Errant dans le
passé de sa vie, Vartan se rappelle
comment ses parents faisaient leur possible
pour échapper au danger, comment ils
ont laissé tout ce qu'ils avaient,
leur renommée et leurs occasions, et
pris le chemin de l'exode pour sauver les
enfants.
"Voici
le seul papier qui reste du passé de
mon mari": la femme de Vartan, Gyul,
prend un document avec une photo, d'un vieux
sac tiré d'une minable petite valise.
La photo est celle de la famille de Vartan,
et le document atteste qu'ils vivaient à
Adana. Il comporte des remarques au sujet
des membres de la famille et précise
leur religion.
"Tout était
sens dessus dessous, mon père regardait
ça et là, et mes soeurs, Orjine,
Angèle, Verjiné et Joséphine,
serraient la main de ma mère Elisabeth
pour ne pas se perdre sur la route. Puis,
disaient mes parents, beaucoup s'étaient
perdus en route", raconte le vieil
homme, faible. "Ce document est le
seul que mes parents conservaient soigneusement".
Dans la pièce
du sous-sol, sombre et humide, accompagné
par le tic-tac de l'horloge sur le mur, Vartan
Vartanyan, cloué au lit, retourne en
esprit vers son passé, il se rappelle
son père, sa mère, les difficultés
et les détails des privations de l'enfance,
laissée derrière lui.
"Je ne
me rappelle pas comment était notre
maison à Adana, mais je me rappelle
que mon père était un homme
estimé, célèbre pour
sa fabrication du pastirma et du soudjoukh.
Nous avions une boutique où il faisait
et vendait le pastirma et le soudjoukh, je
me souviens très clairement de ses
instruments et de ses gestes, il me permettait
de l'observer quand j'étais petit"
dit le survivant.
Echappé
de justesse d'Adana, Vartan Vardanyan dévoile,
du brouillard et des souvenirs de l'histoire
de son passé, la première fois
qu'ils ont perdu leur maison, et ont atteint
la Grèce, en traversant le feu et la
mort.
"Mes ancêtres
n'étaient pas très riches, mais
ils étaient travailleurs et essayaient
de faire quelque chose avec rien, et vivre",
dit-il à voix basse, en levant l'index.
"C'est typique des Arméniens.
C'est pourquoi ils ont pu surmonter toutes
les épreuves".
Le premier asile
que les Vartanyan ont trouvé se trouvait
en Grèce, où ils ont passé
sept ans. Plus tard, leur père Hampartsoum
a décidé de partir pour la patrie.
Arrivés
en Arménie, les Vartanyan ont vécu
à Artik pendant un certain temps.
"Nous ne
parlions pas la même langue que les
autochtones. Ma mère parlait principalement
en turc, et les gens d'Artik ne nous traitaient
pas très amicalement à cause
de cela" se rappelle Vartan. "C'est
pourquoi nous avons décidé de
déménager à Erévan."
A Erévan,
Vahan se mit à pratiquer le parachutisme
sportif. En 1939, il fut mobilisé dans
l'armée soviétique et alla se
battre contre la Finlande; et en 1941, il
fut requis pour la Deuxième Guerre
Mondiale.
Pendant la guerre,
il fut blessé par un obus. Toutefois,
ses blessures ne l'ont pas empêché
d'avoir une famille de quatre enfants.
La plupart des
habits suspendus aux murs humides sont couverts
de moisissure, et le seul lien qui pourrait
le relier à la vie extérieure
- le poste de radio de production soviétique
- est cassé.
Dans la pièce
qui est un mélange de passé
et de présent, le passé prédomine.
Un chapeau de soldat, appartenant à
Vartan qui s'est arrangé pour revenir
de la guerre, est accroché au mur.
Il fait froid dans ce sous-sol, et la seule
chose qui réchauffe les coeurs des
personnes âgées, c'est leurs
souvenirs.
Sur le lit se trouvent
les médailles, les félicitations
avec la signature du Président, en
commémoration du soixantième
anniversaire de la fin de la Deuxième
Guerre Mondiale.
"J'ai
créé et construit au cours de
ma vie. J'étais un homme fort, et je
pensais que ma puissance suffirait pour tout,
mais j'ai été cloué au
lit. Il y a quatre ans, mon fils est mort
dans un accident, et ma vie est devenue absurde.
Ma femme et moi vivons dans ces conditions"
dit Vartan."J'ai encore appris
quelque chose dans mes vieux jours, que la
vie est une chose dans laquelle il faut s'attendre
à ... on ne sait jamais quoi".