Observations sur l’actualité de la cause arménienne

Aline Dedeyan 

1. Comment combattre l’impunité de la Turquie qui perdure et s’intensifie malgré  un  cumul impressionnant d’évidences (preuves) actuellement disponibles et librement consultables,   ne laissant plus aucun doute  sur le génocide des Arméniens au siècle dernier.

 2. A l’abri de toute condamnation, la République turque, état démocratique membre de l’ONU, signataire de  ses traités principaux,  demeure un des rares états niant systématiquement ses responsabilités pour des  crimes à l’encontre de ses minorités – arméniennes et autres – vivant  autrefois  dans l’Empire  turco ottoman.

 3.   En revanche, avec la fondation d’une  République arménienne indépendante et  démocratique (un état nation)  dans le giron du CEI,  membre de l’ONU et de ses agences spécialisées, également signataire de la quasi-totalité des traités internationaux, l’Arménie  jouit des droits et obligations égaux en participant pleinement aux prises des décisions s  au sein de la  communauté internationale.  Ses représentants accrédités,  seuls diplomates et  porte-parole officiels de la nation,  reflètent  le nouveau profil arménien  en  assurent  les rapports de la République avec le monde entier. 

 4.  Quant à la Diaspora, n’ayant plus le statut juridique de minorité (historiquement persécutée),  ni  la  jouissance des droits consacrés aux minorités,  actuellement elle ne représente ni un « état » (souverain, ayant ses territoires, son gouvernement, etc. ), ni les préoccupations des Arméniens de la Diaspora dans les forums internationaux. Non reconnue comme un corps  politique légitime, elle ne peut ni remplacer, ni se substituer au  gouvernement  arménien.

 5.  La diaspora ne représente donc qu’elle-même sous forme de   « lobby»s – groupes  de pression – diverses  associations,  partis politiques ou autres institutions  arméniennes et pan arméniennes à caractère privé et non gouvernemental, à la fois sources d’information et de pouvoir d’influence auprès les politiques, les élus, les historiens,  les intellectuels ainsi que  les médias  d’un grand nombre de pays.   

 6.  Riche et puissante, ayant contribué massivement  au  développement et à  la reconstruction de l’Arménie,  cette  Diaspora  – le  double de la population d’Arménie – se voit néanmoins mise à l’écart  des filières  politico diplomatiques du gouvernement arménien,  ne se reconnaissant ni  dans une  identité  politique « composite »,   ni  comme l’acteur  principal de  la « cause arménienne » sur  l’échiquier international. 

 7.  Or, désormais la  problématique du génocide des Arméniens, se situerait  au niveau des instances internationales. Nombreux mécanismes : cours, tribunaux, traités,  résolutions, organes (conférences, comités, commissions et autres) ayant été crées  à cet effet. Mandatés et habilités à  prévenir, à juger et à sanctionner des  crimes contre l’humanité,  dont le génocide – extermination préméditée  d’un groupe ou, d’une ethnie, basée sur sa différence  d’origine, religieuse et culturelle – seule leur légitimité, réaffirmée  universellement,  viendrait à bout des  litiges entre  auteurs et  victimes d’un crime.  A commencer par l’obligation de reconnaissance par  les  parties concernées.  

 8.   Or,  la Convention  du génocide de 1948,  La Convention de 1968 de l’Assemblée générale de l’ONU confirmant  l’imprescriptibilité  du crime de génocide, ainsi que d’autres textes  juridiques préconisant des mesures préventives et punitives,  exigent  non seulement une  reconnaissance (accountability)  par ses auteurs mais l’obligation de faire réparation  sous ses diverses formes : réconciliation, restitution,  compensation, indemnisation, etc. 

