Interview de
Robert Melson par Khatchig Mouradian, d'Aztagdaily,
le 10 février 2005.
Traduction Louise
Kiffer.
"Toutes
les victimes de désastres pensent que
leur désastre est unique au monde.
C'est un peu comme si l'un de vos proches
mourait, vous n'aimeriez pas que quelqu'un
vous dise: Je regrette que cette personne
soit morte mais permettez-moi de vous dire
que quelqu'un d'autre aussi est mort"
dit Robert Melson dans cette interview.
En tant que survivant
de l'Holocauste, Melson a raison de penser
que la souffrance de son peuple a été
unique. Toutefois, entraîné aux
processus comparatifs, il trouve aussi qu'il
est important de dresser des parallèles
entre l'Holocauste et les autres génocides.
" Si vous voulez avoir une certaine
compréhension, il faut comparer"
dit-il. C'est ce que fait exactement Robert
Melson dans son livre: "Révolution
et Génocide - sur les origines du Génocide
arménien et l'Holocauste"
(University of Chicago Press, 1992).
Pour lui, "unicité
ne veut pas dire incomparabilité, et
comparabilité ne signifie pas équivalence".
Robert Melson a reçu son Doctorat en
Science Politique du MIT en 1967. Sa recherche
couvre le génocide et le conflit ethnique
dans des sociétés plurales.
Il est actuellement président de l'Association
Internationale des spécialistes du
génocide. Son livre "Révolution
et Génocide" a reçu le
"PIOOM Award" de l'Université
de Leiden comme le meilleur dans le domaine
des Droits Humains pour 1993 [...]
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Aztag
: Vous définissez le génocide
comme une initiative politique qui utilise
le massacre et autres moyens pour éliminer
une communauté ou une classe sociale
d'une structure sociale". Cette définition,
comme vous l'avez vous-même remarqué,
est à la fois plus large et plus étroite
que celle des Nations Unies. Pourquoi avez-vous
opté pour cette définition spécifique
?
Robert
Melson : Eh bien, ce que j'ai essayé
de faire était de résoudre le
problème de la convention de l'ONU
(sur le génocide). Plusieurs personnes
ont trouvé que la définition
de l'ONU était trop étroite,
car elle ne comportait pas les groupes politiques
et socio-économiques. On dit aussi
qu'elle est trop large car elle ne fait pas
de distinction entre le génocide général
et le génocide partiel. Ma définition
prend en considération ces deux critiques.
Cependant je ne fais pas une fixation sur
les définitions. Ce qui m'intéresse
réellement est le processus, la
réalité de ce qui a conduit
au génocide et ce qui arrête
le génocide.
Le Génocide,
pour moi est une destruction planifiée,
sur une grande échelle, d'êtres
humains innocents au sens le plus large, et
ce que j'ai fait dans le livre est d'essayer
d'être le plus exact possible quant
aux définitions, mais ce n'est pas
ce qui est le plus important.
Aztag
: Dans l'une de vos conférences, vous
avez dit: "mes parents ont commencé
à découvrir la vérité
sur ce qui est arrivé au peuple juif,
mais c'était une connaissance sans
compréhension." Etait-ce le besoin
de donner "du sens à l'insensé"
qui a suscité votre intérêt
pour ces recherches ?
Robert Melson : Oui, c'est cela. J'ai
reçu une éducation en science
politique, et comme je faisais de la recherche
politique, j'ai pensé que d'une part
je pratiquais ma profession et d'autre part,
j'étudiais la première préoccupation
de mon esprit, et ce qui me causait le plus
de souci c'était mon passé;
l'Holocauste, la destruction de ma famille.
Aussi, ma solution personnelle était
d'assembler ma recherche et ma réflexion
sur ce qui m'intéressait; et c'est
ce que j'ai fait. Je dois dire que cela m'a
pris plusieurs années pour y arriver.
Aztag
: Et pourquoi cette "compréhension"
est-elle importante pour le survivant d'un
génocide ?
