Souvenirs
d'enfance de Khoren Margossian
(extrait
raconté par Louise Kiffer)
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Quand il est arrivé à l'orphelinat
, il ne se souvenait que de son prénom
Khoren, celui de son père Haroutioun
, de sa mère : Takouhie, et de son
grand-père Margos. Le directeur lui
a donné comme nom de famille : Margossian.
Bien
plus tard, par des survivants de son village,
il a appris que son nom de famille était
Karagavourian, qu'il était né
à Arouzga, commune de Baibourte, dans
l'Empire ottoman, qu'il avait une grande famille,
que le maire du village avait reçu
l'ordre d'aviser la population qu'elle devait
quitter le village le 21 juin 1915. Ils avaient
deux heures pour se préparer.
Il
se rappelle qu'il avait six ans, il avait
une soeur Makrouhie âgée de huit
ans, et un petit frère Peniamine 4
ans. Ses grands-parents étaient avec
eux.
Les
gendarmes avaient dit que c'était un
petit voyage, qu'ils reviendraient dans quelques
jours. Ils avaient déjà emmené
son père et son grand frère
Michel, et tous les hommes et les jeunes gens
du village. Ils avaient ramassé toutes
les armes, et même les couteaux de cuisine.
Une
partie des déportés avaient
mis leurs affaires dans des chariots. Mais
sa mère n'avait pas de chariot. Ils
sont partis à pied. Avant de partir,
il a vu ses copains attraper des poules et
des coqs et les donner aux gendarmes. Lui
aussi a attrapé une poule et l'a remise
à un gendarme. Ces enfants croyaient
bien faire.
Sa
mère a emmené une de leurs vaches,
et puis quelques vêtements et de la
nourriture.
Quand ils furent hors du village, il se passa
quelque chose d'horrible : les gendarmes attachèrent
son cousin et un autre arménien, jetèrent
de la paille sur eux et y mirent le feu. Les
femmes se mirent à crier et à
pleurer. Peu après ; ils abattirent
d'un coup de fusil son oncle qui était
instituteur, et plusieurs autres personnalités.
Les autres déportés étaient
obligés de marcher, sans regarder autour
d'eux. Les enfants étaient fatigués.
Sa mère a pris Peniamine sur ses épaules.
Tout le monde avait très peur.
Le soir, ils sont arrivés dans un village
appelé Koups. Des gens ont proposé
à sa mère de se convertir à
l'islam pour sauver sa vie, mais elle a refusé.
Ils ont passé la première nuit
dans un champ. Le lendemain matin, d'autres
déportés se sont joints à
eux. Ils ont dit que les hommes importants
avaient été tués et les
prêtres brûlés vifs. Ils
ont rencontré une jeune tante de sa
mère. Au moment où ils allaient
l'embrasser, deux Turcs l'ont prise et l'ont
emmenée.
Les
gendarmes frappaient avec des matraques ceux
qui traînaient ou qui restaient en arrière.
Ils les empêchaient d'aller boire de
l'eau. Les enfants avaient soif. Les mères
qui allaient chercher de l'eau étaient
tuées sur place. Le soleil tapait fort.
La chaleur était accablante.
Des
Arméniens de la ville d'Erzindjan les
ont rejoints. Le nombre des déportés,
malgré les morts, augmentait de jour
en jour. Il en venait de toutes les villes
et villages.
Sa
mère espérait sauver ses enfants
à Karakoulak, car le maire était
un ami de leur père. A leur arrivée
dans ce village, comme une halte était
prévue, elle est allée voir
cet homme qui lui a répondu : "
je peux garder vos enfants, mais pas vous.
Vous les reprendrez au retour, s'ils sont
encore en vie ". La mère a refusé.
Le
lendemain, ils ont reçu l'ordre de
faire demi-tour. Ils croyaient retourner chez
eux. Mais ils furent déçus.
On leur fit faire deux fois de suite l'aller-retour,
puis ils purent s'arrêter dans une vallée,
loin de toute habitation. Il ne leur restait
plus rien à manger. La mère
leur donnait à sucer un mouchoir qui
avait contenu du beurre.
Trois
jours plus tard, ils virent arriver une bande
de sauvages, armés de sabres et de
poignards. Ils séparèrent d'abord
les hommes des femmes et enfant. Ils firent
avancer les hommes, avec la lame de leur sabre,
au milieu du champ. Ensuite eut lieu le carnage.
Les hommes tombaient, les uns après
les autres. Le champ fut couvert de cadavres.
Les femmes et les enfants hurlaient.
D'autres
assassins vinrent ensuite, armés de
haches, poignards, barres de fer, gros bâtons...
C'étaient les " bachibouzouks
". Le massacre continua, sans arrêt.
Il y avait des morts partout.
Les
mères décidèrent d'habiller
leurs petits garçons en filles. Lui-même
fut revêtu d'une robe de sa soeur. Il
aperçut son grand-père au loin,
un Turc s'est approché de lui et lui
a tranché la tête avec son sabre.
La grand'mère a couru vers lui, elle
a subi le même sort.
Puis
les Turcs trièrent les petits garçons
au-dessus de huit ans, ils les tuaient devant
les yeux de leur mère. Ou alors ils
prenaient les garçons deux par deux,
ils leur cognaient la tête l'une contre
l'autre, jusqu'à la mort.
Ils
s'attaquèrent ensuite aux femmes. Ils
prirent d'abord leurs bijoux, bracelets, bagues,
boucles d'oreilles... Avec la pointe de leur
poignard, ils leur ouvraient la poitrine,
ils leur faisaient subir des atrocités
inimaginables. Enfin ils leur plantaient le
poignard dans le coeur.
Comment oublier de telles scènes ?
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