1991  et aux  accords de Madrid. (L’exécution tragique de Manvel Saribekyan se trouvant sur territoire azéri le prouve une fois de plus).  Autrement dit, confirmant  le statut quo ! Le scénario de  gagnant/ perdant  au lieu  de  gagnant/ gagnant.  

Durant les longues rencontres en huis clos en Suisse sous  l’omerta des médias, les négociateurs occidentaux  que savaient-ils au juste?  Par qui et comment avaient-ils été briefés ? Comment expliquer un tel silence sur des faits politiques aussi importants pour la communauté internationale et les Arméniens du monde entier ?  Quant au  gouvernement arménien, pourquoi ne pas avoir sollicité les représentants de la diaspora à se joindre aux pour parlers  au lieu de lui imposer un fait accompli de dernière minute en ne l’avisant qu’après la  conclusion des accords – peu avant  le jour J de  leur signature à Zurich ?  

Et,  s’il  s’agissait d’un accord multiléral, pourquoi ne  se serait-il pas fait sous l’égide de l’ONU et de ses comités politiques  de manière compréhensive,  alors qu’un accord de coopération économique et commercial (même militaire ?) levant le blocus et  libérant  les échanges  sans  but  politique avéré  aurait très bien pu être signé dans un cadre bilatéral.

Et que dire lorsqu’en mai dernier au cours  d’une conférence de presse au Club de la presse suisse, les intervenants suisses  tout en compatissant aux souffrances d’un peuple génocidé, n’ont fait aucune référence  aux clauses de réparation – à commencer par la  reconnaissance – en ne tenant compte que du principe Joinet  d’impunité,  et non pas de celui de Guissé, du précédent ?  S’agissant, pourtant, d’instruments d’importance égale en matière  des droits  de  l’homme et des peuples et des  crimes contre l’humanité ?   

Récemment la  Turquie - assurant la présidence tournante du Conseil de sécurité – a   soulevé  des doutes sur  son  statut d’allié sûr au Proche et Moyen Orient avec ses propositions d’enrichissement d’uranium  en  Iran, ses rapports avec Israël et le  Hamas, les incidents de la  flottille Mavi Marmara  à destination de  Gaza ayant fait  neuf  victimes  (aujourd’hui les  rapports de missions internationales d’investigation condamnent principalement  Israël de violation  du droit international et du droit international humanitaire sans mentionner le contenu des biens humanitaires transportés, voir A/HCR/15/21),  les  mouvements Kurdes du Kurdistan au  nord de  l’Iraq.  Quant  à son   premier ministre, Davutoglu  qui,  jusqu’à présent,   avait réussi à convaincre ses partenaires occidentaux,  son double profil  sème également le doute. Et, aujourd’hui, comment aboutiront les  débats sur son adhésion très controversée à l’UE ?    

Le 6 mai  2010 M.  Arman  Kirakossian, le Ministre adjoint des affaires étrangères de l’Arménie, en  présence de Ch. Aznavour, Ambassadeur,  et  une délégation de onze personnes, dont différents chefs de départements  ministériels,  présentait le rapport de l’Arménie  au Groupe de travail sur l’Examen périodique universel (UPR) du Conseil des droits de l’homme.   Les  paragraphes. 21-25 du rapport (A/HCR/G.6/8/ARM/1) portaient  sur les principes d’autodétermination et les droits fondamentaux du peuple du Nagorno Karabakh en ce qui concerne son  indépendance, le  blocus contre l’Arménie  et le  NK, compromettant gravement l’exercice  du  droit au développement et les autres droits  politiques, civils et socio-économiques. Les paras 19-20 citaient les résolutions proposées par l’Arménie de 1998  à 2001 sur la Convention du génocide toutes adoptées par le Commission des droits de l’homme. Quant au reste du  rapport, il faisait état des   nouvelles législations en matière de santé,  sécurité sociale,  travail, libertés individuelles et sociales, justice, drogue, famille, statut des femmes et des enfants,  éducation,  minorités ethniques  et autres,  en vertu  des obligations internationales de l’Arménie.

Les délégations de l’Azerbaïdjan et de la Turquie étaient les premières à réagir au contenu du  rapport  par des déclarations, des recommandations et des  droits de réponse musclés. D’une part condamnant l’Arménie pour agression, violation  des droits de l’homme, des réfugiés,  personnes déplacées  et, de biens culturels,  de l’autre, l’accusant de porter atteinte à la primauté du droit et à la Convention.  « La notion  d’une définition juridique claire des actes constituant le génocide  ne devrait être utilisée que dans son contexte juridique » (para. 32 dans A/HRC/15/9). Au final, blâmant l’Arménie de vouloir politiser le Conseil, le politisant eux-mêmes.

