Traduction Louise Kiffer
Un abrégé de l’histoire des Arméniens de Sébastia :
Géographie :
Sébastia, que les Turcs ont appelé Sivas, est
située en amont du fleuve Halys (Kizil Irmak) et
est le chef-lieu de la province. En 1915, la
population de la ville comprenait 40 000 Turcs
et 30 000 Arméniens. Le plateau sur lequel la
ville a été bâtie est à 1300 m. au-dessus du
niveau de la mer. Son climat est sain, même
quand les hivers sont rudes. La province est
riche en produits agricoles et en animaux
d’élevage. Les montagnes sont très arides, bien
qu’il y ait des parties couvertes de forêts. Un
certain nombre de mines ont été découvertes,
mais la plupart n’ont pas été exploitées,
excepté les mines de sel.
Histoire : (le développement du peuple
arménien et de la Petite Arménie).
Les Arméniens ont été le peuple indigène et
permanent du plateau arménien. Les souches qui
les composaient étaient les Hayasa-Azzis. Les
noms Hayastan et Hay sont dérivés de Hayasa.
Les cités-états d’Asie Mineure étaient liées par
leur origine raciale au groupe racial
Hayasa-Azzi. La première de ces cités-état fut,
selon une inscription hittite, Tegamma, qui
correspond à la traduction biblique Torgoma,
l’actuelle Gurin, l’une des principales villes
de la province de Sivas. La Maison de Torgom ou
Torgoma Toun a été estimée dans l’histoire
traditionnelle arménienne comme synonyme
d’Arménie. Torgoma comprend également la « terre
» de Poukhkhouva qui correspond à l’Arabkir
contemporain. Il est ainsi précisé que la terre
connue sous le nom de Petite Arménie était
habitée par des Arméniens depuis des temps
immémoriaux.
Sivas, le chef-lieu de la province de la Petite
Arménie, fut construite lors de l’arrivée au
pouvoir de la reine Putodoris de Cappadoce au
cours du premier quart du 1er siècle av. J.C. et
fut nommée Augustus ou Sevastia en l’honneur de
Caesar Augustus
Le Christianisme à Sébastia :
Au début du 1er siècle de notre ère, la religion
chrétienne fut prêchée à Sébastia, et l’une des
premières églises y fut édifiée par l’apôtre
Thaddaeus, selon la tradition.
En l’an 301, pour la première fois dans le monde
le roi Trdat III d’Arménie déclara le
christianisme comme religion d’Etat, et en 314,
comme arrangé par le Roi, St Grégoire
l’Illuminateur fut envoyé à Caesarea, accompagné
d’un long cortège, pour être consacré évêque par
l’évêque de Caesarea. Sur le chemin de retour en
Arménie, St Grégoire s’arrêta à Sébastia . Les
fidèles Arméniens et leur évêque insistèrent
pour qu’il reste plus longtemps dans leur ville,
mais il ne pouvait rester que six jours, et prit
avec lui un certain nombre de candidats à la
prêtrise afin de leur apprendre à servir dans
leur patrie. Le martyre des quarante soldats
secrètement chrétiens de l’armée romaine se
situe durant cette période. Le lieu de leur
martyre fut le cimetière arménien jusqu’en 1915.
Au cours de l’accession byzantine : Bien que la
Petite Arménie fût sous le pouvoir politique de
l’Empire byzantin, le peuple maintint ses liens
religieux et culturels avec la patrie, malgré
les efforts persistants des Byzantins pour les
assimiler et leur imposer le dogme chalcédonien,
par divers types de pression.
La Petite Arménie a donné à l’Empire Byzantin un
certain nombre d’intellectuels distingués, tels
que le célèbre orateur du 4ème siècle
Proheresius, 272-368, qui instruisit de nombreux
étudiants arméniens. L’éminent Patriarche de l’Eglise
Orthodoxe, l’évêque Atticus, était un Arménien
de Sivas, de même qu’Eustiatus, l’évêque de
Sébastia (357-376) qui initia le mouvement
sectaire pour l’église réformée, et fut le
précurseur des mouvements Paulicien et
Tondrakien.
