Une interview d'Etyen Mahcupyan

Retour à l'accueil - Pour m'écrire directement - Mon site personnel

Par David Barsamian
The Armenian Weekly, 14 juillet 200

Traduction Louise Kiffer

L'interview ci-dessous d'Etyen Mahcupyan, rédacteur en chef d'Agos, a été réalisée à Istanbul en juin dernier.

David Barsamian - Parlez-moi d'Agos

Etyen Mahcupyan - L'histoire d'Agos date de 10 ans, et c'est le journal de la communauté arméno-turque. Elle a commencé dans le but d'ouvrir en grand les portes et fenêtres de la communauté au public, d'amener le public turc à la compréhension des problèmes de la communauté, et de le familiariser avec la manière dont vivent en Turquie les Arméniens et les non-Musulmans. Je pense que cet objectif a été principalement atteint au cours des dix années écoulées, quand Hrant était là.

En fait, il pensait faire d'Agos un journal presque semblable à un journal turc, c'est-à-dire le libérer des liens communautaires. C'est là ce que nous essayons de faire maintenant. Les changements dans le journal avaient déjà été conçus par Hrant et moi-même lors de plusieurs discussions l'an dernier. Mais nous avions l'intention de faire ces changements en automne, parce que c'est une année d'élection, et nous avons plusieurs problèmes. Mais le destin nous a conduits à faire ces changements en février.

D.B.- Combien d'Arméniens y a-t-il à Istanbul et en Turquie, en tout ?

E.M.- Eh bien, la plupart vivent à Istanbul maintenant et leur nombre s'élève à 60 000-70 000. Personne ne connaît le chiffre exact, car les élections et autres sondages ne répondent pas souvent à ces questions. De son côté, l'Eglise n'a pas toutes les données au sujet des Arméniens.

Mais il semble qu'il y ait environ 60 000-70 000 Arméniens en Turquie, dont 95 pour cent sont à Istanbul. Et naturellement il y a des Arméniens musulmans, qui se sont convertis pendant, avant ou après 1915.

D.B. Combien de gens lisent le journal ? Dépendez-vous des abonnements ou des ventes en kiosques ?

E.M.- La moitié provient des abonnements et l'autre moitié des ventes en kiosques. Nous en vendons environ 5000 à 6000 maintenant. Le problème est que chaque numéro est partagé et lu par peut-être 8, 10 ou 12 personnes. Nous savons que parfois deux ou trois familles achètent le journal ensemble, et le partagent pendant la semaine.

D.B.- Parlez-moi de Hrant Dink, qui était pour vous un collègue et un ami intime.

E.M. - Bon, il est toujours très difficile pour moi de parler de Hrant. C'était un ami très, très proche. Non seulement nous partagions les mêmes opinions politiques, mais nous nous voyions l'un l'autre comme la famille et les amis.

Nous avions l'habitude de bavarder six ou sept fois par jour, sur la politique et autres sujets. Il avait une énergie incroyable. C'était un politicien, je dirais génétiquement, car il n'oubliait pas une personne qu'il avait rencontrée. Il se souvenait de chacun, par son nom. Même s'il n'avait pas vu quelqu'un depuis 10 ans, il se rappelait immédiatement son nom, et lui parlait.

Il était chaleureux, et se laissait facilement attendrir. Il était en relations avec presque tout le monde, avec des gens qui partageaient ses points de vue et avec ceux qui ne les partageaient pas. Je dirais que c'était un Arménien typique. C'est-à-dire qu'il était quelqu'un de très humble. Il profitait des détails quotidiens de la vie. De temps en temps, je me disais qu'il était forcément impliqué dans la politique. Il avait une telle richesse intérieure. Je pense que la meilleure façon de vivre pour lui aurait été peut-être d'être directeur d'école ou d'un centre pour enfants. Il était de ce genre de personne.

D.B.- Pourquoi a-t-il été assassiné ?

E.M. - Eh bien, la principale raison est la situation politique en Turquie, situation qui déclenche le nationalisme turc de telle façon que les jeunes gens sans réelles croyances, et ayant des craintes dans la vie, sont facilement transformés en assassins. Hrant n'a pas été le seul à être tué au cours des 5-10 dernières années, et presque tous les tueurs venaient d'un fond et d'une idéologie nationalistes. Cela montre comment fonctionne le nationalisme et comment il est manipulé en Turquie.

Naturellement, l'autre raison est qu'il était un Arménien. Sinon, il aurait été protégé, au moins. Nous savons que les gens qui envisageaient de le tuer, l'avaient déjà décidé depuis presque un an, et que la police et les services militaires étaient au courant.

Il y avait eu de nombreux rapports à Ankara, mais rien n'a été fait. Aussi, cela nous force-t-il à nous poser la question: "Si Hrant avait été un Turc, serait-il encore en vie ?". Je ne connais pas la réponse.

D.B. - Il avait l'habitude de se comparer à une colombe. Veuillez expliquer cela.

E.M.- Eh bien, la colombe peut voler, mais ne veut pas voler trop loin, vous savez. Elle s'envole, puis elle revient au même endroit, parce qu'elle y est habituée. C'est pourquoi il y a beaucoup de colombes dans les cours, autour des églises, des moquées, etc... On a l'impression que la place leur appartient, et pas à nous.

Oui, c'est une bonne métaphore pour Hrant, parce qu'il possédait réellement cet endroit. Il le possédait dans son c½ur et dans son esprit. Il aimait tellement la Turquie, le peuple turc et les Arméniens de Turquie, qu'en un sens, il était aussi la colombe de la cour.