Robert
Melson : Excellente question. La compréhension
ne redonne la vie à personne. Je ne
suis même pas sûr qu'elle empêche
de futurs génocides - bien que les
gens affirment que sans la compréhension,
la prévention est impossible.. A sa
base psychologique la plus fondamentale, on
est à la merci du passé; on
sent qu'on ne peut pas le maîtriser,
on sent qu'on en est victime. Bien que la
compréhension ne mette pas en route
un processus de reconstruction du passé,
ou ne ramène pas en arrière
ceux qui ont été victimes, mais
au moins elle nous donne une certaine maîtrise
sur nos propres pensées. La compréhension,
en un sens, est un processus égoïste,
c'est une manière de régler
votre propre crise. Il me semble qu'on peut
faire une analogie avec quelqu'un qui a une
maladie grave, - disons le cancer - et sait
qu'il est dans une phase terminale. L'une
des choses qu'il va faire va être d'essayer
de comprendre le cancer, cela ne va pas faire
disparaître le cancer, mais la compréhension
va l'aider à le gérer. Je crois
que c'est la meilleure réponse que
je puisse vous donner.
Aztag
: Que dites-vous des comparaisons ?
Robert
Melson : Je ne suis pas un historien;
je ne suis pas un sociologue, ni un psychologue.
Je compare les politiques. Aussi, j'utilise
naturellement la méthodologie et les
approches qu'on m'a enseignées, et
je trouve que c'est le meilleur procédé,
c'est même le seul. Si on veut avoir
quelque compréhension, il faut comparer.
La comparaison est, en un sens, la base de
toute science. Sinon, on ne peut ni comprendre
ni mesurer quoi que ce soit; il faut un point
de référence. Quel est l'éclat
de ma lampe de bureau ? La question est: comparé
à quoi ?
Aztag
: Etre à la fois un survivant et un
chercheur de l'Holocauste, est un problème
sensible d'unicité, qui peut rendre
la tentative de comparaison encore plus difficile,
n'est-ce pas ?
Robert
Melson : Je suppose que toutes les victimes
de désastres pensent que leur désastre
est unique au monde…Mais un médecin,
qui essaie de diagnostiquer un mal, recherche
les différents cas de ce mal - encore
la notion de comparaison - pour pouvoir remarquer
dans quelles conditions ce mal s'est manifesté.
Certains membres de la communauté juive
ont été sensibles à cette
question de comparaison, car l'Holocauste
est récent, et aussi car un grand nombre
de personnes l'ont subi, mais il y a aussi
une autre raison pour laquelle les Juifs pensent
que leur cas est unique. On leur dit souvent:
" oui, c'est terrible cet Holocauste,
mais bien d'autres peuples ont souffert, alors
n'en faites pas trop, soyez normal, comme
tout le monde". Et la réaction
honnête est la suivante: " Donnez-nous
une chance de nous plaindre un peu, donnez-nous
une chance d'enterrer nos morts, avant de
nous dire de devenir normal."
Il
y a donc eu une sorte de réaction émotionnelle
envers la comparaison. Mais maintenant, nous
ne sommes plus en 1955, mais en 2005, avec
les génocides cambodgien et rwandais,
et avec la connaissance de plus en plus grande
du Génocide arménien, je pense
que la plupart des gens reconnaissent qu'il
y a dans le monde beaucoup plus de cas que
la destruction d'un seul peuple.
Aztag
: Pouvez-vous s'il vous plaît expliquer
brièvement les arguments que vous présentez
dans "Révolution et Génocide"
?
