PROPOS SUR L'OEUVRE DE MESROB MASHTOTS
par Jean Edouard AYVASIAN auteur du "Dictionnaire Moderne  FRANCAIS-ARMENIEN"
79 rue de Strasbourg - 92400 Courbevoie Tél/fax +33(0)1 43 33 65 58

Je demande au lecteur de ces lignes de se remettre dans un environnement proche de celui dans lequel vivait cet Homme et ses Condisciples : Les Scribes de l’Eglise, les Enlumineurs et les Traducteurs de ces ouvrages.

Ils faisaient tous partie d’une Confrérie, certes éduquée, mais fortement influencée par le travail quotidien auquel ils étaient attelés pour la vie : la rédaction des multiples œuvres spirituelles et scientifiques qu’il leur a été donné de mettre en écrit.

D’éducation profondément ecclésiastique par essence il avait surtout le rôle de servant aux écritures donc vivant dans un environnement détaché des obligations spirituelles et du service de la messe pour une tâche purement fonctionnelle.

Ils vivaient dans des dépendances de l’Eglise, étaient nourris, logés et habillés par les dons que l’église recueillait tout au long de l’année. Ils avaient fait vœux et vivaient dans le célibat. Ils étaient (mot fort donc difficile à utiliser) les serfs de l’omnipotente et très forte Royauté Spirituelle des Arméniens.

Ils écrivaient, avant l’instauration de la foi chrétienne, pour le compte de Princes ou de Savants près des Cours Royales ou tous autres Intellectuels durant ces huit à dix siècles précédant le début du cinquième siècle. Nos compatriotes étaient reconnus et appréciés par toutes les Cours car ils alliaient le savoir et l’art de la traduction et de l’écriture.

Ce sont, me semble-t-il, ces successions ininterrompues de Centres d’écritures et de Traductions, rattachés aux Maîtres de la Puissance en Règne, qui ont généré ces Artistes et Artisans dont nous sommes tous fiers à présent.

Par déduction nous comprenons donc que depuis plus de mille ans nos Honorables Scribes, toujours au service d’un Roi, un Prince, une Cour ou un Savant, ont traduit, écrit et enluminé lorsque cela était demandé, des textes en diverses langues selon les langues en usage à la cour où ils servaient. Ils étaient de magnifiques traducteurs et cet esprit, ce savoir, cette expérience se transmettait de génération en génération puisque tous d’abord élève, après une formation auprès d’un maître d’écriture, ils devenaient ensuite autonomes, puis avec l’âge et l’expérience, Maître à leur tour d’un ou plusieurs élèves.

La transmission ne se faisait pas de façon inerte, chacun apportait un petit plus dans son art et par stimulation entraînait les autres élèves à la créativité et à la nouveauté. Cet art s’est petit à petit enrichi pour devenir une science et c’est cette science qui a été la base de la création de notre alphabet.

 Comment fut créé notre alphabet et le graphisme des lettres qui le composent :

Une longue utilisation de langues diverses telles l’assyrienne, la cunéiforme, le grec ancien, le perse ancien, l’arabe et la connaissance de termes scientifiques en astrologie, études des mouvements mécaniques,  mathématiques et sciences naturelles ont fait de ces Honorables Scribes des êtres particuliers qui devenaient des conseillers et des penseurs pour le Maître auprès duquel ils servaient.

Tout ce savoir s’est condensé, s’est cristallisé en une force vive que, au moment opportun et vital pour la survie de notre pays et de notre peuple, l’Eglise a décidé de canaliser afin de nous donner enfin notre propre écriture.

N’oublions pas que la période était trouble, déjà les tendances de fractionnement se précisaient et il fallait un lien fédérateur que l’on ne trouvait plus autrement.

Les esprits refusaient une servilité complète et se retournaient vers ce qu’ils croyaient être un avenir  prometteur. Certains aspiraient à une écriture basée sur l’arabe, d’autre sur le grec et certains souhaitaient franchement l’intégration d’un alphabet existant pour une écriture arménienne contemporaine ( au siècle ). Les Prêtres comprirent que la survie de la Nation ne pouvait venir que par une écriture personnalisée et des écrit rédigés dans cette nouvelle forme.

D’ailleurs les premières traductions furent les Saintes Ecritures car elles servaient à l’enseignement de la langue et de l’alphabet (avec en pointillé la reconnaissance de l’Eglise et son maintien comme Centre Spirituel).

