Pour m'écrire directement - Mon site personnel

L’ histoire de Sébastia

Le Mouvement irrédentiste et la Question arménienne | La Politique turque du Génocide | La Politique arménienne de l’Ittihad | Comment le Génocide fut-il organisé ? | Les Volontaires arméniens | La Légion arménienne

Traduction Louise Kiffer

Un abrégé de l’histoire des Arméniens de Sébastia :

Géographie :
Sébastia, que les Turcs ont appelé Sivas, est située en amont du fleuve Halys (Kizil Irmak) et est le chef-lieu de la province. En 1915, la population de la ville comprenait 40 000 Turcs et 30 000 Arméniens. Le plateau sur lequel la ville a été bâtie est à 1300 m. au-dessus du niveau de la mer. Son climat est sain, même quand les hivers sont rudes. La province est riche en produits agricoles et en animaux d’élevage. Les montagnes sont très arides, bien qu’il y ait des parties couvertes de forêts. Un certain nombre de mines ont été découvertes, mais la plupart n’ont pas été exploitées, excepté les mines de sel.

Histoire : (le développement du peuple arménien et de la Petite Arménie).
Les Arméniens ont été le peuple indigène et permanent du plateau arménien. Les souches qui les composaient étaient les Hayasa-Azzis. Les noms Hayastan et Hay sont dérivés de Hayasa.
Les cités-états d’Asie Mineure étaient liées par leur origine raciale au groupe racial Hayasa-Azzi. La première de ces cités-état fut, selon une inscription hittite, Tegamma, qui correspond à la traduction biblique Torgoma, l’actuelle Gurin, l’une des principales villes de la province de Sivas. La Maison de Torgom ou Torgoma Toun a été estimée dans l’histoire traditionnelle arménienne comme synonyme d’Arménie. Torgoma comprend également la « terre » de Poukhkhouva qui correspond à l’Arabkir contemporain. Il est ainsi précisé que la terre connue sous le nom de Petite Arménie était habitée par des Arméniens depuis des temps immémoriaux.

Sivas, le chef-lieu de la province de la Petite Arménie, fut construite lors de l’arrivée au pouvoir de la reine Putodoris de Cappadoce au cours du premier quart du 1er siècle av. J.C. et fut nommée Augustus ou Sevastia en l’honneur de Caesar Augustus

Le Christianisme à Sébastia :
Au début du 1er siècle de notre ère, la religion chrétienne fut prêchée à Sébastia, et l’une des premières églises y fut édifiée par l’apôtre Thaddaeus, selon la tradition.

En l’an 301, pour la première fois dans le monde le roi Trdat III d’Arménie déclara le christianisme comme religion d’Etat, et en 314, comme arrangé par le Roi, St Grégoire l’Illuminateur fut envoyé à Caesarea, accompagné d’un long cortège, pour être consacré évêque par l’évêque de Caesarea. Sur le chemin de retour en Arménie, St Grégoire s’arrêta à Sébastia . Les fidèles Arméniens et leur évêque insistèrent pour qu’il reste plus longtemps dans leur ville, mais il ne pouvait rester que six jours, et prit avec lui un certain nombre de candidats à la prêtrise afin de leur apprendre à servir dans leur patrie. Le martyre des quarante soldats secrètement chrétiens de l’armée romaine se situe durant cette période. Le lieu de leur martyre fut le cimetière arménien jusqu’en 1915.

Au cours de l’accession byzantine : Bien que la Petite Arménie fût sous le pouvoir politique de l’Empire byzantin, le peuple maintint ses liens religieux et culturels avec la patrie, malgré les efforts persistants des Byzantins pour les assimiler et leur imposer le dogme chalcédonien, par divers types de pression.

La Petite Arménie a donné à l’Empire Byzantin un certain nombre d’intellectuels distingués, tels que le célèbre orateur du 4ème siècle Proheresius, 272-368, qui instruisit de nombreux étudiants arméniens. L’éminent Patriarche de l’Eglise Orthodoxe, l’évêque Atticus, était un Arménien de Sivas, de même qu’Eustiatus, l’évêque de Sébastia (357-376) qui initia le mouvement sectaire pour l’église réformée, et fut le précurseur des mouvements Paulicien et Tondrakien.

