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Plusieurs auditeurs de l'épopée « David de Sassoun » ont demandé où se trouvait la ville de Sassoun. (qui s'écrit en anglais Sassoon, et en turc « Sasun », en kurde Elih (Batman est le nom de l'une des rivières qui traversent la ville).
La ville se trouve dans la Turquie actuelle, à l'ouest du Lac de Van. C'est une ville très ancienne qui s'appelait Ulluba en 736 av.JC et avait déjà été assiégée par le roi d'Assyrie.
Au cours des premiers siècles après J.C., les patriarches de l'Eglise arménienne s'étaient installés au pied de l'Ararat. Mais Le patriarche Hovannès V décida de s'installer au monastère de Tzorovank (Salnapat) situé à proximité de cette ville.
Le texte qui suit a été écrit à l'occasion du centenaire de la bataille de Sassoun de 1904 par Jean Varoujan Guréghian, et publié dans La Lettre de l'ADL , du 14 août 2004.
Sassoun, situé au cœur de l’Arménie, a toujours été un lieu symbolique pour le peuple arménien et ce n’est sûrement pas par hasard que la grande épopée populaire et chef-d’œuvre de la littérature arménienne s’intitule « David de Sassoun ».
Rappelons aussi que Sassoun faisait partie d’une dizaine de villes arméniennes comme Zeïtoun, Chatakh, Hadjen, Mokk, etc., qui avaient conservé leur autonomie, au sein de l’Empire ottoman, pendant très longtemps. Au 7e siècle, lors de l’invasion arabe, les Sassouniotes battirent les envahisseurs et les empêchèrent d’occuper leur région. Cette victoire sur les Arabes fut d’ailleurs une importante source d’inspiration pour l’épopée « David de Sassoun ».
C’est encore à Sassoun, dans ce nid de héros, que débuta le processus d’extermination du peuple arménien il y a cent dix ans, en 1894, lorsque les Sassouniotes avaient chassé les Kurdes (pourtant puissamment armés) venus pour les rançonner. Le sultan Abdul Hamid sauta sur cette occasion pour « tester » la réaction des Occidentaux qui l’agaçaient depuis un certain temps avec la « Question arménienne ».
Extrait du petit guide Le Parti Arménien Démocrate Libéral : « …au printemps 1894, la 4e armée turque et la 26e division commandée par Zéki Pacha, forte de 12 000 hommes, ainsi que 40 000 » bachibozoukhs « kurdes armés jusqu’aux dents, marchaient vers la ville de Sassoun et sa région pour massacrer les populations locales. Les héroïques Sassouniotes devaient tout de même résister plus de six mois avec des moyens dérisoires avant de se faire massacrer… »
Malheureusement les Occidentaux ne réagirent que très timidement après cette boucherie, ce qui rassura le sultan « rouge » et lui permit d’organiser et de planifier les massacres à grande échelle dans les années 1895 – 96. Cette longue chaîne d’atrocités se déroula sous trois régimes turcs successifs, avec son point culminant des années 1915 – 17, et ne devait s’arrêter qu’en 1922, après que fut supprimée toute présence d’Arméniens dans les six provinces arméniennes de l’Empire ottoman et en Cilicie.
Mais revenons à notre sujet principal :
Il y a exactement cent ans, à Sassoun, en 1904, les héros du peuple arménien, Andranik, Sébastatsi Mourad, Gévork Tchavouch, Heraïr, Makar et les autres étaient tous là. Avec une poignée d’hommes, avec peu de moyens, ils ont tenu tête, pendant des semaines, à la puissante armée ottomane. Ils inscriront, à cette occasion, une page glorieuse de notre histoire. Andranik, qui était déjà connu fut surnommé, à cette occasion, « le héros de Sassoun ».
