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Par Gérard Hékimian
Rouben Mélik nous a quittés, certes, mais il est là plus que jamais par son chant continu qu'il nous a dispensé généreusement de poèmes en poèmes, d' "A l'Opéra de notre Joie" à "Christophe Colomb", de "Lynch" à "Le Veilleur de Pierre", de "Le Poème Arbitraire" à "La Procession" (Poésie 1942-1984) et les poèmes de 1989 à 1994 réunis dans le recueil "En Pays Partagé", et d'autres encore... Tout ce flux, ce chant continuellement repris, cette harmonie souveraine, c'est aussi notre patrimoine, comme celui de tous.
J'ai rencontré Rouben Melik pour la première fois en 1948, "virtuellement", par l'entremise d'un bref article de journal. A l'époque, inconnu pour moi, il venait d'obtenir le Prix Apollinaire pour son recueil de poèmes "Passeurs d'Horizons".
Ma rencontre, effective cette fois avec lui, a eu lieu dans les années 50, à la Jeunesse Arménienne de France (JAF), dont il avait été parmi d'autres, le fondateur. Je me souviens de sa parole claire, enthousiaste mais distinguée, à la tribune d'un congrès de la JAF à Marseille. A cette époque, je m'essayais avec quelque bonheur à la traduction en français de poètes arméniens (Toumanian, Varoujan, Manouchian, Sayat-Nova...), traductions qui devaient paraître dans le mensuel "Notre Voix" dont j'étais par ailleurs rédacteur dès son n° 3.
C'est alors qu'eut lieu une rencontre indirecte, mais importante pour moi, avec Rouben Melik. Début 65, je reçus un coup de fil inattendu de l'acteur Jean-Jacques Aslanian: il me demandait des traductions de poèmes arméniens pour un spectacle qu'il allait monter en son théâtre de Plaisance, à Paris, sous le titre "Chant Profond d'Arménie" et c'est Rouben Melik qui lui avait glissé mon nom comme traducteur possible. Ainsi, grâce à lui, je participai, durant le mois de mars 65 et au-delà, au succès théâtral et critique du spectacle d'Aslanian.
Ma vraie rencontre avec Rouben devait se faire dans les années 70, à l'occasion de la mise en chantier d'un projet d'Anthologie de la Poésie arménienne, accessible en français, projet fou, inouï,, dont il sera le maître d'œuvre. Il me demanda d'y apporter ma contribution. Je me souviens de son bureau, rue de Richelieu, "Aux Editeurs Français Réunis" où j'allais lui remettre mes traductions... Quelle entreprise ! Rouben avait rassemblé autour de lui un "collège" de traducteurs-adaptateurs parmi lesquels figuraient de grands poètes français (J.P. Faye, M.P. Fouchet, J. Marcenac, L. Ray, P. Seghers). Un énorme travail de lecture, de tri et enfin de choix a été accompli par Rouben Melik avec patience, avec passion. Je me souviens lorsqu'il m'a tendu un poème d'Alichan: "Il faut qu'il figure dans l'anthologie", me dit-il.
En 1973, paraît cette Anthologie des origines à nos jours: bien sûr, comme toute anthologie on peut chicaner sur les choix retenus, sur le passage en français de tels vers... etc... mais en fin de compte ce recueil de poésie arménienne (que conclut une chronologie établie par A. Berberian) demeure pour longtemps encore, une source, une fontaine originelle où chacun pourra puiser son trésor, son Varoujan ou son Tcharentz, son Sayat-Nova ou son Kapoutikian.
L'autre rencontre avec Rouben Melik, je l'ai eue dernièrement, lors de la saison française d'Arménie-mon-amie, à l'émouvante exposition "Les Arméniens dans la Résistance" au Mémorial Jean Moulin. Je me suis trouvé face à des photographies représentant Rouben Melik en 1944 quand Paris se libérait: un responsable de la Résistance était là, fier, devant la Mairie du 18ème...Rouben, juvénile, lumineux, me faisant signe. J'entends souvent sur le disque la voix de François Chaumette, égrenant La Légende Arménienne: et là, très souvent, Rouben Melik me parle, me parlera encore... Ecoutons-le ! "
(Nous remercions le journal Achkhar pour son aimable autorisation de reproduire ce témoignage de Gérard Hékimian, du 23 juin 2007).