 9.  Outre les reconnaissances officielles/légales – même si  restées symboliques  –  de  plus de 48 Etats,  de  l’ONU (entre autres  les rapporteurs de la  Convention du génocide citant le génocide des Arméniens), du  Parlement européen, du Conseil de l’Europe et d’autres  instances européennes, publiques et gouvernementales,  les interventions à haut niveau des délégations arméniennes à   l’Assemblée générale de l’ONU,  au  Conseil des droits de l’homme  (jusqu’en 2006 la Commission des DH) à la  Sous Commission sur les minorités (prévention et protection,   rattachée au Conseil), à  l’IOM et aux autres forums,  ainsi que les documents –  comptes-rendus,  rapports, lettres, notes, résolutions, décisions conservés dans les archives et les  sites de l’ONU –   constituent des pièces de convictions incontournables.

 10. A cela s’ajoute  des « évidences » de  droit privé,  notamment les  cadastres des propriétés jadis arméniennes dont on trouve les traces auprès des assureurs,  le procès Tehlirian  (portant en justice une personne et non pas un état), des  témoignages directes, y compris ceux des rescapés encore en vie,  archives  et  documentation internationales relayant les  thèses d’historiens et d’experts de réputation mondiale, vidéos,  DVD,   émissions médiatiques et, en prime,  une abondante  littérature en toute langue venant confirmer  la  vérité. Désormais la cause arménienne se répand dans  ses moindres détails historiques et personnels.

 11.  Il serait temps de la dégager de son  contexte « mythique » en la recadrant dans un autre, de nature plutôt juridique. Ainsi, au lieu de se focaliser sur la recherche de «nouvelles  preuves »,  d’envisager de porter celles  existantes devant des  juges  impartiaux et neutres chargés  de les examiner dans le cadre du droit international en vue de porter un jugement définitif sur le génocide des Arméniens. Tout au moins parvenir à faire cesser le   négationnisme  qui  s’obstine  à les vider de leur sens.

 12.  Récemment une résolution condamnant le déni  l’Holocauste vient d’être  adoptée par l’AG.  Une démarche visant l’ouverture d’un procès contre la Turquie  dans le cadre du droit international ne devrait pas être exclue. En prévoyant, aussi bien qu’en statuant,  sur les conséquences des actes de génocide. Une  reconnaissance   qui déboucherait  sur des   dispositifs  juridiques en matière de  compensation, de restitution, etc.,  même si l’application effective de ces dispositifs feraient l’objet  de nouvelles négociations.

 13.   Actuellement  le gouvernement arménien n’est pas en mesure de porter  la Turquie en justice.  Faut-il encore qu’elle y consente !   Le pays est trop fragile et son développement saccadé.  Entre autres,  les blocus prolongés azéri et turc,  liés au déni du génocide et de l’indépendance de jure de Nagorno Karabakh et de son rattachement éventuel à l’Arménie,   pèse sur son image et l’avenir des deux pays nouvellement constitués.   

 14.  Dans ces circonstances que peut faire la Diaspora ?  Est-il possible d’imaginer le  scénario moyennant lequel où un ou  plusieurs autres  Etats  autres que l’Arménie,  se constitueraient en  partie civile  pour tenter un procès contre la Turquie ?   

15.  L’Union européenne, le Conseil de  l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme,  l’OSCE, le Conseil des droits de l’homme, voire un groupe de juristes indépendants, soutenus par des organisations nationales, publiques, gouvernementales et non gouvernementales,  arméniennes ou autres,  peuvent-ils  recourir à  un tel procès ?

 16.  Est-il  également  possible de concevoir un rapprochement avec les formations politiques en Arménie, encourageant l’émergence d’une opposition aux normes démocratiques beaucoup plus avancés – état de droit, justice, égalité,  transparence,  liberté d’opinion et de la presse, suppression de la corruption et  de l’écart  entre  riches  et pauvres –  qui se prêterait davantage  à un  partenariat politique  avec la Diaspora ?   

 Aline Dedeyan, Genève.
1/2008
(adedeyan@yahoo.com
Références : Prof. Alfred de Zayas, auteur et juriste international ; M. Francis Deng, Conseiller spécial  du Secrétaire général de l’ONU  sur la prévention du génocide : partenariat avec la société civile ; Jean-Baptiste Racine,  Professeur de droit privée à l’Université de Nice,  auteur du « Génocide des Arméniens ».