La Petite Arménie donna à l’Empire Byzantin des généraux célèbres dont un certain nombre accédèrent au trône impérial. Parmi les empereurs qui occupèrent le trône byzantin, plus d’un étaient d’origine arménienne, même s’ils portaient des noms grecs. L’empire byzantin faut sauvé de la ruine par Vartan Mamikonian (856-866), Jean Zimeskes (969-976) et Basile II (976-1025), etc… Tant d’Arméniens importants furent actifs dans la vie militaire, politique et intellectuelle de l’Empire qu’un historien anglais appela le huitième siècle : « le Siècle Arménien ».

Le Roi Senekerim de Vaspourakan et son transfert à Sebastia : Pendant longtemps l’Empire byzantin s’efforça de soumettre les petits royaumes le long de ses frontières. L’Empereur Basile II qu’on appelait « le Tueur Bulgare » traita avec une même rigueur les royaumes géorgien et arménien.

Prévoyant un sort semblable imminent, et inquiété par les incursions toujours croissantes des Turcs Seldjouks d’Asie Centrale, le Roi Sénékérim de Vaspourakan (Van) proposa à l’Empereur d’échanger son domaine contre Sébastia, et conformément, livra à l’Empire 72 forteresses, 8 cités, 400 villages et 115 monastères, recevant en contrepartie sa capitale de Sébastia, avec sa grande population arménienne, et deux villes Larissa et Avara, ainsi que de nombreux villages. En 1021, le Roi Sénékérim vint à Sébastia avec sa cour, son armée de 14 000 hommes, et un grand nombre de ses sujets. Là, il fit construire pour lui-même un très beau palais royal et le Monastère de Sourp Nichan, qui jusque l’année du génocide en 1915 servit de centre religieux et éducatif. Sénékérim mourut en 1026, et David, l’un de ses 4 fils, lui succéda. Malheureusement, le royaume sénékérimien ne dura qu’un demi-siècle et prit fin avec les troubles politiques qui faisaient rage à cette époque. Byzance alors détruisit successivement toutes les positions défensives de l’est. Elle occupa également le royaume d’Arménie des Bagratouni en 1045, et le royaume de Kars en 1065, de sorte que les Barbares d’Asie Centrale profitèrent de l’occasion pour envahir les territoires de l’Empire, atteignant finalement son cœur même, Constantinople.

Désastres : En 1060, Sébastia fut ravagée par le Sedjouk Doughril Beg, et en 1069, le successeur de Doughril, Alpaslan, non seulement mit en défaite l’armée byzantine à Mantzikert (Manazkert), mais pénétra en Asie Mineure. Le Seldjouk Danichmend vint s’établir à Sébastia, tandis qu’à Konya le sultanat (royaume) Seldjouk fut établi. Cela dura jusqu’en 1307.

Timurlane (Tamerlan) en Août 1400, Timurlane arriva et investit Sébastia. Les défenseurs de la ville, au nombre de 4000, principalement la cavalerie et les archers, étaient pour la plupart des Arméniens. Ils résistèrent pendant trois semaines mais se rendirent sur la promesse de Timurlane de ne pas verser de sang.L’autocrate Tartare cependant ne tint pas sa promesse et ravagea, tua les habitants, et enterra vifs dans de profondes tranchées les 4000 soldats qui s’étaient rendus. Cet endroit plus tard fut nommé « Terre Noire », et par la suite, l’Ecole Aramian y fut construite.

Les Turcs Ottomans : Osman, fils du chef Ertoghrul (1281-1325) reçut un petit territoire qu’il agrandit peu à peu. Ses successeurs suivirent son exemple. Ainsi Sébastia fut alternativement soumise par les émirs Osmanli et Turkoman. Au sein de cet état de confusion s’élevèrent des groupes de criminels appelés Jelalis qui s’emparèrent de la paisible population et la tuèrent.