La Petite Arménie donna à l’Empire Byzantin des
généraux célèbres dont un certain nombre
accédèrent au trône impérial. Parmi les
empereurs qui occupèrent le trône byzantin, plus
d’un étaient d’origine arménienne, même s’ils
portaient des noms grecs. L’empire byzantin faut
sauvé de la ruine par Vartan Mamikonian
(856-866), Jean Zimeskes (969-976) et Basile II
(976-1025), etc… Tant d’Arméniens importants
furent actifs dans la vie militaire, politique
et intellectuelle de l’Empire qu’un historien
anglais appela le huitième siècle : « le Siècle
Arménien ».
Le Roi Senekerim de Vaspourakan et son transfert
à Sebastia : Pendant longtemps l’Empire byzantin
s’efforça de soumettre les petits royaumes le
long de ses frontières. L’Empereur Basile II
qu’on appelait « le Tueur Bulgare » traita avec
une même rigueur les royaumes géorgien et
arménien.
Prévoyant un sort semblable imminent, et
inquiété par les incursions toujours croissantes
des Turcs Seldjouks d’Asie Centrale, le Roi
Sénékérim de Vaspourakan (Van) proposa à
l’Empereur d’échanger son domaine contre
Sébastia, et conformément, livra à l’Empire 72
forteresses, 8 cités, 400 villages et 115
monastères, recevant en contrepartie sa capitale
de Sébastia, avec sa grande population
arménienne, et deux villes Larissa et Avara,
ainsi que de nombreux villages. En 1021, le Roi
Sénékérim vint à Sébastia avec sa cour, son
armée de 14 000 hommes, et un grand nombre de
ses sujets. Là, il fit construire pour lui-même
un très beau palais royal et le Monastère de
Sourp Nichan, qui jusque l’année du génocide en
1915 servit de centre religieux et éducatif.
Sénékérim mourut en 1026, et David, l’un de ses
4 fils, lui succéda. Malheureusement, le royaume
sénékérimien ne dura qu’un demi-siècle et prit
fin avec les troubles politiques qui faisaient
rage à cette époque. Byzance alors détruisit
successivement toutes les positions défensives
de l’est. Elle occupa également le royaume
d’Arménie des Bagratouni en 1045, et le royaume
de Kars en 1065, de sorte que les Barbares
d’Asie Centrale profitèrent de l’occasion pour
envahir les territoires de l’Empire, atteignant
finalement son cœur même, Constantinople.
Désastres : En 1060, Sébastia fut ravagée par le
Sedjouk Doughril Beg, et en 1069, le successeur
de Doughril, Alpaslan, non seulement mit en
défaite l’armée byzantine à Mantzikert (Manazkert),
mais pénétra en Asie Mineure. Le Seldjouk
Danichmend vint s’établir à Sébastia, tandis
qu’à Konya le sultanat (royaume) Seldjouk fut
établi. Cela dura jusqu’en 1307.
Timurlane (Tamerlan) en Août 1400, Timurlane
arriva et investit Sébastia. Les défenseurs de
la ville, au nombre de 4000, principalement la
cavalerie et les archers, étaient pour la
plupart des Arméniens. Ils résistèrent pendant
trois semaines mais se rendirent sur la promesse
de Timurlane de ne pas verser de
sang.L’autocrate Tartare cependant ne tint pas
sa promesse et ravagea, tua les habitants, et
enterra vifs dans de profondes tranchées les
4000 soldats qui s’étaient rendus. Cet endroit
plus tard fut nommé « Terre Noire », et par la
suite, l’Ecole Aramian y fut construite.
Les Turcs Ottomans : Osman, fils du chef
Ertoghrul (1281-1325) reçut un petit territoire
qu’il agrandit peu à peu. Ses successeurs
suivirent son exemple. Ainsi Sébastia fut
alternativement soumise par les émirs Osmanli et
Turkoman. Au sein de cet état de confusion
s’élevèrent des groupes de criminels appelés
Jelalis qui s’emparèrent de la paisible
population et la tuèrent.
Les mouvements de libération nationale et de
renaissance culturelle : Malgré d’indicibles
formes de pillage et de saccage commises par
leurs dominateurs, les Arméniens de Sébastia se
considéraient toujours comme natifs, supérieurs
à leurs oppresseurs. L’Église arménienne devint
le bastion de la préservation nationale. Il y a
des références historiques d’une quinzaine de
bardes devenus des saints et des héros nationaux
qui se révélèrent des artisans efficaces de la
préservation de l’identité arménienne.