Robert
Melson : Les principaux points sont à
la fois l'introduction et la conclusion du
livre. J'ai essayé de comparer le Génocide
arménien et l'Holocauste, et j'ai essayé
de ne pas seulement considérer l'idéologie
des "Jeunes Turcs" ou des Nazis,
mais aussi les circonstances dans lesquelles
ces génocides se sont produits. Une
transformation révolutionnaire a eu
lieu dans l'Empire Ottoman avec le coup d'Etat
contre Abdul Hamid, et les circonstances étaient
la Première Guerre Mondiale. Et maintenant
si l'on observe l'Holocauste, ce fut l'arrivée
au pouvoir d'Hitler qui a été
une sorte de révolution - Il a exprimé
clairement qu'il était révolutionnaire,
et que les Nazis étaient des révolutionnaires
arrivés au pouvoir, et le génocide
s'est produit pendant la guerre.
Alors une question
se pose : POURQUOI ? Qu'y a t-il
dans la révolution et la période
de guerre, qui peut, dans certaines circonstances,
provoquer un génocide ? Je pense
que l'idée simple derrière tout
cela est que les révolutionnaires essaient
de transformer leur société
de manière profonde, et que l'une des
manières de transformer une société
est d'éliminer les groupes qui ne collent
pas à l'identité que les révolutionnaires
souhaitent donner à leur société.
Et ce que fait la guerre, c'est de permettre
à ces mesures radicales d'avoir lieu,
car les guerres bloquent la société
et elles apportent des solutions militaires
à des problèmes sociaux. Or,
il n'est pas vrai que toutes les révolutions
entraînent un génocide - la révolution
américaine n'a pas causé de
génocide - la révolution anglaise
n'en a pas causé non plus - mais dans
certaines conditions, quelques révolutions
entraînent un génocide. De même,
tous les génocides ne sont pas des
produits de révolutions. La destruction
des autochtones d'Amérique, et la destruction
des peuples africains étaient des produits
de l'Impérialisme et non de révolutions.
Aztag
: Quand je lisais votre livre, je pensais
aux autres cas de génocide, ceux du
Cambodge et du Rwanda.
Robert
Melson : Oui, j'ai cité à
ce sujet un passage du livre : "The Spector
of Genocide" de Robert Gellately et Ben
Kiernan. Dans ce chapitre, je ne fais que
prolonger l'analyse du Génocide arménien
et de l'Holocauste au Rwanda. Et là
encore nous avons le genre de révolution
des années 50 - celle de 1959 - et
les Hutus arrivés au pouvoir, déplaçant
les Tutsis, prônant une idéologie
raciale; l'idéologie hamite prétend
que les Tutsis à l'origine ne faisaient
pas partie de la nation, qu'ils étaient
venus de Somalie ou d'Ethiopie, et par conséquent
ne devaient avoir aucun pouvoir et devaient
être démis de toutes leurs fonctions.
Très peu de temps après, les
massacres se sont produits. Quand on parle
aux Rwandais, ils vous disent que le génocide
n'a pas commencé en 1994, et vous font
remarquer que le processus du génocide
a commencé en 1959. La guerre, c'était
celle envers le RPF (Rwanda Patriotic Front)
commencée en 1990. Alors, au Rwanda,
on avait de nouveau les conditions de révolution
et de guerre menant au génocide.
Aztag
: Et qu'en est-il du Darfour ? Les événements
qui ont récemment causé le déplacement
de plus d'un million de personnes, et la mort
de milliers d'autres, beaucoup appellent cela
un génocide, et d'autres rechignent
à utiliser le mot.
Robert
Melson : Oui, encore. Je sais que le président
Bush et le Congrès ont utilisé
le terme "génocide", mais
quand on revient à la définition
du génocide de l'ONU, il est question
de génocide partiel et de génocide
total. Le génocide total signifie l'extermination,
c'est ce qui est arrivé aux Tutsis,
aux Arméniens et aux Juifs d'Europe.
Je pense qu'au Darfour, il y a eu un génocide,
mais c'était plutôt un nettoyage
ethnique; cela ressemblait davantage à
ce qui est arrivé en Yougoslavie, où
les gens étaient chassés et
"punis" pour des activités
politiques, ce n'est pas une extermination
planifiée, mais c'est très pénible
! Des dizaines de milliers de personnes ont
déjà été tuées,
et s'il n'y a pas assez de soutien, il y en
aura encore plus, c'est donc un génocide
partiel, mais ce n'est pas le genre d'extermination
que j'ai décrit.
