Les
manuscrits de Bardzer Khaïk étaient
toujours ornés de riches motifs végétaux,
de feuilles recourbées et de volutes.
Les prototypes de ces ornements se retrouvent
dans l'art pré-chrétien. Ils
évoluent ensuite dans le sens d'une
stylisation de plus en plus prononcée.
Ces manuscrits étaient parfois illustrés
de dessins graphiques placés dans les
marges. Ceux-ci pouvaient être des portraits
de hauts dignitaires de l'Eglise ou de seigneurs,
ou des figures de saints.
La
production des scriptoria de l'ancien royaume
d'ANI a presque entièrement
disparu. Il nous reste les oeuvres de deux
miniaturistes Margaré et Ignatios.
Ce dernier fut témoin de l'invasion
mongole et laissa l'inscription suivante:
"Ce manuscrit a été écrit
à l'époque douloureuse et funeste
où Ani la capitale a été
prise et où l'on assistait à
d'innombrables destructions de villes et de
pays". Ignatios lui-même tomba
aux mains des ennemis, mais il réussit
à se libérer et continua son
oeuvre de miniaturiste.
Un ouvrage de l'époque porte en post-scriptum:
"Les temps sont si durs que depuis quatre
ans j'écris en appuyant mon livre sur
la paume de ma main".
Dans
la province de Siounik, au sud-est
du Lac Sevan, s'épanouirent les deux
dernières grandes académies
arméniennes de Gladzor et Tatev. L'oeuvre
de Mateos reflète les traditions
locales. Celle de Momik reproduit la
fine sculpture ajourée des Khatchkars.
Momik décore parfois toute la surface
du fond de demi-cercles, généralement
bleuâtres qui évoquent les nuages
et semblent symboliser le caractère
sacré des événements
représentés.
Le
Vaspourakan , au nord-est et au sud du
Lac de Van, fut le berceau d'une civilisation
très ancienne. Au début du Moyen
Age, c'était une principauté
indépendante d'où près
de 1500 manuscrits nous sont parvenus. Les
thèmes les plus fréquents sont
tirés de l'Ancien Testament. Les miniaturistes
de Vaspourakan ont exercé leur maîtrise
dans d'autres domaines de l'art: la taille
des pierres, l'orfèvrerie, la confection
des tapis. Cela leur a permis d'introduire
dans leurs livres des procédés
empruntés à ces différentes
techniques.
Le
Nakhitchévan a produit des miniatures
dans lesquelles figurent en abondance des
animaux, des oiseaux, des sirènes et
des visages humains. Le travail est plein
de fougue et de passion, de vivacité
et d'adresse. L'Artsakh, Outik et le bassin
du Lac Sevan, mêlent dans les manuscrits,
en particulier dans la principauté
de Khatchen, les traditions d'origine aristocratique
et populaire. Ils font preuve d'une grande
valeur artistique. Les thèmes favoris
sont l'enfance du Christ, la parabole des
vierges sages et des vierges folles, Adam
et Eve, et la trahison de Judas. Autre particularité
de ce groupe, les peintres sont les seuls
à représenter un ange aux ailes
déployées jouant de la flûte.
Dans les miniatures d'Artsakh chaque détail
est achevé jusqu'à la perfection.
L'enluminure
cilicienne :
La capitale de l'Etat, Sis, s'enorgueillissait
d'une citadelle imprenable et d'un magnifique
palais aux murs ornés de reliefs, aux
intérieurs couverts de mosaïques
ou revêtus de marbres et de dorures,
possédant une bibliothèque et
un immense parc Il y avait aussi à
Sis de nombreuses églises, des écoles,
des bains et un hôpital. Les monastères
connurent une expansion parallèle à
celle des villes. Les scriptoria étaient
en pleine activité. Les premiers Arméniens
exilés en Cilicie ne rompirent pas
les liens qui les unissaient à leur
patrie. Mais les nouvelles conditions de vie
influencèrent les principes picturaux.
La première innovation est la réduction
du format des manuscrits. Ce sont des livres
de format relativement modeste, faciles à
tenir en main. D'autre part l'ornementation
devient plus riche. Ce sont les exemplaires
les plus précieux, enfermés
dans des reliures ouvragées, qui ont
survécu, car ce sont eux que les Ciliciens
ont choisi d'emporter lorsque la chute du
royaume les contraignit à quitter le
pays.