Il ne reste que quelques pièces du travail de
deux bardes de Sébastia, connus sous les noms de
Michael et Ghazar, mais nous avons de nombreux
poèmes d’amour, et de martyre de Hovsep de
Sébastia, qui constituent des exemples
inestimables de notre littérature médiévale et
renaissance culturelle.
Premier effort de libération nationale :
L’oppression des seigneurs turcs et perses était
insupportable pour les Arméniens. Par
conséquent, en 1541, le Catholicos Stépanos de
Salmast tint une réunion secrète, où l’on décida
que le Catholicos en personne visite l’Europe
pour demander l’assistance des nations
chrétiennes pour la libération des Arméniens.
Mais son appel se révéla infructueux.
Deuxième réunion secrète : elle se tint au
Monastère St. Nichan de Sébastia, sous la
présidence du Catholicos Michael de Sébastia, et
il fut décidé d’envoyer le scribe (tbir) de
Tokat auprès du Pape de Rome. Le Pape demanda
que les Arméniens acceptent le catholicisme.
Etchmiadzine était enclin à accepter, mais ses
efforts avortèrent.
Troisième essai : En 1678, le Catholicos Hakob
de Djoulfa tint une réunion secrète à
Etchmiadzine, où il fut décidé que le Catholicos
lui-même aille à Rome en personne, accepter la
suprématie du Pape, s’assurant par là sa
protection. Toutes ces tentatives échouèrent.
Sébastia et ses monastères -
Quand les royaumes arméniens de Petite Arménie
et de Cilicie furent renversés, les églises et
les monastères devinrent les principaux soutiens
du peuple arménien privé de dirigeants.
Dans la vallée en amont du fleuve Halys une
quarantaine de villages arméniens et autant dans
les alentours de Gurin et de Manjilik avaient
leurs propres monastères, ainsi que leurs fêtes
et jours de pèlerinage, et le peuple y allait en
grand nombre, offrant des sacrifices, organisant
des festivités, des chants et des danses.
Il y avait quatre monastère près de Sébastia :
Soup Nichan, Sourp Hagop, Anabad et Khonorgdour.
Sourp Nichan, fondé par le roi Sénékérim, de
1201 avait servi jusque 1915 d’évêché du
diocèse. Le monastère a eu un séminaire et a
formé de futurs prêtres. Mekhitar lui-même y fut
ordonné. Ce fut aussi un centre de manuscrits et
d’enluminures.
A présent, le monastère a été transformé en un
centre militaire turc. Les plus célèbres
monastères de la vallée supérieure de l’Halys
étaient St. Hrishtakapet, St. Takavor et Dévots,
tandis que celui de Gurin et de Manjilik était
St. Toros.
Organisation culturelle :
Jusqu’aux années quarante du siècle dernier
les Arméniens vivant sous la domination barbare
ottomane étaient privés de moyens de
développement culturel. Les puissance
européennes imposèrent à la Turquie, en tant que
grand marché pour leurs entreprises
capitalistes, certaines réformes (Tanzimat). Les
Arméniens vivant à Constantinople profitèrent
des nouvelles réglementations. Ils ouvrirent des
écoles, se mirent à publier des journaux, des
livres, et organisèrent le théâtre arménien. En
outre, en 1860, le gouvernement turc permit
l’établissement d’une Constitution nationale
selon laquelle les Arméniens pouvaient diriger
leurs propres problèmes internes.
Dans les provinces, toutefois, les circonstances
antérieures autocratiques et dangereuses
subsistèrent. Malgré ce fait, les Arméniens des
provinces qui revinrent dans leur village natal
après une période d’emploi à Constantinople,
suivirent l’exemple de la capitale et établirent
des écoles dans leur lieu de naissance. En 1850,
ils avaient organisé l’Association Sénékérimian,
pour aider les institutions éducatives. Une
organisation de bienfaisance (Akhdakhenam) fut
fondée en 1857 et continua à fonctionner
jusqu’en 1915. Grâce à l’œuvre de cette
association, il n’y avait même pas un seul
mendiant à Sivas, malgré les désastres
successifs. L’une après l’autre, furent fondées
les associations Antsnever et Loussapér en 1870,
lesquelles organisèrent des écoles du dimanche
et aidèrent les étudiants pauvres.
