ELLE N’EST PAS DIGNE !
Dans la liturgie arménienne, lors de l’ordination d’un prêtre , prend place une
célébration très émouvante :
Le candidat à l’ordination se met à genoux, face au public, les mains levées ;
tous les prêtres présents se mettent derrière lui, toujours face au public,
posent leur main droite sur ses épaules et chantent ensemble une prière où ils
demandent au peuple s’il le juge digne de recevoir l’ordination sacerdotale.
La question est répétée trois fois et, par trois fois, le peuple témoigne et
répond : “Il est digne”.
On ne pourrait jamais imaginer que quelqu’un parmi les présents ou un groupe de
personnes se lèvent et protestent en disant qu’il n’est pas digne, car déjà
depuis un certain temps le candidat a fait ses preuves et a reçu au préalable
tous les avis favorables pour arriver au stade de l’ordination.
En ces jours, par analogie à cette cérémonie, la même chose se produit quand les
Européens discutent s’il faut accueillir la Turquie au sein de l’Union
Européenne ou pas ; surtout quand certains proposent d’entamer maintenant les
négociations et de laisser à plus tard, dans 15 ans à peu près, la décision
définitive pour l’entrée de la Turquie en Europe.
Or, si à la réunion du 17 décembre est accepté le principe de commencer les
négociations avec la Turquie, il sera presque impossible que, 15 ans plus tard,
un Etat se lève pour dire non, que la Turquie n’est pas digne d’entrer dans
l’Union Européenne.
Il est donc nécessaire que dès aujourd’hui nous nous mobilisions auprès des
Etats européens pour que les négociations ne commencent pas.
Dans tous les journaux français, ainsi qu’à la radio et à la télévision, nous
entendons qu’il est question de débat à ce sujet. Certains sont convaincus que
la Turquie doit entrer dans l’Union, d’autres sont convaincus du contraire. Mais
est-ce seulement une question de conviction personnelle, ou bien est-ce plus
profond que cela ?
Si l’Allemagne n’avait pas admis ses crimes durant la dernière guerre mondiale
et fait amende honorable devant toutes les nations, il n’y aurait pas
aujourd’hui de Communauté Européenne.
Quand on pose comme condition d’entrée l’acceptation du génocide arménien, ce
n’est pas pour humilier les Turcs mais au con-traire, pour les rendre plus
dignes.
Sont donc dignes de faire partie de cette Union tous les pays qui
géographiquement sont situés en Europe et qui respectent les règles de la
Communauté. Pourquoi l’Albanie, qui fait partie de l’Europe et qui est un pays
musulman, n’a-t-elle jamais pu entrer dans l’Union Européenne ?
Avant d’entamer les négociations, il y a deux questions que les Etats membres
doivent se poser et dont les réponses constitueront une condition sine qua non
pour l’entrée de la Turquie :
D’abord est-ce que la Turquie a droit de faire partie de l’Union Européenne ?
Ensuite, dans son état actuel, est-ce qu’elle est digne d’y entrer ?
S’ils veulent être objectifs dans leurs propos, ils constateront que la réponse
aux deux questions est forcément négative.
Cependant certains pays ont des raisons d’Etat et surtout des bénéfices à
réaliser ; c’est pourquoi, en dépit d’un sain raisonnement, qui exclurait un tel
pays de l’Union Européenne, ils veulent à tout prix que la candidature de la
Turquie soit acceptée.
Est-ce qu’il y aura un président d’Etat européen qui, dans ces journées
décisives, saura élever la voix pour proclamer : “Non, la Turquie n’est pas
digne d’entrer dans l’Union Européenne”.
P. Joseph Kélékian
Bulletin de l'Eparchie de Sainte-Croix-de-Paris
des Arméniens Catholiques de France
N° 120 Novembre 2004