Arménie, Diaspora et Karabakh - “A Joint Venture”
Aline Dedeyan 

En tenant compte des réalités arméniennes d’aujourd’hui si différentes de celles qui ont dominé le siècle passé –  à savoir la  fondation de deux Etats arméniens démocratiques:  l’Arménie, indépendante depuis 1991, entrée dans la communauté internationale et  le Karabakh (Artzakh), auto-proclamé, luttant pour son indépendance  avec, en arrière plan,  une  diaspora étoffée  de nouvelles  générations ayant une  toute autre vision  du monde et de leur arménité –   la cause arménienne n’aurait  de sens que dans l’émergence d’une nouvelle conscience pan-arménienne et  la volonté  politique d’y ajuster  son regard, ses réflexions et ses actes.

Découlant de la conférence de Bruxelles en avril 2000,  le président  Robert Kotcharian  a fait cette même constatation au cours de son discours inaugural au Congrès arménien de septembre 99  à  Erevan.  Les propositions de M. R. Indjikian de créer de Conseils communaux dans toute la diaspora  en vue d’une future Assemblée mondiale arménienne (article dans Artzakank, sept-oct. 99) en font également écho. Ces tentatives visent un même objectif :  partenariat et  synergie entre les trois pôles arméniens basés sur l’action concertée et la  participation de tout et chacun.

Actions  politiques

1.   a) Appel et recours aux médias partout dans le monde en vue d’actualiser et de diffuser largement des informations sur le Karabakh, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et toute la région s’adressant aussi bien à un public spécialisé  (diplomates, politiciens, historiens, experts, etc.) qu’au grand public;  b) engagement et contribution directe au  développement de l’Arménie et du Karabakh par la coopération et le partenariat: i) arrêter l’exode et contribuer au  repeuplement,  ii) promouvoir la production et les  l’investissements locaux,  l’industrie et  le commerce,   iii) créer sur place des petites et moyennes entreprises, améliorer les routes et transports  en accélérant le  transfert des  connaissances scientifiques et techniques,   iv)  prévoir des progrès dans le domaine social: lutte contre la corruption, application de la primauté du droit et des droits de l’homme en général dans le pays;   c) accroître  la crédibilité  des deux républiques au sein des la communauté des nations en  améliorant et en  renforçant les représentations officielles  arméniennes aux instances nationales et internationales;  et   e) resserrer la collaboration  avec des associations diasporiques  politiquement actives telles que le  Armenian National Assembly (ONG),   ANCA,  Zoryan Institute et autres.

1.1   Pour atteindre ces objectifs la diaspora   devrait se mobiliser afin:  a) d’établir –  et dans le cas où ils existent déjà –   renforcer les lobbies dans chaque Etat où il y a une forte diaspora arménienne  bien intégrée à la vie civile;  b) d’entreprendre et de   poursuivre, selon le cas,  le  “lobbying” auprès des élus locaux et gouvernementaux  (sénat, parlement, collectivités régionales, mairies et autres) ainsi qu’auprès des délégués/représentants aux réunions internationales et intergouvernementales  (ONU, ses agences spécialisées, UE, Conseil de l’Europe, OSCE, etc.)  en avançant des informations fiables et une solide  bibliographie  sur le génocide ainsi que l’histoire et la situation actuelle du Karabakh;   c) de lancer des campagnes d’information, voire de “négociation”  en invoquant  les  principes  de droit international figurant dans les Pactes, la Charte, La Déclaration universelle et dans  d’autres instruments des droits de l’homme  de l’ONU (cf.: droit à la vie, au développement, à l’autodétermination)  en évitant les pièges de “nation-victime”, de revendication  unilatérale,  d’“appel aux sentiments”;  et   d) de travailler conjointement  en consultation  permanente avec le gouvernement d’Arménie -  seul interlocuteur internationalement  reconnu de la nation -  et celui du Karabakh.