L’Association Dramatique (1870) commença à
présenter différentes pièces. L’Association des
Dames Arméniennes (Hayouhiats) soutenait les
écoles de filles. L’Association de Soins aux
Orphelins (Voghpasér) commença à fonctionner en
1887, et après les massacres de 1895-1896 assuma
les soins et l’entretien de centaines
d’orphelins des deux sexes, et la tâche
difficile de leur éducation. L’association
athlétique « Bartév » commença à se préoccuper
du bien-être physique de la jeune génération. En
1889 fut organisée l’Administration de l’Hôpital
National qui fit construire un immeuble pour la
santé des malades des deux sexes, et où les
pauvres recevaient des soins gratuits.
Ainsi depuis les années 50 du siècle dernier
jusqu’en 1915, il y avait plus de 70
associations philanthropiques, éducatives et
culturelles lesquelles, malgré la brève
existence de certaines, sont la preuve évidente
du caractère progressiste des Arméniens de
Sébastia.
Institutions éducatives :
Jusqu’au premier quart du siècle précédent, il
n’y avait pas d’écoles régulières en Turquie.
Les prêtres et les novices enseignaient à un
nombre limité d’élèves à lire des livres
religieux dans des écoles communales. A partir
de 1840, cependant, il y eut des écoles de
voisinage. La première école ayant un programme
régulier fut la Tarkmantchats (en hommage aux
traducteurs de la Sainte Bible). Elle fut fondée
en 1851. A partir de 1870, il y eut des
établissements scolaires pour les filles,
Kayaniants et Hripsimiants. Il y eut aussi des
écoles privées et de voisinage. L’Ecole
Secondaire Nartionale Aramian fut istallée en
1890 sur le terrain connu des Terres Noires (Sév
Hoghér) où 4000 soldats avaient été enterrés
vivants par Tamerlan. L’ouverture officielle de
l’Ecole eut lieu en 1893. Elle fournit à la
communauté plus de 100 jeunes gens bien
scolarisés. En 1912, le Collège Sanasarian, un
pensionnat de haut niveau, fut transféré
d’Erzeroum à Sébastia. Il commençait seulement à
porter ses fruits lorsqu’il fut fermé en 1915.
Dans la ville, il y avait aussi l’Ecole des
Jésuites français, et le Collège des
missionnaires américains, qui rendirent un
excellent service en instruisant les garçons et
les filles.
Le théâtre : En 1870 fut organisée une
Association Dramatique, qui présenta différentes
pièces, auxquelles les fonctionnaires turcs
assistaient occasionnellement. Pendant le
gouvernement du Sultan Hamid, toutes les
activités dramatiques furent interdites. En
1908, après la déclaration de la Constitution
Ottomane, le théâtre entreprit une nouvelle vie,
et les œuvres des Arméniens et des auteurs
non-arméniens furent présentées.
La Presse : En 1875, un Arménien natif de
Sébastia rapporta de Constantinople une presse
typographique et commença la publication de
l’hebdomadaire « Sivas », à moitié en arménien
et à moitié en turc. En 1908, deux autres
hebdomadaires virent le jour : « Antranig » et «
Hoghtar »
La Province de Sivas :
Cette province s’étendait de la Mer Noire au
centre de l’Asie Mineure, et comprenait quatre
subdivisions : Sivas, Tokat, Shabin Karahissar,
et Amasia. La surface totale était de 83 700
km2, soit aussi grande que la Belgique, la
Hollande et l’Arménie soviétique, avec une
population totale de 17 millions, alors que
celle du vilayet de Sivas n’était que de 750
000.
Le gouvernement turc n’avait pas de statistiques
fiables et essayait toujours de minimiser le
nombre d’Arméniens. Des études impartiales
montrent les chiffres suivants pour le nombre
spécifique des différentes nationalités de Sivas
:
Turcs 190 000
Kizilbach 125 000
Circassiens 45 000
Kurdes 50 000
Khalds, Afchars, Tchétchènes 30 000
Arméniens 262 000
Grecs 45 000
Comme on peut le voir, les
Arméniens constituaient la plus grande partie de
la population de la province de Sivas.
