Exposé d’Aline Dedeyan 15 avril 2003 Table ronde ONG sur la Convention du génocide 59e session de la Commission des droits de l’homme Palais des Nations, salle XXVII

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par la résolution 260 A (III) de l’AG le 9 décembre 1948, est entrée en vigueur en 1951 faisant suite aux principes de Nürnberg avançant, pour la première fois, le «concept de  crime contre l’humanité».

Bien que d’importance grandissante et citée abondamment, cette Convention semble connaître un destin atypique. Dès ses débuts restée dans un certain flou, elle ne suscite aucun encadrement ultérieur, ni d’élaborations ou de modifications, à croire qu’elle ne présente même pas un terrain favorable à de nouvelles réflexions. En fait, aucune suite n’est donnée à des propositions de l’actualiser et de « pallier ses faiblesses ou ses lacunes » par un Protocole additionnel ou facultatif invoqué dans les rapports la concernant. En attendant des crimes de génocide et apparentés – nettoyages ethniques et autres formes de génocide – ne cessent d’envenimer le paysage mondial durant les décennies après la création des Nations Unies. Seule autorité institutionnelle et universelle dotée de pouvoir dissuasif et répressif au regard des crimes contre l’humanité garantissant, par ailleurs, l’application inconditionnelle de tous les droits de l’homme.

Si bien qu’en restant dans le cadre de l’ONU, aujourd’hui on peut se demander si les dispositions de cette Convention sont suffisantes pour prévenir et réprimer les génocides ? Par ailleurs comment se fait-il que depuis 1985, date à laquelle le dernier rapport à son sujet a été présenté à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme (de son nom actuel), et par la suite adopté par la Commission, aucune initiative n’ait été prise pour mettre à jour et réviser ces études - ni même la Convention elle-même? En fait, depuis 1985 seules trois résolutions sur le génocide sont adoptées par la Commission. Une première en 1998, treize ans après, commémorant, entre autres, le 50ème Anniversaire de la Convention, et deux en 1999 et en 2001. Une autre résolution ressemblant en tout point aux précédentes vient d’être adoptée à sa 59e session. (NB : toutes ces quatre résolutions ont été proposées par la délégation arménienne) De nature plutôt formaliste, elles rappellent les Etats non encore signataires de la Convention d’y adhérer au plus vite en reportant l’examen du point – Statut des Pactes internationaux sur les droits de l’homme – aux sessions suivantes. Quant à la Sous-Commission, la question du génocide n’est plus sur ses agendas malgré une récente résolution 2002/5 : la reconnaissance de la responsabilité et les réparations pour les violations flagrantes et massives des droits de l’homme en tant que crime contre l’humanité qui se sont produites durant la période de l’esclavage, du colonialisme et des guerres de conquête, allant, on va dire, dans le même sens que la Convention, ainsi que les rapports de 97-98 de ses deux experts, El Hadji Guissé et Louis Joinet, sur les principes de « précédent » et « d’impunité », ouvrant une nouvelle brèche dans la considération des crimes violant les deux Pactes (droits civiques et politiques et des droits social, économique et culturel).

On peut également se demander pourquoi depuis son entrée en vigueur cette Convention n’a pas été consolidée, voire renforcée, par un treaty body. C’est-à-dire un mécanisme de surveillance composé d’experts indépendants chargés d’examiner les rapports périodiques des pays signataires et de faire des recommandations aux gouvernements respectifs en vue de rendre les lois constitutionnelles, les codes pénal, public, etc. conformes aux dispositifs de l’instrument en question et ainsi garantir leur pleine application. Alors qu’une majorité de conventions et de pactes de l’ONU : les Pactes cités plus haut, les conventions contre la discrimination raciale, la torture, les droits de la femme, de l’enfant, etc. sont tributaires d’un treaty body.

Des 1948 le texte de la Convention a été largement débattu aux séances plénières de l’Assemblée générale, et avant à sa Sixième commission (affaires légales). La partie B du premier texte : savoir s’il est souhaitable et possible de traduire devant un tribunal international compétent des personnes accusées d’avoir commis le crime de génocide … le besoin d’un organe judiciaire international chargé de juger certains crimes du droit des gens … invite la Commission du droit international à examiner s’il est souhaitable de créer un organe judiciaire international chargé de juger les personnes accusées de crimes de génocide… à accorder son attention à la création d’une chambre criminelle de la cour internationale de justice  ne figure pas dans la version finale de la Convention. Or, seuls ses articles VI  et IX: les personnes accusées seront traduites devant les tribunaux compétents de l’Etat où l’acte a été commis ou devant la cour criminelle internationale… (alors que cette cour n’existait pas), les différends entre les Parties contractantes y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un des autres actes … seront soumis à la Cour internationale de Justice … se réfèrent à cette partie B supprimée. Cependant, juste avant son adoption de nombreuses délégations, notamment celle des Pays-Bas, ont évoqué la question de la constitution d’une autorité suprême habilitée à juger les crimes de génocide, en particulier dans le cas où l’Etat serait lui-même l’auteur de ces crimes.