Les mouvements de libération nationale et de renaissance culturelle : Malgré d’indicibles formes de pillage et de saccage commises par leurs dominateurs, les Arméniens de Sébastia se considéraient toujours comme natifs, supérieurs à leurs oppresseurs. L’Église arménienne devint le bastion de la préservation nationale. Il y a des références historiques d’une quinzaine de bardes devenus des saints et des héros nationaux qui se révélèrent des artisans efficaces de la préservation de l’identité arménienne.

Il ne reste que quelques pièces du travail de deux bardes de Sébastia, connus sous les noms de Michael et Ghazar, mais nous avons de nombreux poèmes d’amour, et de martyre de Hovsep de Sébastia, qui constituent des exemples inestimables de notre littérature médiévale et renaissance culturelle.

Premier effort de libération nationale : L’oppression des seigneurs turcs et perses était insupportable pour les Arméniens. Par conséquent, en 1541, le Catholicos Stépanos de Salmast tint une réunion secrète, où l’on décida que le Catholicos en personne visite l’Europe pour demander l’assistance des nations chrétiennes pour la libération des Arméniens. Mais son appel se révéla infructueux.

Deuxième réunion secrète : elle se tint au Monastère St. Nichan de Sébastia, sous la présidence du Catholicos Michael de Sébastia, et il fut décidé d’envoyer le scribe (tbir) de Tokat auprès du Pape de Rome. Le Pape demanda que les Arméniens acceptent le catholicisme. Etchmiadzine était enclin à accepter, mais ses efforts avortèrent.

Troisième essai : En 1678, le Catholicos Hakob de Djoulfa tint une réunion secrète à Etchmiadzine, où il fut décidé que le Catholicos lui-même aille à Rome en personne, accepter la suprématie du Pape, s’assurant par là sa protection. Toutes ces tentatives échouèrent.

Sébastia et ses monastères -

Quand les royaumes arméniens de Petite Arménie et de Cilicie furent renversés, les églises et les monastères devinrent les principaux soutiens du peuple arménien privé de dirigeants.

Dans la vallée en amont du fleuve Halys une quarantaine de villages arméniens et autant dans les alentours de Gurin et de Manjilik avaient leurs propres monastères, ainsi que leurs fêtes et jours de pèlerinage, et le peuple y allait en grand nombre, offrant des sacrifices, organisant des festivités, des chants et des danses.

Il y avait quatre monastère près de Sébastia : Soup Nichan, Sourp Hagop, Anabad et Khonorgdour.

Sourp Nichan, fondé par le roi Sénékérim, de 1201 avait servi jusque 1915 d’évêché du diocèse. Le monastère a eu un séminaire et a formé de futurs prêtres. Mekhitar lui-même y fut ordonné. Ce fut aussi un centre de manuscrits et d’enluminures.

A présent, le monastère a été transformé en un centre militaire turc. Les plus célèbres monastères de la vallée supérieure de l’Halys étaient St. Hrishtakapet, St. Takavor et Dévots, tandis que celui de Gurin et de Manjilik était St. Toros.

Organisation culturelle :
Jusqu’aux années quarante du siècle dernier les Arméniens vivant sous la domination barbare ottomane étaient privés de moyens de développement culturel. Les puissance européennes imposèrent à la Turquie, en tant que grand marché pour leurs entreprises capitalistes, certaines réformes (Tanzimat). Les Arméniens vivant à Constantinople profitèrent des nouvelles réglementations. Ils ouvrirent des écoles, se mirent à publier des journaux, des livres, et organisèrent le théâtre arménien. En outre, en 1860, le gouvernement turc permit l’établissement d’une Constitution nationale selon laquelle les Arméniens pouvaient diriger leurs propres problèmes internes.