Les paysans arméniens étaient obligés de payer
des taxes deux fois plus lourdes que les paysans
turcs.
L’élément turc était principalement engagé dans
les services gouvernementaux.
Il y avait aussi un petit nombre de commerçants
et de manœuvres.
Cependant, les affaires, l’artisanat, la
fabrication, sans parler des professions
libérales, étaient largement aux mains des
arméniens. Voici un tableau comparatif des
différentes nationalités engagées dans des
entreprises de production industrielle. Il a été
préparé par M. Léart (« La Question arménienne »
pages 65-67), qui indique :
Entreprises arméniennes : 130 - turques 20 -
autres 3.
Main-d’œuvre : 14 000 Arméniens - 3500 Turcs
- 200 Grecs.
A Sébastia, il y avait :
750
commerçants : 600 Arméniens et 150 Turcs
1750 artisans : 1500 Arméniens et 250 Turcs
1500 épiciers : 1000 Arméniens et 500 Turcs
Les autres professions
donnent la même proportion.
Quand Reshid Akif Pasha était gouverneur de
Sivas, unique sincère - phénomène rare en
Turquie - quatre-vingt dix pour cent des
produits exposés étaient ceux des artisans
arméniens.
▲
Le Mouvement irrédentiste et la Question
arménienne :
En 1878, en conséquence de la guerre
russo-turque, les Bulgares furent libérés du
joug turc.
Les Arméniens firent appel à la Russie pour
imposer aux Turcs au moins les réformes
sérieuses nécessitées dans l’administration des
six provinces arméniennes. L’article 16 du
Traité de San Stéfano obligeait donc le
gouvernement turc à assumer la mise en œuvre des
réformes requises dans les six mois à venir.
L’armée russe devait rester à Erzeroum pendant
la mise en œuvre des réformes.
Malheureusement, cependant, les grandes
puissances, inspirées par la jalousie, prirent
la défense de la Turquie, et formant une autre
assemblée à Berlin, déformèrent l’intention de
l’article 16, lui substituant un autre article,
l’article 61, qui laissait la question de la
réforme à la merci du gouvernement turc. Inutile
de dire que cette tournure des événements
encouragea les dirigeants turcs à reprendre leur
politique de persécution des Arméniens. Ils
formèrent des détachements de l’armée composés
de brigands kurdes appelés « Hamidiyés » qui
opprimaient et assassinaient les Arméniens en
toute impunité. Les protestations du Patriarche
de Constantinople restèrent inefficaces. Dans
ces circonstances, deux partis politiques furent
organisés, les Hintchags et les Dashnags. Ces
organisations espéraient recevoir l’aide des
grandes puissances afin de forcer la mise en
œuvre des réformes. Le gouvernement turc
cependant, certain de la neutralité non
seulement du gouvernement anglais, mais aussi du
gouvernement russe, organisa sans aucun
obstacle, les grands massacres de 1895-96, avec
une perte de 300 000 personnes arméniennes.
Même après ces événements, la politique
d’oppression pour l’extermination des Arméniens
continua conformément à un plan secret..
L’attaque en 1904 des montagnes du Sassoun, une
position fortement défensive, ayant pour but
d’éradiquer les Arméniens de cette localité,
n’était qu’une partie de ce plan. L’autodéfense
héroïque de Sassoun ne fut pas vaincue, mais
elle coûta la vie de 10 000 fils courageux.
Une fois de plus, la Question arménienne fut
mise à l’ordre du jour, bien que le gouvernement
turc y fût fortement opposé. La diplomatie russe
trouva opportun de favoriser le plan
d’introduire des réformes administratives en
Arménie, ce qui exigeait la nomination de deux
Contrôleurs chargés de superviser la mise en
œuvre des réformes. La province de Sivas (Sébastia)
tomba dans la région spécifiée pour les
réformes, ainsi que celles de Trabizon,
Erzeroum, Van, Moush, Diarbékir (Dikranagerd) et
Harpout. Le plan aurait pu procurer un minimum
de progrès pour la sécurité et la paix des
Arméniens. Malheureusement, éclata bientôt la
Guerre Mondiale de 1914. Les Turcs, alliés aux
Allemands, lancèrent une attaque sur le front
russe, s’imaginant que le moment était venu de
réaliser leurs rêves pan-touraniens.