Aztag
: Quand ils parlent des causes du Génocide
arménien, Dadrian et Suny n'accordent
que très peu de crédit à
la "thèse de la provocation"
selon laquelle les actions des Arméniens
auraient poussé les criminels à
réagir avec violence, mais vous, vous
rejetez complètement cette thèse.
Robert
Melson : Je pense que la différence
entre Dadrian et Suny, et moi, c'est que je
suis catégorique. Nous reconnaissons
tous qu'il y a eu des bandes arméniennes,
que les troupes russes ont commis des atrocités
envers des villageois turcs dans les villayets
orientaux, etc. La véritable question
est celle-ci : Est-ce que ces provocations
ont été la cause du génocide
?
Bernard
Lewis et les "commentateurs" turcs
disent que les provocations ont été
la cause du génocide. Mon argument
est plutôt simple; dans toute provocation,
que ce soit le génocide arménien,
ou celle d'un collègue au travail,
la façon dont vous réagissez
ne dépend pas de la provocation, elle
dépend de vous, de ce que vous pensez,
de votre attitude envers votre collègue.
Votre action n'est pas une réaction
automatique à la provocation. Si vous
marchez dans le hall, et qu'un collègue
vous bouscule accidentellement, si vous le
repoussez très durement, votre réaction
n'est pas automatiquement un produit de son
action. C'est un produit de votre mauvaise
humeur de ce matin-là, ou de votre
animosité envers cette personne, ou
de votre agressivité personnelle. En
somme, pour comprendre les actions d'une personne
qui se conduit violemment, il faut comprendre
ce qui motive cette personne, il ne suffit
pas de voir ce que la victime a fait. Il se
peut que la victime ait fait quelque chose,
ou qu'elle n'ait rien fait. C'est cela, c'est
là la base de mon argument. Ce que
j'ai essayé d'expliquer est ceci: "Voyons
ce qui arrivait aux Jeunes Turcs, qu'est-ce
qui leur passait par la tête?"
plutôt que ce que faisaient les
Arméniens.
Aztag
: Vous dites, dans l'un de vos articles, que
les gens insistent quelquefois sur le nationalisme
des Arméniens, sans voir le nationalisme
des Turcs.
Robert
Melson : Exactement. Je veux dire qu'il
y avait bien sûr un nationalisme, les
Dashnaks, les Hentchags, oui c'étaient
des mouvements nationalistes, mais qu'en était-il
des Turcs ? Le livre de Bernard Lewis "L'Emergence
de la Turquie moderne" est un livre
merveilleux, un excellent livre, mais quand
il aborde le Génocide arménien,
la façon dont il le traite est très
étrange. C'est comme si les Turcs étaient
devenus une sorte de pilotes automatiques,
et n'avaient aucune conviction personnelle,
ni aucune idéologie personnelle. Leur
idéologie était le nationalisme,
naturellement.
Aztag
: Quels sont vos centres d'intérêt
en ce moment ?
Robert
Melson : Eh bien, depuis, j'ai réfléchi
sur le génocide rwandais. Et j'ai écrit
un article là-dessus. J'ai aussi écrit
un mémoire sur les épreuves
de ma famille pendant la guerre, c'est intitulé
"False Papers" (faux papiers). Ces
derniers temps je me suis interrogé
sur la prévention. A un certain moment,
il faut se dire: "Cette analyse devrait
être utile, elle devrait entraîner
des politiques utiles". C'est pourquoi,
dans mon étude du génocide,
j'en suis venu à m'intéresser
à la question de la prévention
et celle de la résistance. Voilà
les deux questions sur lesquelles je me suis
penché, et sur lesquelles je vais probablement
écrire, en comparant le Génocide
arménien, l'Holocauste et le Génocide
du Rwanda. J'enseigne ici un cours sur le
Génocide et l'Holocauste, et très
souvent, l'une des questions que me posent
les étudiants est la suivante : "Pourquoi
ces gens ne résistent pas et se laissent
tuer ?" Et je réponds: "Parce
qu'ils n'ont pas été préparés
à résister; ce n'était
pas une population armée, et elle a
été attaquée par une
organisation armée; généralement,
cela prend un certain temps pour organiser
la résistance, et le temps de s'organiser,
après c'est trop tard, la plupart des
gens sont déjà morts".
