Longtemps en Diaspora,
les Arméniens retournent au pays

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Longtemps en Diaspora, les Arméniens retournent au pays
(Associated Press - dimanche 8 juin 2008)
traduction Louise Kiffer

Erevan - Qu'est-ce qui inciterait une jeune famille à abandonner une vie confortable et à déménager dans un pays pauvre où l'eau courante est encore un luxe pour beaucoup, où la politique est embrouillée et la menace de guerre est très présente ?

Pour Aline Marslian, 41 ans, son mari Kévork Sarian et leurs deux enfants, c'est l'appel de leur patrie.
"C'est quelque chose de spécial quand on quitte son propre pays" dit Marslian, qui est venu en Arménie après que sa famille eût vécu pendant des générations en Syrie.
Attiré par les opportunités économiques d'un pays changeant très vite et l'attrait du "chez soi", certaines personnes de la vaste Diaspora arménienne s'installent dans le pays que leurs ancêtres ont longtemps gardé vivant en eux, bien plus qu'en imagination. Les habitants de longue date, entre-temps, ne quittent plus le pays en grand nombre.

Alors que 3,2 millions de personnes vivent dans cette nation montagneuse du Caucase sans accès à la mer, la plus petite des républiques ex-soviétique, on estime à 5,7 millions le nombre d'Arméniens vivant à l'étranger. Les diasporas les plus nombreuses se trouvent en Russie (2 millions), aux USA (1,4 millions), en Géorgie (400 000) et en France (450 000) d'après les données du gouvernement.

La plupart de ceux de la Diaspora, comme la famille Marslian, sont des descendants de ceux qui ont échappé aux meurtres d'au moins un million et demi d'Arméniens en Turquie Ottomane au cours de la Première Guerre Mondiale, une tragédie que l'Arménie veut être reconnue comme génocide, mais que la Turquie moderne persiste à considérer comme une partie inhérente de la violence de la guerre.

Beaucoup plus tard, d'autres ont fui l'effondrement économique dont l'Arménie a souffert après l'écroulement en 1991 de l'URSS, quand l'électricité n'était disponible que quelques heures par jour, quand les gens devaient abattre des arbres pour se chauffer, et que le pain et le beurre étaient rationnés.

Le conflit dévastateur avec l'Azerbaïdjan voisin au sujet du territoire contesté du Nagorno-Karabakh, au cours duquel 30 000 personnes sont mortes, a provoqué l'exode. On estime à 500 000 le nombre de personnes qui ont quitté le pays en 1992-1994, la plupart vers la Russie.

Néanmoins, au cours des 4 dernières années, l'Arménie a enregistré un accroissement de population de 33 200 habitants, la première tendance positive depuis l'indépendance en 1991, avec l'effondrement de l'URSS, dit Vahan Bakhshétian, un expert des migrations du Ministère de l'Aménagement du Territoire. Bien qu'il soit difficile de dire combien d'Arméniens reviennent de façon permanente, Bakhshétian dit que la tendance donne de l'espoir.
"Nous voyons maintenant revenir beaucoup de ceux qui étaient partis" dit Vladimir Karapétian, du Ministère des Affaires Etrangères.
Parmi ceux qui reviennent, beaucoup viennent de la diaspora russe. Certains sont attirés ici par le développement économique, tandis que d'autres fuient la xénophobie croissante en Russie.
Garik Hayrapétyan du Fonds de la Population des Nations Unies, dit aussi que les Arméniens ne partent plus en grand nombre, mais il prévient que le rapatriement qui émerge ne tiendra pas sans un progrès économique et politique.
Pour beaucoup, le meilleur atout du pays est son riche patrimoine culturel. Il y a 2000 ans, l'Arménie était un vaste royaume s'étendant entre la Mer Noire et la Mer Caspienne. Par la suite, il a été divisé et absorbé par de plus grands états, comprenant l'Empire Ottoman et la Russie tsariste, et ensuite l'URSS.
Les Arméniens sont fiers de ce que l'Arche de Noé se soit posé dans leur pays, sur le Mont Ararat biblique, bien que la montagne au sommet enneigé fasse maintenant partie de la Turquie, surplombant Erevan. On dit que le pays est le premier état à avoir adopté le Christianisme comme religion.
Cependant, de toutes façons, l'Arménie reste un endroit incomparable pour attirer ceux qui reviennent, malgré le fait qu'en dépit du développement économique de ces dernières années, plus d'un quart de la population souffre de la pauvreté et le revenu mensuel moyen soit un maigre équivalent de 275 dollars.
L'aide de l'extérieur est cruciale. Les Arméniens de la Diaspora envoient des millions de dollars pour des projets d'investissement et de secours, et un grand nombre d'habitants survivent grâce à des transferts d'argent individuels de parents à l'étranger. Le Fonds Monétaire International estime que ces versements représentent dix pour cent de l'économie du pays.