Or, ils furent durement battus.
▲
La
Politique turque du Génocide
On suppose généralement que l’idée du génocide a
été développée par le parti Ittihad.
En réalité, depuis leur abandon de leur foyer en
Asie Centrale et leur invasion de l’Arménie
jusqu’à la péninsule des Balkans, les Turc
n’avaient jamais constitué une majorité, et
n’avaient jamais pu assimiler la civilisation
des territoires conquis. Aussi, afin de
perpétuer leurs principes, ils organisaient
périodiquement massacres, pillages et dégâts.
Voici une image incomplète des massacres que le
gouvernement turc a organisés seulement au cours
des 150 dernières années :
1822-23 En Grèce et dans les îles 58 750
personnes
1860 Au Liban : 12 000 personnes
1876 En Bulgarie 14 700 personnes
Douze massacres partiels d’Arméniens 246 000
personnes
1895-96 Le grand massacre de 1895-96 300 000
personnes
1909 Les massacres d’Adana 30 000 personnes
1915 le génocide : 1 500 000 personnes
1918-20 Massacres de Kars, Ardahan et Bakou 80
000 personnes
Une directive barbare :
En 1878, comme la Bulgarie avait été délivrée du
joug turc,Saïd Pacha, le Sadrazam (Premier) du
jour, laissa la directive suivante à ses
successeurs pour assurer l’intégrité
territoriale de l’Empire Ottoman : «
L’intelligence demande la destruction et la
suppression de la surface de notre sol de tous
les éléments qui peuvent nous causer du mal en
créant des occasions pour l’interférence des
gouvernements européens ». Adressant ses paroles
à la question des Arméniens, il ajouta : « … En
conséquence nous devons supprimer de la surface
de notre sol la nation arménienne ». Peu après,
le Sultan Hamid essaya l’exécution de ce plan et
fit massacrer 300 000 Arméniens.
Le parti Ittihad Terrakki, qui arriva au pouvoir
à la suite de la déclaration de la Constitution
Ottomane, adopta la politique du Sultan détrôné.
Déclaration de la Constitution Ottomane
Aux 30 années de tyrannie du Sultan Hamid
s’opposa une organisation secrète connue sous le
nom de « Jeunes-Turcs » qui joua un rôle décisif
en juillet 1908 en incitant à la révolte le
Corps de la troisième armée à Salonique, et à sa
marche sur Constantinople. Le Sultan fut obligé
d’établir un gouvernement constitutionnel, qui
déclara les grands principes de liberté,
justice, égalité, et la fraternité des
nationalités qui composaient l’Empire.
Néanmoins, le Parti politique chauviniste
Ittihad Terrakki, qui vint au pouvoir, trahit
bientôt ces principes, adopta secrètement la
politique du Sultan qui planifiait
l’extermination des Arméniens, et collabora aux
massacres qui eurent lieu en 1909 dans la
province d’Adana, causant la perte de 30 000
personnes.
▲
La Politique arménienne de l’Ittihad
En novembre 1910, le parti Ittihad tint, dans
son quatier général à Salonique,
une réunion secrète à laquelle étaient également
présents certains propagandistes pantouraniens
du Caucase.. Selon le plan développé par la
conférence, toutes les tribus turques et
apparentées jusqu’en Asie Centrale devaient être
libérées de la domination russe et unies à
l’Empire Ottoman. L’Allemagne approuvait ce
mouvement. Il y avait toutefois un empêchement
précis à la réalisation de ce plan : le peuple
arménien. L’assemblée adopta le slogan « La
Turquie aux Turcs ». Cela signifiait soit de
turquifier les autres nationalités ;
spécialement les Arméniens, soit de les
détruire.
A dater de ce jour commencèrent une série de
crimes politiques, qui donnèrent naissance à la
Guerre des Balkans. La Turquie fut défaite.Les
grandes puissances participèrent également à la
conférence de la paix qui suivit.