Aztag
: Vous avez à l'esprit des cas de résistance
?
Robert
Melson : Exactement. Par exemple, la résistance
de Van, ou celle du ghetto de Varsovie, la
résistance dans certaines parties du
Rwanda. Dans certains cas il y a eu résistance,
mais dans la plupart, il n'y en a eu aucune.
Et très souvent, ce que font les victimes,
c'est de se blâmer, ou de blâmer
leur culture. La génération
elle-même qui a souffert de l'Holocauste
a été accusée d'avoir
été trop agressive, trop armée,
et trop expansive. D'une part elle est trop
passive, d'autre part elle est trop agressive,
aussi je ne pense pas que l'explication culturelle
soit très bonne. Je pense qu'une meilleure
explication serait celle de la situation et
de la structure. Les gens qui ne s'attendent
pas à être tués ne sont
pas préparés à résister,
et par conséquent, ils ne résistent
pas ! Et c'est une sorte de perte de temps
de critiquer la culture et d'essayer d'expliquer,
dans ce contexte, pourquoi on ne résiste
pas. C'est donc là ma thèse.
Il y a eu de très profondes études
sur les cultures juives, et comment pendant
des siècles, les Juifs regardaient
ailleurs pendant qu'une violence était
exercée contre eux, parce qu'ils n'avaient
aucune chance de résister, exactement
comme les Arméniens dans l'Empire Ottoman.
Le fait est que si les gens peuvent arriver
à s'organiser, s'ils peuvent obtenir
des armes, ils résistent.
Aztag
: Cela peut rendre la thèse de la provocation
de moins en moins défendable, n'est-ce
pas ?
Robert
Melson : Oui, c'est bien cela. Si les
gens sont si provocateurs, pourquoi n'ont-ils
pas résisté ? Et c'est vrai,
vous avez raison de souligner ce point, les
gens sont à la fois accusés
d'avoir provoqué le génocide,
et ils sont également accusés
d'être passifs et de ne pas résister.
L'autre question est celle du déni.
Ils ont provoqué le génocide,
ils étaient trop passifs, mais naturellement,
il n'y a pas eu de génocide . C'est
un magnifique ensemble de diabolisation et
d'humiliation des victimes, encore une fois.
D'abord ils sont tués, ensuite on
leur dit qu'ils ont été tués
parce qu'ils ont provoqué le crime,
puis on leur dit qu'ils auraient dû
résister, enfin on leur dit qu'ils
n'ont pas été tués. C'est
un beau paquet de mensonges !
Aztag
: Les historiens et les spécialistes
du génocide parlent souvent de génocide
comparatif, dans le but de comprendre et de
pouvoir éviter le génocide.
Mais le fait est qu'on dit: "Jamais
plus", et nous avons cela encore,
encore et encore, alors à quoi ça
sert ? Est -ce que tout cela finalement n'est
pas de la real politique ? On pourrait penser:
à quoi bon comparer et analyser,
on ne peut pas changer grand chose parce que
tout revient à la real politique et
aux intérêts des superpuissances.
Robert
Melson : Je pense qu'il y a en effet un
brin de vérité dans ce que vous
dites. Dans le livre de Samantha Power "A
problem from Hell: America and the age of
genocide" (Un problème d'enfer:
l'Amérique et l'âge du génocide),
l'argument de base est que ce n'est pas par
accident que les Etats Unis n'arrivent pas
à empêcher le génocide,
ils ne veulent pas éviter le génocide
à moins que leurs intérêts,
comme vous dites, soient directement menacés.