Dans les provinces, toutefois, les circonstances antérieures autocratiques et dangereuses subsistèrent. Malgré ce fait, les Arméniens des provinces qui revinrent dans leur village natal après une période d’emploi à Constantinople, suivirent l’exemple de la capitale et établirent des écoles dans leur lieu de naissance. En 1850, ils avaient organisé l’Association Sénékérimian, pour aider les institutions éducatives. Une organisation de bienfaisance (Akhdakhenam) fut fondée en 1857 et continua à fonctionner jusqu’en 1915. Grâce à l’œuvre de cette association, il n’y avait même pas un seul mendiant à Sivas, malgré les désastres successifs. L’une après l’autre, furent fondées les associations Antsnever et Loussapér en 1870, lesquelles organisèrent des écoles du dimanche et aidèrent les étudiants pauvres.

L’Association Dramatique (1870) commença à présenter différentes pièces. L’Association des Dames Arméniennes (Hayouhiats) soutenait les écoles de filles. L’Association de Soins aux Orphelins (Voghpasér) commença à fonctionner en 1887, et après les massacres de 1895-1896 assuma les soins et l’entretien de centaines d’orphelins des deux sexes, et la tâche difficile de leur éducation. L’association athlétique « Bartév » commença à se préoccuper du bien-être physique de la jeune génération. En 1889 fut organisée l’Administration de l’Hôpital National qui fit construire un immeuble pour la santé des malades des deux sexes, et où les pauvres recevaient des soins gratuits.

Ainsi depuis les années 50 du siècle dernier jusqu’en 1915, il y avait plus de 70 associations philanthropiques, éducatives et culturelles lesquelles, malgré la brève existence de certaines, sont la preuve évidente du caractère progressiste des Arméniens de Sébastia.

Institutions éducatives :
Jusqu’au premier quart du siècle précédent, il n’y avait pas d’écoles régulières en Turquie.
Les prêtres et les novices enseignaient à un nombre limité d’élèves à lire des livres religieux dans des écoles communales. A partir de 1840, cependant, il y eut des écoles de voisinage. La première école ayant un programme régulier fut la Tarkmantchats (en hommage aux traducteurs de la Sainte Bible). Elle fut fondée en 1851. A partir de 1870, il y eut des établissements scolaires pour les filles, Kayaniants et Hripsimiants. Il y eut aussi des écoles privées et de voisinage. L’Ecole Secondaire Nartionale Aramian fut istallée en 1890 sur le terrain connu des Terres Noires (Sév Hoghér) où 4000 soldats avaient été enterrés vivants par Tamerlan. L’ouverture officielle de l’Ecole eut lieu en 1893. Elle fournit à la communauté plus de 100 jeunes gens bien scolarisés. En 1912, le Collège Sanasarian, un pensionnat de haut niveau, fut transféré d’Erzeroum à Sébastia. Il commençait seulement à porter ses fruits lorsqu’il fut fermé en 1915. Dans la ville, il y avait aussi l’Ecole des Jésuites français, et le Collège des missionnaires américains, qui rendirent un excellent service en instruisant les garçons et les filles.

Le théâtre : En 1870 fut organisée une Association Dramatique, qui présenta différentes pièces, auxquelles les fonctionnaires turcs assistaient occasionnellement. Pendant le gouvernement du Sultan Hamid, toutes les activités dramatiques furent interdites. En 1908, après la déclaration de la Constitution Ottomane, le théâtre entreprit une nouvelle vie, et les œuvres des Arméniens et des auteurs non-arméniens furent présentées.

La Presse : En 1875, un Arménien natif de Sébastia rapporta de Constantinople une presse typographique et commença la publication de l’hebdomadaire « Sivas », à moitié en arménien et à moitié en turc. En 1908, deux autres hebdomadaires virent le jour : « Antranig » et « Hoghtar »

La Province de Sivas :
Cette province s’étendait de la Mer Noire au centre de l’Asie Mineure, et comprenait quatre subdivisions : Sivas, Tokat, Shabin Karahissar, et Amasia. La surface totale était de 83 700 km2, soit aussi grande que la Belgique, la Hollande et l’Arménie soviétique, avec une population totale de 17 millions, alors que celle du vilayet de Sivas n’était que de 750 000.