▲
Comment le Génocide fut-il organisé ?
La suppression de toute une nation pendant une
relative période de paix était tout à fait
impossible. Mais la Guerre Mondiale de 1914 créa
une occasion extrêmement favorable pour le
gouvernement d’exécuter son plan criminel avec
succès. Pour assurer la réussite de ce projet
abominable, le gouvernement turc obtint d’abord
la neutralité de son alliée, l’Allemagne.
Un comité spécial fut créé pour diriger le
génocide. Tout d’abord, les prisonniers les plus
sanguinaires des prisons turques furent libérés
et affectés dans les endroits où les meurtres
devaient avoir lieu. Afin de devancer toute
résistance armée, tous les soldats arméniens de
l’armée turque furent désarmés et réduits à
participer à des bataillons de travail. Ensuite
furent arrêtées toutes les personnes importantes
des villes et villages, et entassées dans des
prisons, d’où, la nuit, ils étaient extirpés en
groupes, liés les uns aux autres et conduits là
où les exécutants les attendaient.
Ensuite commencèrent les recherches dans les
maisons arméniennes sous prétexte de rechercher
des armes à feu, maltraitant souvent et
torturant les membres de la famille.
Les villageois étaient traités de la même façon.
La déportation des habitants de Sébastia
commença le 22 juin 1915. Le gouvernement fait
une annonce hypocrite qui déclarait que « en
raison du temps de guerre, il est nécessaire que
nos amis arméniens de la campagne soient
déplacés dans les provinces intérieures . Leur
sécurité est garantie. Leurs maisons et
propriétés resteront sous scellés jusqu’à leur
retour ».
La population entière de la ville fut exilée en
sept « caravanes » successives. En route, tout
mâle au-dessus de dix ans était écarté et remis
aux bourreaux. Les belles jeunes filles et les
femmes furent violées et les récalcitrantes
furent tuées. Afin que les gens démoralisés
meurent de faim et de soif, on les fit passer
par des terrains montagneux sans eau. En peu de
temps, les groupes étaient décimés. Plus d’un
million et demi de gens furent sacrifiés lors de
cet acte criminel, sans précédent dans
l'histoire de l' humanité. (1)
Il est vrai qu’il y eut des cas de résistance
héroïque. Un groupe de jeunes gens de Sivas, qui
comprenait Miss Shahinian, fut martyrisé luttant
jusqu’au dernier. Les citadins de Karahissar,
dans la province de Sivas trouvèrent refuge dans
la vieille citadelle de la ville et combattirent
pendant tout un mois. Ils ne futent vaincus que
par la faim.
De même les habitants des régions de Gemerek,
Chat et Darende avaient trouvé refuge dans une
cave inaccessible. Des centaines de jeunes gens
de ce groupe se réfugièrent pendant 4 ans dans
la montagne Ak Dagh et assouvirent leur
vengeance sur les malfaiteurs.
Un groupe d’entre eux réussit même à atteindre
le Caucase et rejoignit l’armée arménienne. Un
nombre considérable de ces hommes s’arrangèrent
pour survivre pendant quatre ans, jusque
l’Armistice.
Mais le crime le plus méprisable fut commis
envers les soldats qui avaient fidèlement servi
l’État. Dans le district de Sivas, environ 10
000 d’entre eux, après avoir été désarmés,
furent utilisés comme ouvriers et artisans dans
la région du vilayet de Sivas jusqu’en juin
1916. Ils furent ensuite éloignés section par
section, emprisonnés pendant des mois et soumis
à la faim et aux privations pour les affaiblir .
Puis ils furent envoyés par groupes successifs,
et furent tués.
Malheureusement, le gouvernement turc criminel
resta impuni et aucune compensation de quelque
sorte ne fut offerte. Les puissances européennes
victorieuses, oubliant toute responsabilité
morale, guidées de sang froid par des intérêts
commerciaux, rivalisaient même les unes envers
les autres pour obtenir les faveurs commerciales
de la Turquie.
Mais une fois de plus, l’histoire s’est répétée.