Aujourd’hui est-ce qu’on on peut dire que la Cour pénale internationale, entrée en fonction selon le Statut de Rome de juillet 1998, représente l’organe supranational juge et arbitre  pour trancher et sanctionner les crimes contre l’humanité ? En effet, l’article 5 de son Statut : Crimes sous la juridiction de la Cour, mentionne à l’alinéa (a) de son premier paragraphe : le crime du génocide, tandis qu les alinéas (b) et (d) de son article 7: Crimes contre l’humanité, parlent d’extermination et de déportation ou de transfert forcé de la population. Cependant rien n’est dit quant à un accord formel entre la CPI et la Convention.

Mais pour revenir aux deux rapports de la sous-Commission sur la Convention de la Prévention et la répression du crime de génocide : le premier, E/CN.4/Sub.2/416, présenté en 1978, et le second, E/CN.4/Sub.2/1985/6 en 1985.

A sa vingt-quatrième session en 1971, la Sous-Commission nomme un de ses membres, Nicodème Ruhashyankiko, rapporteur spécial chargé d’effectuer une étude sur la Convention. Après un rapport préliminaire et deux intérimaires (E/CN.4/Sub.2/L.565, L.583 et L.597), l’étude est présentée à sa trente et unième session en 1978. Première constatation, dans sa version finale le chapitre Aperçu historique citant et commentant de nombreux cas de génocide est supprimé. Auparavant déjà, le paragraphe 30 du rapport …/L.583 avait été éliminé sur demande expresse. L’étude devient plus théorique que factuelle. Dans ses conclusions et recommandations, le Rapporteur spécial relève les points suivants :  il est indispensable que les Etats adhèrent en plus grand nombre aux conventions pertinentes dont la Convention de 1973 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid et la Convention de 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, seule autre Convention complétant et renforçant la Convention sur le génocide. Aujourd’hui si l’apartheid a été éradiqué, l’imprescriptibilité des crimes de guerre demeure et cette Convention est également citée dans les récentes résolutions de la Commission.

Par ailleurs, le rapporteur spécial rappelle: les mesures législatives pacifiques contre le crime de génocide, le droit pénal et les procédures pénales pour assurer une prévention et une répression efficaces… Il appelle la Commission à envisager l’institution des comités spéciaux pour enquêter sur les allégations de génocide, portées à la connaissance de la Commission par un Etat membre ou une organisation internationale … ; il recommande une étude interdisciplinaire plus détaillée ainsi que la prise des mesures législatives et efficaces par les Etats en vue de l’élimination définitive du nazisme et des idéologies et pratiques analogues fondées sur la terreur et l’intolérance raciale ; il évoque, entre autres, l’intolérance religieuse comme une des causes déterminantes du génocide et suggère que dans le cas où une décision de rédiger de nouveaux instruments était prise, l’article IV de la Convention, consacré à la responsabilité pénale, soit réexaminé pour éliminer les difficultés d’interprétationet qu’en cas de différends, ces derniers soient soumis à la Cour internationale de Justice. En conclusion, le rapporteur spécial estime que la Sous-Commission devrait saisir la Commission pour demander au Conseil économique et social de recommander à l’Assemble générale la reprise de l’examen de juridiction pénale internationale, voire de la création d’un tribunal pénal international, en se disant convaincu que l’application du principe de la répression universelle du crime du génocide ne pourrait se faire que par un nouvel instrument tel qu’une cour pénale universelle.

Si le rapporteur spécial, N. Ruhashyankiko, était en avance sur la question de prévention et de répression du génocide et si la Cour qu’il préconisait n’a vu le jour qu’en 1999 – en admettant qu’il s’agisse de ce qu’il avait envisagé – à partir de 1978 on n’a plus entendu parler de lui, ni de ses rapports à la Sous-Commission. C’est seulement en 1983 que la Convention réapparaît sur l’agenda de l’ECOSOC qui, par une nouvelle résolution, demande à la Sous-Commission de réviser et de mettre à jour l’étude de M. Ruhashyankiko. Cette tâche est confiée à Benjamin Whitaker, expert britannique alors membre de la Sous-Commission, désigné comme rapporteur spécial.