Les
plus célèbres peintres de Cilicie
sont :
Grigor Mlidjétsi, Toros Rosline, Hovannès
et Sarkis Pitsak. Le miniaturiste le plus
en vue était Toros Rosline qui avait
travaillé à Romkla, dans le
scriptorium du patriarcat. Ses miniatures
jouissaient d'une grande renommée.
On ne sait pratiquement rien de sa vie, comme
on ignore tout de la plupart des peintres
de son époque.
De
Sarkis Pitsak, nous est parvenu un épisode
par l'évêque de Sébaste,
Stépanos, qui raconte :
"Moi, pasteur et brebis égarée,
suis allé en Cilicie, pays béni
de Dieu, pour adorer les reliques de saint
Grégoire, et y ai reçu un accueil
plein d'estime et de respect de la part du
patriarche Constantin et du roi Ochine. Et
le pieux roi Ochine a voulu me faire un cadeau,
à moi, indigne et méprisant
les biens temporels, j'ai désiré
posséder un Evangile. Sur l'ordre du
roi, j'ai pénétré dans
les réserves du palais où étaient
rassemblés les livres saints, et celui-ci
m'a plu entre tous car il était écrit
d'une belle écriture rapide et décoré
d'images polychromes, mais il était
inachevé: une partie était terminée,
une autre n'était que dessinée
et beaucoup d'espaces étaient restés
vierges. J'ai pris le manuscrit avec une grande
joie, me suis mis à la recherche d'un
artiste habile et ai trouvé Sarkis,
dit Pitsak, prêtre vertueux et fort
compétent en matière de peinture.
Et je lui ai donné 1300 drachmes, fruit
de mon travail honnête, et il a accepté,
avec un soin extrême, il a achevé
et complété les illustrations
manquantes et leur dorure, pour ma plus grande
joie. Tout fut achevé en l'an 769 (1320)
du calendrier arménien, en des temps
amers, difficiles et épouvantables..."
Les
miniaturistes Avétis, Stépanos,
Khristosatour, et Mkhitar Anétsi ont
travaillé dans ce qu'il est convenu
d'appeler les colonies arméniennes,
c'est-à-dire les différentes
régions où des Arméniens
s'étaient installés fuyant les
guerres et les invasions qui frappèrent
si souvent leur pays. Des colonies arméniennes
s'établirent ainsi en Grèce,
en Italie, en Iran, en Russie, en Bulgarie,
en Roumanie, en Pologne, en Inde en Egypte
et dans plusieurs autres pays. Les Arméniens
entraient ainsi en contact avec l'art des
pays où ils avaient trouvé refuge,
mais ils conservaient aussi leur fidélité
aux traditions nationales. Parmi les nombreuses
colonies, celle de Crimée fut l'une
des plus importantes. Les Arméniens
créèrent en Crimée de
nombreux monuments architecturaux dont plusieurs
ont survécu, et créèrent
des centres arméniens d'écriture
et d'enluminure.
Enfin,
de nombreuses miniatures sont dues à
des artistes anonymes.
Après
avoir connu des périodes de floraison
et de déclin, la miniature arménienne
médiévale tomba progressivement
en décadence à partir du 14ème
siècle. L'apparition de l'imprimerie
a contraint l'art du manuscrit à céder
sa place au graphisme, tandis que l'enluminure
et la fresque furent peu à peu évincées
par la peinture de chevalet.
Mais
l'histoire de l'art n'oublie aucune de ses
pages de gloire, et la miniature qui reflète
avec bonheur la noblesse de l'idéal
esthétique de Moyen Age, continue à
faire partie des trésors de la culture
mondiale.
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Adaptation
par Louise Kiffer d'extraits de textes de
E. Korkhmazian, G. Akopian et I. Drampian,
d'après "La Miniature arménienne
13ème et 14ème siècle",
Collection du Maténadaran Erévan
- Editions d'art Aurora - Léningrad-
1984
La
plus grande partie des manuscrits arméniens
du Moyen Age est actuellement conservée
au Maténadaran (Institut Mesrop Machtots)
d'Erevan.