Ceux qui envoient de l'argent sont motivés par le même amour du pays qui fait revenir les Arméniens. James Tufenkian, un Arméno-Américain, a investi quelque 30 millions de dollars pour faire revivre l'industrie de la tapisserie traditionnelle, largement détruite pendant l'ère soviétique, la construction d'hôtels, et les œuvres caritatives. Aujourd'hui, il procure des emplois à plus de mille personnes ici.
J. Tufenkian, 47 ans, a dit qu'il avait décidé d'aider le pays après sa première visite lors de la pointe du déclin économique de l'Arménie au début des années 1990..
"J'ai senti que j'avais une chance de faire quelque chose pour améliorer la vie des gens, que c'était l'appel de ma patrie", dit-il lors d'une interview au téléphone avec New York.
Aujourd'hui, Erevan se transforme peu à peu d'une cité effondrée en une capitale vibrante et moderne. Le centre ville est fier de ses boutiques occidentales , des coûteux restaurants, et de sa jeunesse branchée.

Pourtant le reste de la ville, perché au sommet des collines est un pauvre mélange de blocs d'appartements de l'ère soviétique et de maisons délabrées de deux ou trois étages, avec du linge pendu aux balcons. L'air est très pollué, surtout par les gaz d'échappement des voitures de l'ère soviétique qui encombrent la ville. Certains quartiers d'Erevan continuent à subir des coupures d'eau courante, comme dans les années 1990.
Alors que l'Arménie est considérée comme l'une des républiques les plus libres de l'ancienne URSS, la fragilité de sa démocratie est apparue récemment cette année. Huit personnes ont été tuées dans des affrontements entre les forces gouvernementales et les activistes de l'opposition qui contestaient les résultats des élections. Le conflit du Nagorno-Karabakh augmente aussi la tension.

Mais interrogez Kévork Sarian sur la vie en Arménie et l'émigré qui a quitté la Syrie avec sa femme et ses enfants, parle plutôt de ses retrouvailles au pays natal que du climat politique.
Le Sarian barbu et souriant avait été à l'Université d'Erevan au début des années 1980 et disait qu'il avait toujours souhaité revenir. La famille a emménagé en 1998, et lui a réussi à faire quelques affaires, et sa femme a tenu une laverie.
Aujourd'hui, à 46 ans, Kévork Sarian dit qu'il s'est senti séparé de ses voisins syriens. "Même s'ils vous regardent aimablement, vous êtes toujours un étranger, c'est là le sentiment de tout Arménien en Diaspora", dit-il.
Son fils de 15 ans, Ardag, ajoute qu'en Arménie, "on sent qu'on est dans son pays".
Le rapatriement n'a pas été aussi facile pour Aline Marslian, la mère de famille. Elle se rappelle une vie de classe moyenne à Alep, une ville de la partie nord de la Syrie, avec l'eau courante 24 heures par jour, et les marchés pleins de fruits et légumes. A Erevan, quand la famille est arrivée, il n'y avait de l'eau que deux heures par jour, parfois le seul pain qu'on trouvait était rassis, et elle regrettait l'emploi qu'elle aimait beaucoup d'ingénieur en construction.
Mais dix ans plus tard, assise dans un appartement neuf, spacieux, décoré de photos de famille, Aline dit qu'elle n'a plus de regrets "J'ai décidé que c'était ici mon pays".

Un rapatrié plus récent, Zoraïr Atabékian, 36 ans, espère un avenir similaire. Il est revenu en 2005 après 5 ans au Canada, avec le mal du pays et dans l'espoir de fonder une affaire. Bien qu'il gagne beaucoup moins en vendant de la bijouterie à Erevan, qu'à diriger une entreprise d'architecture d'appartement à Montréal, il dit qu'il savait que finalement sa décision se révélerait juste.
"Aujourd'hui, ce pays offre un tas de possibilités" dit-il. "C'est pourquoi de nombreux membres de la Diaspora reviennent ici pour monter des entreprises".



Sources - International Herald Tribune
USA ARMENIAN LIFE MAGAZINE - N° 1109 - du 20 au 30 juin 2008
Rédacteur en chef: Appo Jabarian