Le gouvernement turc n’avait pas de statistiques fiables et essayait toujours de minimiser le nombre d’Arméniens. Des études impartiales montrent les chiffres suivants pour le nombre spécifique des différentes nationalités de Sivas :

Turcs 190 000
Kizilbach 125 000
Circassiens 45 000
Kurdes 50 000
Khalds, Afchars, Tchétchènes 30 000
Arméniens 262 000
Grecs 45 000

Comme on peut le voir, les Arméniens constituaient la plus grande partie de la population de la province de Sivas.
Les paysans arméniens étaient obligés de payer des taxes deux fois plus lourdes que les paysans turcs.
L’élément turc était principalement engagé dans les services gouvernementaux.
Il y avait aussi un petit nombre de commerçants et de manœuvres.
Cependant, les affaires, l’artisanat, la fabrication, sans parler des professions libérales, étaient largement aux mains des arméniens. Voici un tableau comparatif des différentes nationalités engagées dans des entreprises de production industrielle. Il a été préparé par M. Léart (« La Question arménienne » pages 65-67), qui indique :

Entreprises arméniennes : 130 - turques 20 - autres 3.
Main-d’œuvre : 14 000 Arméniens - 3500 Turcs - 200 Grecs.


A Sébastia, il y avait :

750 commerçants : 600 Arméniens et 150 Turcs
1750 artisans : 1500 Arméniens et 250 Turcs
1500 épiciers : 1000 Arméniens et 500 Turcs

Les autres professions donnent la même proportion.
Quand Reshid Akif Pasha était gouverneur de Sivas, unique sincère - phénomène rare en Turquie - quatre-vingt dix pour cent des produits exposés étaient ceux des artisans arméniens.

Le Mouvement irrédentiste et la Question arménienne :

En 1878, en conséquence de la guerre russo-turque, les Bulgares furent libérés du joug turc.
Les Arméniens firent appel à la Russie pour imposer aux Turcs au moins les réformes sérieuses nécessitées dans l’administration des six provinces arméniennes. L’article 16 du Traité de San Stéfano obligeait donc le gouvernement turc à assumer la mise en œuvre des réformes requises dans les six mois à venir. L’armée russe devait rester à Erzeroum pendant la mise en œuvre des réformes.
Malheureusement, cependant, les grandes puissances, inspirées par la jalousie, prirent la défense de la Turquie, et formant une autre assemblée à Berlin, déformèrent l’intention de l’article 16, lui substituant un autre article, l’article 61, qui laissait la question de la réforme à la merci du gouvernement turc. Inutile de dire que cette tournure des événements encouragea les dirigeants turcs à reprendre leur politique de persécution des Arméniens. Ils formèrent des détachements de l’armée composés de brigands kurdes appelés « Hamidiyés » qui opprimaient et assassinaient les Arméniens en toute impunité. Les protestations du Patriarche de Constantinople restèrent inefficaces. Dans ces circonstances, deux partis politiques furent organisés, les Hintchags et les Dashnags. Ces organisations espéraient recevoir l’aide des grandes puissances afin de forcer la mise en œuvre des réformes. Le gouvernement turc cependant, certain de la neutralité non seulement du gouvernement anglais, mais aussi du gouvernement russe, organisa sans aucun obstacle, les grands massacres de 1895-96, avec une perte de 300 000 personnes arméniennes.

Même après ces événements, la politique d’oppression pour l’extermination des Arméniens continua conformément à un plan secret.. L’attaque en 1904 des montagnes du Sassoun, une position fortement défensive, ayant pour but d’éradiquer les Arméniens de cette localité, n’était qu’une partie de ce plan. L’autodéfense héroïque de Sassoun ne fut pas vaincue, mais elle coûta la vie de 10 000 fils courageux.