Karabakh et le génocide

2.  Etre conscient et vigilant quant à l’impact  de l’indépendance du  Karabakh sur  le démantèlement des thèses négationnistes  turques.  Dans la mesure où si cette enclave arménienne –  même  dans un contexte géopolitique d’Etats communs –   parvient à se doter du statut d’autodétermination, la question du génocide  peut  être  révoquée par le gouvernement arménien dans le cadre des  instances internationales spécialisées  avec la certitude d’obtenir sa reconnaissance mondiale   et sans équivoque.  Plus tard, en envisageant même une suite à cette reconnaissance.  D’où la priorité  de faire aboutir les négociations  bilatérales et multilatérales (Groupe de Minsk  de l’OSCE) sur l’indépendance du  Karabakh faisant appel   à des diplomates, politologues,  juristes,  historiens et   autres experts chevronnés de la diaspora,  en qualité de négociateur direct, de consultant, de conseiller  ou autre,  participant à part entière  aux  réunions au sommet, ministérielles, etc.  C’est en légitimant la souveraineté  du Karabakh qu’il serait possible  d’amorcer la démilitarisation   des  deux Etats arméniens en transférant  une partie des budgets  militaires à des fins autres que la guerre en  accélérant, par ailleurs, la levée des blocus et le retour des  réfugiés et des prisonniers.  Une force d’interposition sous mandat international le long des  frontières (ceinture de sécurité) garantirait, en  un premier temps, le maintien des accords  et la sécurité des populations.

2.1  Si, par contre,  le Karabakh  tombait  le risque d’une escalade militaire  avec son cortège de victimes et de réfugiés –  comme au Kosovo il y a quelques mois et en Tchetchénie aujourd’hui –  deviendrait inévitable en fournissant à une Turquie triomphante  un atout supplémentaire pour nier le génocide,  maintenir le blocus et renforcer sa politique expansionniste.  On ne devrait pas lui faire ce beau cadeau en ciblant mieux et en mobilisant, au contraire,  les moyens et les  efforts conjoints  de la diaspora, de  l’Arménie et du Karabakh   pour renforcer le   pouvoir de la nation et tracer les voies de   sortie les plus rapides de cette - et d’autres - crises.

Appel urgent pour le Karabakh

3.  Une crédibilité accrue s’appuyant sur la confiance et un  développement soutenu  fourniraient  à  l’Arménie et au Karabakh les moyens de  négocier en force avec l’Azerbaïdjan et l’OSCE.  Or, le  Karabakh  affaibli  par la guerre et privé d’une bonne partie de sa population exilée dans la diaspora ou ailleurs  lance un appel urgent afin de repeupler le pays  – même provisoirement – en  participant  activement  à son redressement.  Priorité donc  à une mobilisation et un soutien massif au  Karabakh  favorisant,  à court terme, l’aboutissement des  négociations en sa faveur.  A l’appui, documentation/information à jour et détaillée  sur son histoire et son actualité. D’une part sensibiliser les médias, et de l’autre,  encourager, voire même sponsoriser  des universitaires  non-Arméniens –   profs./assistants, candidats au doctorat en histoire ou disciplines connexes –  à publier  thèses et  documents “essentiellement académiques”à son sujet,  comme le fait du reste le pays voisin le plus proche.

Liaisons arméno-juives

4.  Paradoxalement, la  cause commune avec les  lobbies juifs sur la mémoire de la  Shoah pourrait s’avérer contre-productif en  ne servant qu’à instrumentaliser le génocide arménien sans pour autant  lui apporter des éléments  nouveaux.  Chaque cas de génocide ayant un  contexte  politique, historique, voire  religieux, différent,  un  jugement sommaire risquerait  d’étouffer,  au pire  de  déformer,  leur réalité.  Seuls  le droit et les sanctions internationales peuvent les homologuer.  Or,  le gouvernement arménien peut à tout moment s’adresser  à la Cour internationale de justice, ou autre instance  internationale de droit, demandant l’ouverture d’une enquête confiés à  des experts internationaux.  Mais avant d’entreprendre  une telle démarche  faudra-t-il   avoir  réglé le conflit du  Karabakh,  fourni les preuves d’un parcours démocratique sans faute et assuré le  plein respect des droits de l’homme dans le pays.