Ils ne veulent pas faire courir de risques
à leur peuple, ils ne veulent pas risquer
leur richesse. Nous avons de belles paroles,
de très beaux sentiments, et rien de
plus ne se produit; et le meilleur exemple
est celui du Rwanda, puisque l'Holocauste
s'est passé dans des conditions de
guerre mondiale, de même que le Génocide
arménien, et qu'il était très
difficile d'intervenir. Cependant, au Rwanda,
quelques bataillons de Marines US auraient
pu empêcher toute l'affaire.
La
Real Politique a joué un rôle
important. Je suppose que les universitaires
et les chercheurs interviennent un peu, mais
ils ne peuvent pas substituer leurs décisions
à celles des gens au pouvoir. Je pense
que ce qu'ils peuvent montrer est qu'il y
a des signes, qu'une situation génocidaire
est en train de se développer, et que
la prévention, dans un premier stade,
ne coûte pas si cher.
Il
n'est pas nécessaire d'envoyer des
troupes ou d'avoir à déplorer
des pertes humaines parmi ceux qui sont en
train d'en sauver d'autres. Par exemple dans
le Génocide rwandais, il y a eu
un appel au génocide à la radio,
mais les USA et l'ONU n'ont pas voulu brouiller
cette radio. Il y avait des déclarations
faites par les gens au pouvoir qui menaçaient
de génocide, personne n'a réagi
à ces menaces, personne n'a dit: "Ecoutez,
nous allons vous imposer de sévères
sanctions, nous allons geler vos comptes bancaires".
Il
y a beaucoup de choses qui peuvent être
faites si les gens font attention aux signes,
aux signes d'avertissement, et je pense que
c'est là que les universitaires peuvent
être utiles. Quels sont les quelques
signaux d'avertissement qu'un génocide
va survenir ? Je pense que si vous avez une
société profondément
divisée, en état de révolution,
pouvant mener à la guerre, je pense
que ce sont là des signaux d'avertissement;
les gens peuvent y prêter attention
ou non, mais au moins, en tant qu'universitaire
on peut dire: "regardez, pourquoi ne
faites-vous pas attention à cela dès
maintenant, avant qu'il ne soit trop tard
? Voilà comment on peut être
utile, mais naturellement notre influence
est limitée. Je suis un professeur.
J'écris, je ne commande pas des armées
!
Aztag
: Et vous pourriez aussi aider à créer
une plus grande vigilance...
Robert
Melson : bien sûr, bien sûr.
Le monde est compliqué, il n'y a pas
que la real politique; il y a dans le monde
entier une sensibilité aux Droits de
l'Homme, les gens réagissent, par exemple,
le Tsunami. Vous avez le Tsunami en Indonésie,
au Sri Lanka, le monde s'est mobilisé
autour de cela immédiatement, des millions
de dollars ont été dépensés
pour aider les gens, etc. Pourquoi cette
mobilisation n'a-t-elle pas eu lieu pour ce
qui s'est passé au Rwanda ? Or,
il y a un mouvement pour les droits humains,
c'est presque comme le mouvement anti-esclavagiste
au 19ème siècle; au 20ème
et au 21ème siècle il y a des
tas de gens dans le monde qui sont concernés
par ces choses et qui peuvent être mobilisés
pour une action et qui devraient l'être,
mais il y a aussi la Real Politique, les gens
qui sont au pouvoir définissent les
choses d'une façon mesquine, ils font
attention à l'opinion publique, ils
font attention aux coûts des actions,
et si les actions coûtent cher en argent
et en vies humaines, ils ne les font pas.
Si les actions ne coûtent pas trop cher,
et qu'il y a une pression publique pour faire
quelque chose, ils pourraient faire quelque
chose.
Je pense que je souligne une évidence,
là.