Le  22 septembre, à la 15e session du Conseil, le  Groupe de travail sur les UPR a adopté le rapport sur l’Arménie (A/HRC/15/9 et Add.1).  Dans le para. 8,  je cite -  « la reconnaissance du génocide arménien par la communauté internationale, … la suprématie de la justice  et du droit international … d’éviter que de tels crimes ne se reproduisent en écartant tout risque d’impunité… ». Idem.  para. 9  « le droit des peuples à l’autodétermination comme un droit de l’homme fondamental … ».

A nouveau  l’Arménie est accusée  de ne pas respecter  les conventions de l’ONU, les droits des personnes disparues ou déplacées des territoires affectés, des réfugiés et des  nationaux azéris en Arménie avec des  droits de réponse  exprimant clairement l’hostilité de la délégation  de l’Azerbaïdjan. A rappeler qu’en juin 2010 à la 64e session de l’Assemblée générale, cette dernière   a soumis une nouvelle résolution  sur le Haut Karabakh.  

Si  l’Arménie persiste à faire valoir ses droits politiques et culturels, après tant  de médiation rien ne semble avoir changé  dans les positions et réclamations de ses deux voisins  sur les scènes  politiques internationales.     

Pourtant, aujourd’hui, la recherche de la vérité, autre point sur  l’agenda du Conseil, et  la primauté du droit contre toute forme de négationnisme et de déni  semble  être à portée de main. Exemples récents : la condamnation par la Cour pénale internationale (CPI) d’El-Bachir,  président soudanais accusé  de génocide, les procès de Milosevic, de R. Karadzic par le Tribunal international pour l’Ex-Yougoslavie, nombre d’autres  tribunaux ad hoc  crées par l’ONU pour juger les actes de génocide au Cambodge,  Rwanda,  Sierra Leone, Libéria et, récemment,  le Congo démocratique et   autres.

A noter que l’Arménie a signé le  statut de Rome  créant la CPI.   Les  crimes contre l’humanité, dont le génocide,  article 2 du statut,  sont  portés devant des juges internationaux,  dont  l’impartialité serait   le dernier rempart pour l’accès à la vérité et à la justice.

Donc  aux Arméniens de se mobiliser massivement une fois de plus pour, enfin,  constituer une partie civile pan arménienne, dotée de statut juridique, conjointement avec le gouvernement arménien. Ainsi combattre pour la cause arménienne sur l’échiquier mondial de droit,  confiée à des juristes  renommés (ex.  Garzon Baltazar, hélas injustement  poursuivi, Me Vergès et/ou autres jeunes  juristes compétents),  saisissant  du   dossier arménien devant la CIJ (Cour  internationale de justice),  la CPI   ou la Cour européenne de justice,   voire un tribunal ad hoc crée à cette fin,  avec la possibilité d’évoquer un  « cas d’exception » ? En mobilisant également la société civile et  une opinion  publique  constamment manipulée   par   des thèses négationnistes !

Les évidences en notre faveur étant plurielles, vérifiées,  voire  incontournables, il ne manque  qu’une anthologie détaillée et datée  des mouvements négationnistes dès les années 1920.  

Finalement,  comment ne pas réfléchir à  la récente décision de la CIJ, validant par le droit international l’indépendance  très controversée – notamment par la Serbie – du Kosovo ? Cas similaire au NK.    

La création d’une  « République du Haut Karabakh » indépendante  avait été  bien légiférée  par le référendum de 1991,   voté  à 99% en faveur, en vertu des lois de sécession de l’ex-URSS en accord avec les principes de droit international. En outre, le référendum déclencheur des hostilités avait  été validé  par des observateurs internationaux.  Ces faits sont rapportés dans les documents officiels de l’ONU,  dès les années quatre-vingt-dix.  

Trahir  en quelque sorte le  destin arménien comme une   figure de ballet politique aux mains de  ses chorégraphes ? Avoir peur de clamer la vérité ? Temps  de changer de concept et d’agir  sous l’éclairage des temps présents par  un appel commun aux  instances et aux procédures  internationales en engageant  l’ouverture d’un procès.   

Aline Dedeyan – juillet 2010
adedeyan@yahoo.com