 C’était un moteur de fédération des peuplades arméniennes dissipées au gré des collines et des vallons d’un pays montagneux, donc générant, par un isolement de distance et de temps(*), un patois local à prédominance du parlé en usage des populations locales ou avoisinantes. Les frontières linguistiques se faisaient de plus en plus fortes et finissaient par fractionner les régions en zones de langues. C’est ainsi que ce sont créés les patois les plus invraisemblables (après 1600 ans d’existence de notre alphabet et de notre écriture certains encore aujourd’hui gardent des expressions d’un patois incompréhensible hérité des anciens).  

·        Les mots isolement et temps seront pour de longs siècles synonymes de distances.  Dans les temps reculés l’homme a marché car c’était son seul moyen de locomotion et sa mesure de temps était la durée du jour donc la distance possible à réaliser en une journée de marche.

·         Si le voyageur devait continuer sa route c’était donc la distance qu’il pouvait parcourir avant de se trouver un havre et un couvert. Les caravanes sont l’illustration même de ce que signifie le mot distance-temps puisque partis pour un long périple les voyageurs définissaient l’arrêt de la caravane par rapport à la proximité des habitations qu’ils rencontraient sur leur chemin.

·         Avec l’avènement du cheval comme moyen de déplacement les distance se sont allongées à la distance pouvant être parcourue par le cheval et sa charge (cavalier ou marchandises).

·         Dans la mesure temps et distance citée dans le texte il faut réduire les parcours du fait que nous sommes dans une région escarpée, montagneuse et que la progression en est ralentie d’autant.

·         Cette limite temps définissant la distance; la frontière linguistique se trouve donc à cette limite. Au delà de cette limite se trouvent les habitations qui sont à une semblable distance du lieu de résidence du premier voyageur mais au plus à un distance qui ne permet pas à ces deux voyageurs allant l’un à l’encontre de l’autre de se rencontrer le même jour de départ .Là commence la frontière linguistique car les contacts de proximités sont rompus.

·         Aujourd’hui nous n’avons plus cette notion de temps-distance car les moyens mis à notre disposition nous permettent de faire le tour du monde en une unité temps-distance donc d’être toujours en contact linguistique…

 Revenons à la langue et la création des lettres de l’alphabet :

 Pour la langue nous n’aurons pas beaucoup à ajouter à tout ce qui s’est déjà dit sur elle: cette langue merveilleuse venant du fond des siècles, avec l’affinage que l’on peut lui supposer à son contact avec les langues avoisinantes et les idiomes en usage durant ces dix siècles d’existence vécue sans écriture propre l’ont rendue simple, claire, riche, valorisée par la maturité des termes usités et de la finition des déclinaisons. Cette langue s’est de plus enrichie d’une syntaxe qui a été longuement travaillée et polie par l’usage des diverses langues que nos ancêtres ont eues à parler en plus de la nôtre.  Elle a également généré cette orthographe complexe issue de sonorités nombreuses et mal apprises ou oubliées depuis.

 Composée de syllabes parfois empruntées, souvent créées mais surtout  générées au fur et à mesure de sa maturité et son perfectionnement pour des besoins linguistiques de plus en plus précis avec l’apparition de nouvelles connaissances, elle est restée chaque fois contemporaine à son siècle et continue de le rester encore maintenant au nôtre. Sa richesse en radicaux basiques permet de recréer les mots nécessaires selon une modalité d’assemblage de mots ( créations néologiques) basée sur une banque de données basiques qui permettent toutes manipulations linguistiques. Nous avons un fond de mots base qui permet toutes créations et compositions.

En ce qui concerne les lettres de l’alphabet, le problème est autre mais tout aussi intéressant : Les diverses langues utilisées durant la formation, le gestation puis la création de la langue et de son parler ont laissé sur notre langue une trace indélébile. Nous avons, à l’inverse de nombreuses autres langues, généré des mots et embelli la sonorité de l’expression par un rodage des sons usités pour sa prononciation.  Nous n’avons pas de suite figé son écriture (donc l’orthographe) dans l’alphabet propre à l’arménien. Je rappelle au lecteur que nous sommes dans la période lorsque nos Scribes utilisent encore les langues étrangères pour inscrire des textes et que chacune de ces langues possède des caractères dont les sonorités sont diverses et différentes de celles que nous utilisons dans le parler vernaculaire arménien.

