Pauvres Arméniens qui vous battez dans nos rangs sous les plis de notre drapeau.
Par Edouard HATABIAN d'Arnouville les Gonnesse lettre adressée aux Nouvelles d'Armènie Magazine (octobre 2003)

Chers amis,

Je réagis à propos de l'article concernant Fikret Baskaya menacé de prison pour avoir déclaré que les alliés ont permis à Mustafa Kemal de créer la république de Turquie en 1923. C'est une vérité historique en ce qui concerne plus précisément l'action de la France. Mais le gouvernement turc serait bien inspiré en se reportant au contenu de ses archives révélant notamment une notice émanant de Mustafa Kemal lui même, datée du 23 septembre 1922 ainsi libellée : "Le département des affaires Etrangères a l'honneur de communiquer à Monsieur le Colonel Mougin de bien vouloir transmettre à Monsieur le Général Gouraud qui est un des grands combattants de ce siècle et un grand ami de la Turquie ses sentiments et les remerciements des autorités militaires turques". C'est extrait du livre inachevé du Général Mougin "Un empire s'est écroulé" archivé à la Bibliothèque de l'Assemblée Nationale.

Le colonel Mougin après l'occupation de Constantinople fut désigné par le Général Franchet d’Esperay comme agent de liaison entre le ministre de la guerre ottoman et lui-même. Par la suite, il finit comme représentant officieux de la France auprès de Mustafa Kemal dont il fut souvent le conseiller. Son rôle essentiel fut d'avoir servi d'intermédiaire entre le politicien radical le franc maçon Henri-Franklin Bouillon (ex député, ministre d'Ètat et président de la commission des affaires étrangères) et leur ami commun Mustafa Kemal. Les messages que Mougin adressait fréquemment aux différents ministères à Paris étaient transmis par le Haut Commissaire français à Constantinople. Le Général Pelle qui connaissant ses sentiments turcophiles le surnommait Mougin pacha. Mougin accompagna et conseilla aussi la délégation de Mustafa Kemal dirigée par BekiriSamix Bey à la conférence de Londres en février 1921.

Le Général Gouraud, fut nommé haut commissaire le 26 novembre 1919

A Beyrouth succédant à François Georges Picoty qui avant de quitter son poste se rendît à Sivas pour y rencontrer Mustafa Kemal. Pourquoi ? En tout cas désapprouvé par Defrance alors haut commissaire à Constantinople. Le Général Gouraud négligeant les aides réclamées instamment par le Général Dufieux et le Colonel Brémond qui en Cilicie combattaient les nationalistes de Kemal avec l'aide dévouée de la légion arménienne, prit la responsabilité de faire évacuer Marache, Ourfa, Hadjin, Bozanti, Aïntab, Ousmania, Sis... provoquant les massacres de milliers d'Arméniens, 7 à 8.000 et de 1.200 soldats français, blessés, malades, amputés. Michel Paillarés journaliste au Bosphore à Constantinople, écrivit que le drame de Marache restera une des pages les plus tristes de l'histoire française. Ce faisant, le Général Gouraud préparait le retrait de la France de Cilicie.

C’est particulièrement Henri Franklin Bouillon, négociateur privilégié auprès de Mustafa Kemal qui fut le français le plus fervent pour soutenir Mustafa Kemal, approuvé évidemment en cela par tous les politiciens turcophiles de Paris, les financiers, les entreprises industrielles à qui on avait promis de nombreuses concessions minières, ferroviaires, fluviales et autres. N'oublions pas que les archives diplomatiques révèlent qu'au 26 mai 1919, les intérêts, les capitaux français représentaient en pourcentage 60% des avoirs en Turquie, les anglais 15%, les Allemands 25% . Parmi les soutiens à Franklin Bouillon, l'appui sans faille de Pierre Loti, des journaux comme "Le Temps" qui répandant des mensonges s'évertuaient à soulever l'opinion publique contre la présence française en Cilicie. Les soutiens les plus conséquents à Franklin Bouillon émanaient de ses amis des loges maçonniques françaises et italiennes aussi qui souhaitaient vivement le succès de leur ami Kemal pour la création d'un état turc laïc.

A ce propos, voici ce que j'ai découvert au grand Orient de France en consultant les convents de 1920. A la séance du convent du 20 septembre 1920 au soir, au cours de la discussion le Frère Aroutounian de la loge France Arménie dont le vénérable était le dynamique Frère Marashian dénonce avec véhémence la barbarie des Turcs, malgré quelques applaudissements, le Frère Vanzelle prenant la défense des Turcs francophiles, déclare entre autres "Ne tombons pas, tant que cela sur les Turcs, oui, il y a eu des massacres dans l'Arménie, ce sont de malheureux Arméniens qui ont été tués, mais la cause où est-elle ? Elle n'est pas du tout dans les questions de religion ou de race, les Arméniens étaient les usuriers des Turcs. C'est ce qui est la cause du mal". Les négationnistes turcs actuels ne s'exprimeraient pas autrement. On peut trouver le texte intégral du convent précité dans le n° 53 des Chroniques d'histoire maçonnique publiées en 2002 par Denis Lefebvre que j'ai rencontré à l'office universitaire de recherches socialistes "L’O.U.R.S." au 86 rue de Lille à Paris. C'est le franc maçon Franklin Bouillon qui après la Conférence de Londres signa le fameux traité de paix d'Angora avec Youssouf Kemal Bey le 20 octobre 1991. Quelques temps plus tard, lors de nouvelles retrouvailles cordiales à Akçehir entre Franklin Bouillon et Kemal, le cognac coulait à flots et le Colonel Mougin également présent d'ajouter ",Combien ils seraient indignés les Chrétiens de Cilicie s'ils savaient que Franklin Bouillon est en train de valser avec Kemal tandis qu'ils attendent sur les quais de Mersin le navire qui les conduira vers les camps de Syrie.

Mougin, dans ses archives, précise qu’à Londres en février et mars 1921, la Turquie de Kemal a vu notre sincérité dans les pourparlers, plus que jamais c'est en nous qu'elle a confiance. Plus que tout autre pays la Turquie nous était reconnaissante de nos efforts. "Seul un livre pourrait dire le rôle unique de la France. Franklin Bouillon et Youssouf Bey pourraient l’écrire. Il faudra qu’il soit fait. Jusqu'à ce, jour, je n'ai trouvé aucun écrit émanant de Franklin Bouillon.

A l'occasion de l'inauguration à Paris de la statue de Komitas à la, mémoire des victimes du génocide arménien, j'aimerai citer ce que Michel Paillarès a déjà cité dénonçant la trahison de la France vis à vis des Arméniens écrivait en 1922 dans son livre "Le kémalisme devant les alliés".

"Pauvres Arméniens qui vous battez dans nos rangs sous les plis de notre drapeau et qui êtes tombés à Marache, à Ourfa, à Aintab sous le couteau perfide des assassins d'Angora, pardonnez la cruauté d'aller vous souffleter jusque dans la tombe, où vous espériez trouver le repos éternel. Pardonnez leur, car on les a trompés. Lorsque leurs yeux s'ouvriront à la lumière, lorsque sera venu le grand jour où nous pourrions déchirer tous les nuages et clouer au mur la calomnie, la France reconnaissante exaltera votre sacrifice et chantera votre gloire par un monument impérissable".

E. HATABIAN