Après un aperçu historique assez étoffé, le deuxième rapporteur procède à l’envoi d’un questionnaire aux Etats et aux organisations internationales, nationales, régionales, ONG et autres concernées, en leur demandant : des observations et suggestions concernant la révision et la mise à jour de l’étude précédente ; des renseignements sur toutes les lois, dispositions constitutionnelles et législatives depuis l’adoption du rapport précédent ; des suggestions en vue de l’adoption, sur le plan national, de mesures plus efficaces pour prévenir, enrayer et réprimer le génocide… en particulier de nouveaux instruments internationaux ; des observations et suggestions pour la création d’un organe international chargé de mener des enquêtes, d’examiner des allégations de génocide (tentatives de destruction délibérée d’un groupe national, racial, religieux et ethnique) et de prendre les mesures nécessaires pour les supprimer. Le questionnaire demande également des observations sur la possibilité de rédiger un protocole additionnel conférant des compétences aux tribunaux des pays autres que ceux sur le territoire desquels le crime de génocide est commis ainsi que la possibilité de créer une juridiction criminelle internationale.

Après une analyse des réponses et des dispositifs de la Convention, des concepts de « crime de droit des gens », d’ethnocide – génocide culturel – et d’écocide – altérations irréversibles de l’environnement (résultant des actes criminels l’affectant) – ainsi que de la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre, le rapporteur spécial intitule son dernier chapitre – Progrès futurs : les moyens d’aller de l’avant – il explicite et recommande :

(1) A tous les Etats membres de ratifier instamment la Convention ; (2) la forme actuelle de celle-ci étant insuffisante de prendre de nouvelles mesures …pour ne pas laisser faiblir l’esprit d’union internationale contre le génocide manifesté à Nürnberg, … qu’à défaut de la prise des dispositions juridiques internationales efficaces, la paix s’en trouvera menacée et les Etats acculés à prendre des mesures unilatérales extrêmes ; (3) en l’absence d’un arbitre international, un crime généralement commis par les gouvernements ou avec sa complicité, aurait comme conséquence singulière d’obliger les gouvernements à engager des poursuites contre eux-mêmes ; (4) que souvent … le respect de la souveraineté des Etats, de la juridiction interne et de l’intégrité territoriale l’emporte sur le souci plus large d’éviter le génocide… d’où le besoin d’institutions indépendantes telles qu’un tribunal pénal international, un Haut Commissaire aux droits de l’homme, ainsi que des actions organisées en dehors de l’ONU, par des ONG et autres organisations non étatiques. (5) une banque de données continuellement mises à jour à des fins préventives, dissuasives et correctives ; (6) des recherches interdisciplinaires ; (7) un système efficace d’alerte ; (8) des programmes d’éducation et d’information publique à l’échelle mondiale (insister, p. ex., sur le fait qu’il est illégal d’obéir à l’ordre d’un supérieur ou à une loi qui viole les droits de l’homme) ; (8) le rôle de la presse internationale et des médiateurs en cas d’allégations de génocide ; et (9) pour ce qui est de la révision « nécessaire » de la Convention, la création d’un Comité d’experts sur le génocide directement issu de la Convention – proposition d’une ONG – qui s’occuperait exclusivement de la question du génocide en évitant sa politisation …et en assurant le concours « d’experts indépendants et compétents » pouvant réagir plus promptement en cas de génocide, les plaintes n’étant plus à être soumises en premier à l’examen des organes de l’ONU chargés des droits de l’homme ; et, finalement, en attirant davantage l’attention de la communauté internationale sur les problèmes de génocide laissés au second plan.

Si l’expert B. Whitaker était lui aussi en avance sur son temps, la proposition d’un Comité d’experts, voire d’un Groupe de travail, directement issue de la Convention n’a jamais vu le jour ni dans le cadre de la Sous-Commission, ni dans celui de la Commission.

En conclusion, malgré leur engagement et leur clairvoyance dans la cause du génocide, les rapports de B. Whitaker, et de son prédécesseur, N. Ruhashyankiko, n’auront débouché sur aucune mesure préventive, ni même sur un nouvel examen de la Convention et l’instauration d’un treaty body. Désormais la question se pose : pourquoi si peu – ou presque pas – de suivi à des documents aussi précieux et riches en analyses et en enseignements sur un sujet d’actualité brûlante ? Et alors que perdurent tous les cas de figure de génocide non sanctionnés par la justice jouissant, dans de nombreux cas, de quasi-impunité, peut-on imaginer que le seul sort réservé à leurs éminents auteurs soit un interminable séjour passif dans les archives de l’ONU ?