Cette langue n’est pas encore une langue officielle et il est certain que ces Scribes, entre eux, se taquinaient pour le parler spécifique de tel ou tel autre des leurs ( chacun parlant dans le dialecte de sa région, de son village ou de son pays d’origine). Il faut encore dire que les scribes venaient de tous pays car les traductions ne valaient que pour la qualité de la traduction d’une langue à une autre.

Le Clergé ayant besoin pour asseoir sa Primauté d’une écriture propre à l’Arménien, ce sera une action basée sur l’érudition de ces Honorables Scribes et une imposition de création qui sera donnée à Mesrob Mashtots afin qu’il œuvre dans ce sens. Le résultat est admirable. Déjà, dans l’équipe à laquelle appartenait Mashtots l’émulation réciproque avait fait d‘eux des personnes de grande valeur mais lorsque l’on commença la création des caractères tous se sentirent chargés d’une mission spirituelle et vitale. Un grand débat fut instauré en continu car il fallait non seulement définir le graphisme des caractères mais les sélectionner dans l’ordre des sons retenus pour chacune des lettres.

Se trouvant à la croisée des langues, souvenons-nous que ce sont tous d’éminents traducteurs et linguistes, ils oseront faire une sélection des sons, puis des graphismes et enfin de la forme finale du caractère. Ce seront de longues palabres.

Comme nous avons, à cette période de l’existence de l’arménien, une influence Grecque et Latine ce sont donc les débats de tendances qui s’instaureront sur l’instigation des pro grec et des pro latin. Bien que tout cela semble houleux il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. C’était la manière habituelle de travailler de ces gens.

Nous avons eu en héritage des sons voisins donc des lettres aux sonorités proches. Nous ne pouvons pas ne pas remarquer que les lettres rh , rr  et Rrr sont souvent difficiles à définir pour notre façon de percevoir l’orthographe des mots. Il est vrai aussi que nous sommes déformés par l’unicité des sons par type de sonorité que nous apporte l’alphabet latin ou grec. Autant l’arménien est riche en demi-sons ;  ds et ts , dz, dj et dch,  Ph et Pp et ainsi de suite autant nous en sommes privés dans l’usage des langues latines. Ces gens ont travaillé et créé une langue qui était contemporaine à leur siècle et à l’art de la traduction que ces personnes possédaient complètement. Nous avons reçu un riche patrimoine que nous nous devons de protéger et transmettre.

 Pour le graphisme des lettres nous devons retourner au début du 5ième siècle pour s’imaginer les conditions de travail de ces créateurs. Ils vivaient dans un environnement cosmopolite et varié, ils écrivaient en de nombreuses langues, chacun avait à cœur d’apporter sa contribution au tronc commun mais chacun avait une vue du caractère qu’il ressentait comme idéal pour l’inscrire selon ses propres conceptions d’écriture et ses propres connaissances linguistiques ; ainsi nous pouvons dire que notre langue a été créée par une assemblée de traducteurs multilingues qui nous ont fait profiter des graphismes les plus faciles et des sons les plus doux. Cela  fait tout de même un alphabet de 36 lettres auxquelles durant les 13 – 15ièmes siècles se sont encore ajoutés deux nouvelles lettres le O et le F.

 Note : Je continue de travailler sur mon logiciel d’écriture de l’arménien. Je suis me semble-t-il dans une bonne voie car je suis en train de créer des polices qui permettront à la majorité des diasporas de travailler l’arménien avec cet outil. Je suis en train de le personnaliser pour les langues Est-Européennes, pour les langues Nord et Sud-Américaines, pour les langues Ouest-Européennes, pour les langues Cyrilliques, pour la langue Grecque, pour la langue Turque et pour les langues baltes. Cela englobe plus de cent pays et plus encore car les langues s’écrivant de droite à gauche (Juive, arabe, et autres..) utilisent la page de caractères de l’Europe de L’Ouest pour correspondre avec les pays d’écriture de gauche à droite. Nous avons donc un outil d’utilisation mondiale (presque).

C’est un dur labeur et je continue de rechercher un programmeur qui voudra bien me faire des améliorations afin de pouvoir installer ce outil également sur XP et WINDOWS 2000. Si une personne est disponible pour un travail semblable j’aurais grand plaisir à la contacter.

                                                                                              Jean-Edouard Ayvasian