Extrait (et traduit de l’arménien) de « Haykakan Harts », Encyclopédie, Erevan 1996 :
« … Au printemps 1904, les Kurdes entreprennent une attaque de grande envergure sur Khiank et Khoulp. Ils se font écraser par les combattants arméniens. C’est alors que Keussé Bimbachi, à la tête de 10 000 soldats turcs et de 5 000 Kurdes, attaque au Nord, en direction des villages de Kep, Sémal et Khezelaghatj. Il veut ainsi pénétrer dans la ville et prendre aussi Aliak et Chénik. Cette ligne était défendue par le groupe de Heraïr. Quant à Andranik, il s’était fortifié avec ses hommes dans le village de Tapek en empêchant l’ennemi de s’approcher de Guéliégouzan. Ichkhanadzor et Talvorik étaient défendus par Gévork Tchavouch, quant à toute la région appelée « Tête de Tchaï », elle était défendue par les hommes de Kotoyan, de Sébastatsi Mourad et de Makar. Le 11 avril, les officiers Turcs ayant subi plusieurs attaques proposent une trêve. En réponse, les Arméniens exigent l’application des « réformes de mai 1895 ». Les combats reprennent. Et les 14 et 15 avril, l’ennemi se replie après de très durs affrontements près du village de Merker. Les Turcs attaquent cette fois avec des canons et les combattants arméniens se réfugient avec 20 000 civils à Guéliégouzan. Les Turcs subissent là encore un échec le 17 avril. Deux jours plus tard, les Turcs soutenus par leurs canons passent à une nouvelle offensive. Après plusieurs jours de combats, les Arméniens, privés de munitions, se réfugient sur la colline Sloutjak où ils résisteront encore pendant un mois. Les civils, sans armes, se réfugient dans la plaine de Mouch. Mais les massacreurs turcs tueront 8 000 personnes sans défense et saccageront 2 000 maisons. L’intervention, cette fois efficace, des grandes puissances sauvera provisoirement la population de Sassoun de l’anéantissement total. »
Privés de tout, les combattants se replieront en direction de Van et passeront en Iran.
Amer, Andranik jurera de ne plus jamais recommencer sans le soutien logistique d’un Etat tiers. « On ne peut pas se battre contre un Etat avec les armes dérisoires que nous possédons », dira-t-il. Fidèle à sa promesse, Andranik refusera, un an plus tard, de participer à l’affrontement arméno- tatare (azéri) de 1905. Il objectera que cette tentative de massacrer les Arméniens était organisée par les autorités du tsar de Russie. Mais il luttera avec ses volontaires contre les Turcs, quelques années plus tard, au côté des Bulgares. Et en 1914, il fera de même au côté des Russes.
En 1915, bien avant le 24 avril, les forces turques ont entrepris de massacrer les Sassouniotes. Cette fois les combats durèrent… cinq mois ! Très peu de combattants arméniens réussirent à percer les lignes ennemies pour se réfugier en Arménie orientale. Et lorsque les Russes reprirent, avec les volontaires arméniens en première ligne, leur offensive en Arménie au printemps 1916, ils trouvèrent par miracle environ 15 000 survivants cachés dans les montagnes du Sassoun. Ainsi, sur un total de 60 000 habitants de la région, les Turcs et les Kurdes avaient massacré 45 000 personnes. Les Arméniens de Mouch comme tous ceux de l’ensemble de la région du Taron, environ 190 000 personnes, eurent le même destin que ceux de Sassoun. Très peu survécurent au Génocide de 1915.
Il parait qu’aujourd’hui, il existerait encore onze villages arméniens dans les montagnes du Sassoun. Ils auraient échappé par miracle au Génocide. Mais les villageois seraient tous devenus turcophones et cacheraient leur origine arménienne (chrétienne).
Le centenaire de la bataille de Sassoun de 1904 démontre néanmoins qu’une poignée de combattants arméniens avait pu tenir en échec la puissante armée ottomane.
Sincères remerciements à J.V. Guréghian et ADL pour leur aimable autorisation.