Le très grand crime du chauvinisme turc servit
bientôt d’exemple au nazisme et au fascisme qui
entraînèrent la deuxième guerre mondiale,
sacrifiant 50 millions d’individus. Le crime
turc impuni servit d’exemple au génocide nazi.
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Les
Volontaires arméniens :
Des milliers d’Arméniens hors de Turquie et
spécialement des Etats Unis, en recevant les
terribles rapports concernant l’élimination
toale de leur peuple, se portèrent volontaires
pour lutter contre les Turcs sur le front du
Caucase. Ils servirent d’avant-gardes aux armées
tsaristes, luttèrent bravement et atteignirent
Erzindjan. Cependant, par suite de la Révolution
de 1917, les armées russes désertèrent de leurs
positions face à l’armée turque. Les Arméniens,
Géorgiens et Azéris s’unirent pour former un
gouvernement, nommé le Seim, afin de remplir le
vide qui était ainsi créé. La diplomatie turque
était néanmoins capable de discerner la
dissention parmi eux ; en isolant les Arméniens,
elle décida de les écraser.
Les Arméniens furent forcés de déclarer une
République indépendante, le 28 mai 1918, et de
signer un traité hautement défavorable. Peu
après, les forces turques, une fois de plus,
marchèrent vers la République affaiblie afin
d’administrer le coup final à leur existence
nationale. Mais la nation fut égale à ce
fatidique défi envers son existence même. A la
bataille de Sardarabad, les combattants
arméniens aidés par toute la population
repoussèrent l’armée turque avec de lourdes
pertes.
Au cours de cette période la plus fatidique, le
héros national, le Général Antranik, né à Shabin
Karahissar, de la province de Sivas, se
distingua avec ses groupes de volontaires, parmi
lesquels se trouvaient des centaines de jeunes
gens de Sivas. Il joua un rôle providentiel en
protégeant les masses de réfugiés arméniens qui
s’étaient échappés de Turquie.
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La Légion
arménienne :
La France avait décidé de prendre le pouvoir en
Cilicie à la fin de la guerre. On espérait,
puisque cette région historique avait été
autrefois un royaume arménien, pouvoir avoir un
gouvernement arménien sous mandat français,
comme c’était le cas en Syrie et au Liban.
Avec cet objectif en vue, la Délégation
Nationale Arménienne à Paris appela les jeunes
Arméniens dispersés à former des groupes de
volontaires et combattre sous le drapeau
tricolore français, afin d’obtenir droit à un
foyer arménien. Des centaines de jeunes gens de
Sivas, ainsi que d’autres localités, répondirent
à l’appel et servirent dans les unités
françaises, opérant sous le commandement suprême
du Général britannique Allenby. La Légion
arménienne reçut l’ordre d’attaquer une forte
position turque sur le front de Palestine, que
des légionnaires étrangers, auparavant, avaient
été incapables de prendre. En une charge féroce,
la Légion arménienne réussit à capturer la
position. La route turque, tout au long du
front, était complète. Leurs forces, pêle-mêle
se retiraient vers l’intérieur. La Légion
arménienne entra en Cilicie faisant partie de
l’armée française. Les autorités françaises
invitèrent en Cilicie les réfugiés arméniens de
Syrie et du Liban, de façon à accroître la
proportion numérique des Arméniens dans la
région. Ainsi, quelque 30 000 Arméniens furent
réinstallés en Cilicie.
Mais hélas ! une vie paisible avait à peine
commencé pour le peuple qui avait tant souffert,
que la diplomatie française fit volte-face,
changeant sa position pro arménienne pour une
position extrêmement turcophile. Elle signa le
traité d’Ankara, désarma les légionnaires
arméniens et les groupes de volontaires, et se
hâta d’évacuer la Cilicie, abandonnant les
Arméniens à la merci des guérilléros turcs
vengeurs. Le peuple sans défense, un fois de
plus, fut obligé de s’échapper en hâte, et dut
subir d’inévitables massacres.
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Traduit de l’arménien et abrégé par Bedros
Norehad.
(1) Miss Mary Graffam, directrice de l’école de
filles de Sivas, qui avait héroïquement rejoint
ses étudiantes dans leur exil jusque Malatia,
décrivit son témoignage oculaire sur cet
événement infernal dans le « Missionary Herald,
numéro de décembre 1915. |