Questions culturelles

5.  Pas de crise majeure  pour ce qui est la langue, la littérature et la culture arméniennes en diaspora et en Arménie.  Au contraire revitalisation et recherches.  Si la diaspora  souhaite préserver et  développer une  culture distincte, il devrait   a) donner priorité aux enjeux politiques et économiques actuels bien plus urgents que des considérations purement culturelles;  b)  se rendre compte qu’il ne serait plus concevable de développer sa   “propre culture”  sans se heurter à celle  de l’Arménie et du Karabakh, dans un avenir proche une complémentarité et un enrichissement réciproques  venant remplacer   les méfiances d’aujourd’hui;   d) constater que loin de subir l’ “érosion”,  les activités  diasporiques  sont en passe de recréer une culture vivante  dans la  vie associative, créative,  dans les relations et les  réflexions  des jeunes générations;   e) constater également qu’il suffirait de continuer sa diffusion  en attirant davantage l’attention  sur les  pertes et  détériorations subies par le patrimoine arménien en Turquie, en Géorgie,  dans le Nakhitchévan et au  Karabakh,  plutôt que  s’appesantir sur des  problèmes  diasporiques;   et f)  se  rappeler que le gouvernement   arménien  peut également s’adresser à  l’UNESCO ainsi qu’à diverses  ONG  et associations  privées et publiques  pour la sauvegarde des   monuments historiques.

Questions identitaires

6.   Des rapports de plus en plus fréquents  diaspora-Arménie-Karabakh   fécondant la carte culturelle arménienne, à l’heure actuelle il est essentiel d’en définir les  modèles  et de les adapter aux temps présents.  Aux USA  une pléthore de jeunes écrivains/ universitaires, libérés du silence et des tabous du passé,  s’inspirent de leurs sagas familiales pour explorer à travers la littérature leurs racines et leur identité faisant ainsi des émules un peu partout  dans  la diaspora.  Désormais, au delà des pratiques culturelles se pose la question d’identité. Comment définir son arménité par rapport au présent? A part le génocide et un passé bien rabâché  où lui trouver des points de repères contemporains et des images neuves? Si l’arménité représente une altérité,  quelles en sont ses caractéristiques et comment les intégrer dans son mode de vie actuel?  Ainsi se pointent des interrogations profondes dans l’engagement individuel au sein des associations arméniennes, voire indépendamment d’elles, aussi bien dans le cadre plus large de reconstruction nationale. Dans les deux cas elles  nécessitent une relecture du passé en tenant compte des options actuelles.  Egalement  une mise  en question de bon nombre de  conservatismes dépassés et  de réflexions paralysantes. 

Conclusions

Si à l’heure actuelle la question arménienne se pose tout autrement, il est important de cerner ses priorités et de leur trouver des  solutions pragmatiques. Géopolitiquement défavorisée, en pleine période de transition –  du communisme vers la démocratie, d’une économie centralisée vers une économie de marché, d’un Etat totalitaire vers un Etat de droit –  l’Arménie  manque cruellement de cadres, d’experts et de spécialistes en  matière d’innovation.  Sont en jeu non seulement son avenir,  mais ses rapports avec son histoire,  ses  voisins, sa diaspora et, récemment encore, avec sa propre population.  N’étant  plus possible “de faire du neuf dans un moule ancien”,  désormais  les mots d’ordre seraient l’ouverture,  le changement dans la démocratie,  la  restructuration tout terrain –  y compris la question de représentation – dans le cadre d’une solidarité pan-nationale et le  partenariat.

Pour le réussir il faudrait peut-être commencer par supprimer les formalismes et les règles associatives classiques dressant des obstacles aux innovations et   confier à toute personne intéressée et capable de professionnalisme –   en particulier aux jeunes  constitués en groupes  de travail et  reliés  par un system network –   la prise en charge et l’exécution des projets  exigeant des actions ponctuelles à résultats immédiats et tangibles.  Car ce qui compte actuellement est la possibilité de faire bénéficier  l’Arménie et le  Karabakh de ses propres ressources et   potentiel dans quelque domaine que ce soit.  Désormais le temps presse et il n’en reste plus  tellement pour la mise à jour des  grands ensembles associatifs.  On peut donc viser le  court terme et l’urgence et toute forme d’activité exécutée  par des groupements spontanés de volontaires,  de militants,  d’experts indépendants,  au bout du compte de  tout Arménien, d’où qu’il soit,  ayant  un envie, un projet, une spécialité et la possibilité de s’investir et d’investir sur place sans nécessairement passer par une organisation déjà existante.  En sachant, bien entendu, négocier avec les partenaires en Arménie anticipant  les offres de la diaspora.  Une sorte de déréglementation,  le pouvoir étant dans les mains de nous tous!