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Pavane pour une démocratie défunte
 
Tandis que s’empêtrait dans l’affaire Clearstream
Notre gouvernement, qui plongeait dans l’abîme,
Le pays tout entier, avec une arrogance
Que nul ne vit jamais en notre histoire de France,
 
D’autres s’accommodaient de voler notre Dream,
Et n’osant pas, de front, affronter nos colères,
Firent durer les débats, s’enliser les discours,
Sans penser un instant aux mânes de nos pères
Qui réclamaient Justice et, qu’au fronton des jours,
 
Nul ne puisse, désormais, nier ce génocide
Perpétré à la face d’une insondable terre
Où des peuples entiers, en guerre fratricide,
Sur un grand continent allaient croiser le fer.
 
Ô peuple d’Arménie, ô souffrances d’enfer,
Toi qui a su tirer ton pain de tant de pierres
Et, depuis tant de siècles, a vu tant de souffrance
Pourquoi tous tes bourreaux n’ont pas de repentance ?
 
Que ce jour soit maudit, terrible vingt quatre avril
Quand de sombres bourreaux, être sauvages et vils
Décidèrent du sort, funeste et misérable,
D’un million et demi d’êtres si vulnérables
 
Que l’on raya d’un trait, ignorant les souffrances,
De ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces vieillards,
Dont le sort fut scellé, et le destin immense
Et que nous chérissons, car ils sont notre part.
 
Combien a-t-il fallu de combats acharnés
Pour qu’enfin, en ce monde, certains te reconnaissent,
Génocide arménien, comme le premier né
D’un siècle de tueries où les hommes se repaissent
 
De folies meurtrières, de grandes hécatombes,
Et notre terre n’est plus qu’un amas de vos tombes.
 
Pour vous, tous nos aïeux, âmes si tendres et pures,
Il ne sera pas dit que nous feront injure
A tous ces ossements gisant, sans sépulture,
 
Dans les déserts infâmes d’un infâme bourreau
Qui cache tous ses crimes sous les plis d’un drapeau.
 
Le monde est ébranlé de la reconnaissance
Et nous fûmes des premiers, en notre terre de France,
A faire reconnaître ce génocide infâme
Et sauver à jamais, et vos corps, et vos âmes.
 
Et voilà que, soudain, en notre République,
Patrie des Droits de l’Homme et des peuples en souffrance,
Se dressent, veules et soudoyés, basse réplique,
Des hommes de peu de foi, êtres dont l’arrogance
 
Fait sursauter les mânes de Lepsius, de Bryce et Morgenthau
En refusant d’inscrire, dans la Loi, l’anathème,
Négationnisme honteux et offense suprême,
Car ils sont morts deux fois, ceux qui sont morts trop tôt.
 
Messieurs les gouvernants, on sait ce qu’il en coûte
De la peau d’un enfant, d’une femme, d’un vieillard,
Vous nous avez, jeudi, enlevés tous nos doutes,
Vous le regretterez, mais il sera trop tard.
 
Le monde doit savoir qu’au pays de Marianne
La peau d’un Arménien rapportée aux contrats
D’une « puissance amie » - c’est le mot dit, ô mannes
de nos ancêtres -, est de dix mille euros.
 
Entendez bien cela : un million et demi d’Arméniens massacrés
Pour quinze milliards d’euros de contrats amassés,
Ce qu’est la vie d’un homme, en notre terre de France
Au troisième millénaire, le prix de la souffrance
 
N’est plus qu’affaire d’euros, affaire de gros sous,
Jaurès, réveilles-toi, ils sont devenus fous.
 
  
Parce qu’il est des choses insupportables,
Il faut, de la souffrance, ne jamais oublier,
Et cette journée là restera une fable,
Qu’à mes petits enfants, je saurai rappeler.
 
Mais nous sommes construits de cette terre ingrate
Qui fait qu’avec le temps toute peau se durcit
Nous vaincrons cette bande, triste et scélérate,
Comme nous l’avons fait en d’autres temps aussi.
 

Daniel Rollier
qui a épousé l’Arménie et sa cause en 1964
Corbas, le 18 mai 2006