Une fois de plus, la Question arménienne fut mise à l’ordre du jour, bien que le gouvernement turc y fût fortement opposé. La diplomatie russe trouva opportun de favoriser le plan d’introduire des réformes administratives en Arménie, ce qui exigeait la nomination de deux
Contrôleurs chargés de superviser la mise en œuvre des réformes. La province de Sivas (Sébastia) tomba dans la région spécifiée pour les réformes, ainsi que celles de Trabizon, Erzeroum, Van, Moush, Diarbékir (Dikranagerd) et Harpout. Le plan aurait pu procurer un minimum de progrès pour la sécurité et la paix des Arméniens. Malheureusement, éclata bientôt la Guerre Mondiale de 1914. Les Turcs, alliés aux Allemands, lancèrent une attaque sur le front russe, s’imaginant que le moment était venu de réaliser leurs rêves pan-touraniens.
Or, ils furent durement battus.

La Politique turque du Génocide

On suppose généralement que l’idée du génocide a été développée par le parti Ittihad.
En réalité, depuis leur abandon de leur foyer en Asie Centrale et leur invasion de l’Arménie jusqu’à la péninsule des Balkans, les Turc n’avaient jamais constitué une majorité, et n’avaient jamais pu assimiler la civilisation des territoires conquis. Aussi, afin de perpétuer leurs principes, ils organisaient périodiquement massacres, pillages et dégâts.

Voici une image incomplète des massacres que le gouvernement turc a organisés seulement au cours des 150 dernières années :

1822-23 En Grèce et dans les îles 58 750 personnes
1860 Au Liban : 12 000 personnes
1876 En Bulgarie 14 700 personnes
Douze massacres partiels d’Arméniens 246 000 personnes
1895-96 Le grand massacre de 1895-96 300 000 personnes
1909 Les massacres d’Adana 30 000 personnes

1915 le génocide : 1 500 000 personnes

1918-20 Massacres de Kars, Ardahan et Bakou 80 000 personnes

Une directive barbare :

En 1878, comme la Bulgarie avait été délivrée du joug turc,Saïd Pacha, le Sadrazam (Premier) du jour, laissa la directive suivante à ses successeurs pour assurer l’intégrité territoriale de l’Empire Ottoman : « L’intelligence demande la destruction et la suppression de la surface de notre sol de tous les éléments qui peuvent nous causer du mal en créant des occasions pour l’interférence des gouvernements européens ». Adressant ses paroles à la question des Arméniens, il ajouta : « … En conséquence nous devons supprimer de la surface de notre sol la nation arménienne ». Peu après, le Sultan Hamid essaya l’exécution de ce plan et fit massacrer 300 000 Arméniens.
Le parti Ittihad Terrakki, qui arriva au pouvoir à la suite de la déclaration de la Constitution
Ottomane, adopta la politique du Sultan détrôné.

Déclaration de la Constitution Ottomane

Aux 30 années de tyrannie du Sultan Hamid s’opposa une organisation secrète connue sous le nom de « Jeunes-Turcs » qui joua un rôle décisif en juillet 1908 en incitant à la révolte le Corps de la troisième armée à Salonique, et à sa marche sur Constantinople. Le Sultan fut obligé d’établir un gouvernement constitutionnel, qui déclara les grands principes de liberté, justice, égalité, et la fraternité des nationalités qui composaient l’Empire. Néanmoins, le Parti politique chauviniste Ittihad Terrakki, qui vint au pouvoir, trahit bientôt ces principes, adopta secrètement la politique du Sultan qui planifiait l’extermination des Arméniens, et collabora aux massacres qui eurent lieu en 1909 dans la province d’Adana, causant la perte de 30 000 personnes.

La Politique arménienne de l’Ittihad

En novembre 1910, le parti Ittihad tint, dans son quatier général à Salonique,
une réunion secrète à laquelle étaient également présents certains propagandistes pantouraniens du Caucase.. Selon le plan développé par la conférence, toutes les tribus turques et apparentées jusqu’en Asie Centrale devaient être libérées de la domination russe et unies à l’Empire Ottoman. L’Allemagne approuvait ce mouvement. Il y avait toutefois un empêchement précis à la réalisation de ce plan : le peuple arménien. L’assemblée adopta le slogan « La Turquie aux Turcs ». Cela signifiait soit de turquifier les autres nationalités ; spécialement les Arméniens, soit de les détruire.

A dater de ce jour commencèrent une série de crimes politiques, qui donnèrent naissance à la Guerre des Balkans. La Turquie fut défaite.Les grandes puissances participèrent également à la conférence de la paix qui suivit.

Comment le Génocide fut-il organisé ?

La suppression de toute une nation pendant une relative période de paix était tout à fait impossible. Mais la Guerre Mondiale de 1914 créa une occasion extrêmement favorable pour le gouvernement d’exécuter son plan criminel avec succès. Pour assurer la réussite de ce projet abominable, le gouvernement turc obtint d’abord la neutralité de son alliée, l’Allemagne.

Un comité spécial fut créé pour diriger le génocide. Tout d’abord, les prisonniers les plus sanguinaires des prisons turques furent libérés et affectés dans les endroits où les meurtres devaient avoir lieu. Afin de devancer toute résistance armée, tous les soldats arméniens de l’armée turque furent désarmés et réduits à participer à des bataillons de travail. Ensuite furent arrêtées toutes les personnes importantes des villes et villages, et entassées dans des prisons, d’où, la nuit, ils étaient extirpés en groupes, liés les uns aux autres et conduits là où les exécutants les attendaient.

Ensuite commencèrent les recherches dans les maisons arméniennes sous prétexte de rechercher des armes à feu, maltraitant souvent et torturant les membres de la famille.
Les villageois étaient traités de la même façon.

La déportation des habitants de Sébastia commença le 22 juin 1915. Le gouvernement fait une annonce hypocrite qui déclarait que « en raison du temps de guerre, il est nécessaire que nos amis arméniens de la campagne soient déplacés dans les provinces intérieures . Leur sécurité est garantie. Leurs maisons et propriétés resteront sous scellés jusqu’à leur retour ».

La population entière de la ville fut exilée en sept « caravanes » successives. En route, tout mâle au-dessus de dix ans était écarté et remis aux bourreaux. Les belles jeunes filles et les femmes furent violées et les récalcitrantes furent tuées. Afin que les gens démoralisés meurent de faim et de soif, on les fit passer par des terrains montagneux sans eau. En peu de temps, les groupes étaient décimés. Plus d’un million et demi de gens furent sacrifiés lors de cet acte criminel, sans précédent dans l'histoire de l' humanité. (1)

Il est vrai qu’il y eut des cas de résistance héroïque. Un groupe de jeunes gens de Sivas, qui comprenait Miss Shahinian, fut martyrisé luttant jusqu’au dernier. Les citadins de Karahissar, dans la province de Sivas trouvèrent refuge dans la vieille citadelle de la ville et combattirent pendant tout un mois. Ils ne futent vaincus que par la faim.
De même les habitants des régions de Gemerek, Chat et Darende avaient trouvé refuge dans une cave inaccessible. Des centaines de jeunes gens de ce groupe se réfugièrent pendant 4 ans dans la montagne Ak Dagh et assouvirent leur vengeance sur les malfaiteurs.
Un groupe d’entre eux réussit même à atteindre le Caucase et rejoignit l’armée arménienne. Un nombre considérable de ces hommes s’arrangèrent pour survivre pendant quatre ans, jusque l’Armistice.

Mais le crime le plus méprisable fut commis envers les soldats qui avaient fidèlement servi l’État. Dans le district de Sivas, environ 10 000 d’entre eux, après avoir été désarmés, furent utilisés comme ouvriers et artisans dans la région du vilayet de Sivas jusqu’en juin 1916. Ils furent ensuite éloignés section par section, emprisonnés pendant des mois et soumis à la faim et aux privations pour les affaiblir . Puis ils furent envoyés par groupes successifs, et furent tués.

Malheureusement, le gouvernement turc criminel resta impuni et aucune compensation de quelque sorte ne fut offerte. Les puissances européennes victorieuses, oubliant toute responsabilité morale, guidées de sang froid par des intérêts commerciaux, rivalisaient même les unes envers les autres pour obtenir les faveurs commerciales de la Turquie.

Mais une fois de plus, l’histoire s’est répétée. Le très grand crime du chauvinisme turc servit bientôt d’exemple au nazisme et au fascisme qui entraînèrent la deuxième guerre mondiale, sacrifiant 50 millions d’individus. Le crime turc impuni servit d’exemple au génocide nazi.

Les Volontaires arméniens :

Des milliers d’Arméniens hors de Turquie et spécialement des Etats Unis, en recevant les terribles rapports concernant l’élimination toale de leur peuple, se portèrent volontaires pour lutter contre les Turcs sur le front du Caucase. Ils servirent d’avant-gardes aux armées tsaristes, luttèrent bravement et atteignirent Erzindjan. Cependant, par suite de la Révolution de 1917, les armées russes désertèrent de leurs positions face à l’armée turque. Les Arméniens, Géorgiens et Azéris s’unirent pour former un gouvernement, nommé le Seim, afin de remplir le vide qui était ainsi créé. La diplomatie turque était néanmoins capable de discerner la dissention parmi eux ; en isolant les Arméniens, elle décida de les écraser.
Les Arméniens furent forcés de déclarer une République indépendante, le 28 mai 1918, et de signer un traité hautement défavorable. Peu après, les forces turques, une fois de plus, marchèrent vers la République affaiblie afin d’administrer le coup final à leur existence nationale. Mais la nation fut égale à ce fatidique défi envers son existence même. A la bataille de Sardarabad, les combattants arméniens aidés par toute la population repoussèrent l’armée turque avec de lourdes pertes.

Au cours de cette période la plus fatidique, le héros national, le Général Antranik, né à Shabin Karahissar, de la province de Sivas, se distingua avec ses groupes de volontaires, parmi lesquels se trouvaient des centaines de jeunes gens de Sivas. Il joua un rôle providentiel en protégeant les masses de réfugiés arméniens qui s’étaient échappés de Turquie.

La Légion arménienne :

La France avait décidé de prendre le pouvoir en Cilicie à la fin de la guerre. On espérait, puisque cette région historique avait été autrefois un royaume arménien, pouvoir avoir un gouvernement arménien sous mandat français, comme c’était le cas en Syrie et au Liban.
Avec cet objectif en vue, la Délégation Nationale Arménienne à Paris appela les jeunes Arméniens dispersés à former des groupes de volontaires et combattre sous le drapeau tricolore français, afin d’obtenir droit à un foyer arménien. Des centaines de jeunes gens de Sivas, ainsi que d’autres localités, répondirent à l’appel et servirent dans les unités françaises, opérant sous le commandement suprême du Général britannique Allenby. La Légion arménienne reçut l’ordre d’attaquer une forte position turque sur le front de Palestine, que des légionnaires étrangers, auparavant, avaient été incapables de prendre. En une charge féroce, la Légion arménienne réussit à capturer la position. La route turque, tout au long du front, était complète. Leurs forces, pêle-mêle se retiraient vers l’intérieur. La Légion arménienne entra en Cilicie faisant partie de l’armée française. Les autorités françaises invitèrent en Cilicie les réfugiés arméniens de Syrie et du Liban, de façon à accroître la proportion numérique des Arméniens dans la région. Ainsi, quelque 30 000 Arméniens furent réinstallés en Cilicie.
Mais hélas ! une vie paisible avait à peine commencé pour le peuple qui avait tant souffert, que la diplomatie française fit volte-face, changeant sa position pro arménienne pour une position extrêmement turcophile. Elle signa le traité d’Ankara, désarma les légionnaires arméniens et les groupes de volontaires, et se hâta d’évacuer la Cilicie, abandonnant les Arméniens à la merci des guérilléros turcs vengeurs. Le peuple sans défense, un fois de plus, fut obligé de s’échapper en hâte, et dut subir d’inévitables massacres.

Traduit de l’arménien et abrégé par Bedros Norehad.

(1) Miss Mary Graffam, directrice de l’école de filles de Sivas, qui avait héroïquement rejoint ses étudiantes dans leur exil jusque Malatia, décrivit son témoignage oculaire sur cet événement infernal dans le « Missionary Herald, numéro de décembre 1915.