Il n'a jamais voulu s'envoler parce que sa vie était en danger. Tout le monde était au courant de la menace sur sa vie, mais à chaque fois que nous partions quelque part en Europe ou aux Etats Unis, au bout de deux ou trois jours, il disait: "Que faisons-nous ici ? Il faut que nous retournions à l'endroit auquel nous appartenons."

D.B.- Son assassinat déclencha une réaction très intéressante, ici à Istanbul. De nombreux non-Arméniens, -Turcs, Kurdes, Chrétiens- ont manifesté et avaient des panneaux disant: "Nous sommes tous des Arméniens. Nous sommes tous Hrant". Est-ce que cela vous a surpris ?

E.M. - Le nombre de gens, c'est cela qui m'a surpris. A part ça, je savais qu'il y avait ce sentiment, car il y a un immense changement en Turquie. Le problème avec les Turcs, est qu'ils changent mais qu'ils ne savent pas comment le faire sentir en politique. De sorte qu'on ne les entend pas parmi les politiciens, et on ne les voit pas dans les rues. Mais quand on leur parle, ou qu'on se rend en Anatolie, on voit qu'il y a un énorme changement dans la mentalité du peuple.

Je savais qu'il y aurait des millions de personnes qui serait affligées et qui pleureraient pour Hrant, mais je ne m'attendais pas à ce qu'autant de gens se rassemblent immédiatement après sa mort. Quand on a appris sa mort, il y eut 10 000 personnes à Taksim.

D.B.- Sentez-vous que le tabou de parler du génocide est progressivement en train de se briser ? De nombreux écrivains, par exemple Orhan Pamuk, qui a reçu le prix Nobel, Elif Shafak et d'autres, en parlent maintenant. Dehors, sur la place publique.

E.M. - Oui, tout le monde connaît Elif Shafak et Pamuk, mais il y a beaucoup de gens en Turquie, spécialement des historiens, qui écrivent à ce sujet. Quant aux sciences, ce n'est plus un tabou. Et si l'on va dans le peuple, non plus.

Quand j'ai été en Anatolie il y a dix ans, les gens étaient irrités, et hésitaient à en parler. Maintenant quand on y va, ils ont envie de vous raconter des récits qu'ils ont entendus de leurs grands-pères. Donc, sociologiquement, il n'y a plus un tel tabou.

Mais politiquement, en ce qui concerne ce que l'Etat ou les partis politiques peuvent et ne peuvent pas faire, il y a ce pseudo-tabou à cause de l'atmosphère nationaliste. Et l'atmosphère nationaliste utilise la "Question arménienne" ou le génocide arménien comme outil. Car le problème principal est la question de l'adhésion à l'Union Européenne. Et dans un monde où la Turquie fera partie de l'UE, ces sujets ne seront plus tabou. De sorte que les gens qui ne veulent pas que la Turquie entre dans l'UE utilisent le génocide arménien et la question arménienne en toute liberté pour mobiliser l'atmosphère nationaliste et arrêter le processus d'adhésion.

D.B. - Ainsi c'est devenu, comme on dit en anglais: "un football politique"

E.M. - oui.

D.B. - Parlez-moi de cet article 301 du Code pénal turc.

E.M. - Tout d'abord, je dois dire que ce n'est pas le seul article [qui cause problème]. Mais il est très probable que l'Etat ou l'appareil bureaucratique relève un des articles du Code pénal, et travaille dessus. Et tout le monde dit: "C'est quoi ce problème ? Il faut changer ça ". Et ils le changent et passent à un autre article. On ne peut donc pas changer l'atmosphère légale turque en abolissant le 301. Mais le 301 a ses propres problèmes spéciaux, parce qu'il ne différencie pas l'insulte d'une argumentation et d'une analyse plus normale.

Ainsi, à chaque fois qu'on relève un thème relatif à la turquicité, vaguement connecté à la turquicité, ou peut-être à quelque événement historique qui peut être considéré comme une insulte à la turquicité, l'article 301 peut être utilisé contre vous. C'est là le problème avec le 301, et récemment tous ces gens qui ont été poursuivis en justice l'ont été à cause de cet article.

Mais je dois le répéter, ce n'est pas là le seul coupable. Tout le Code pénal est plein de ce genre d'articles. En fait, l'une des ONG qui travaille sur ces problèmes a cité 10 ou 12 articles comme celui-ci qui peuvent être utilisés si le besoin s'en fait sentir.

D.B.- "Insulter la turquicité" semble un concept intéressant. Par exemple, si je dis que le "Lahmadjoun" ou le "doner kebab" sont des aliments mauvais, est-ce que ce serait considéré comme une insulte à l'identité turque ?

E.M. - Eh bien, je pense que cela montre que vous êtes au seuil de l'insulte à l'identité turque, et là vous relevez maintenant les sujets les plus anodins. Alors la réaction pourrait être: "Nous ne savons pas ce que vous allez dire demain, nous ferions donc mieux de vous garder à l'œil".

D.B. - Vous voulez faire progresser Agos, et atteindre un plus large public. Comment allez-vous faire cela ?

E.M. - Eh bien, nous avons la version anglaise maintenant. Nous avons de grands espoirs pour cela, quoique les abonnements soient encore très peu nombreux. Mais nous continuerons à travailler là-dessus, et essaierons de voir si la Diaspora s'intéresse réellement à la Turquie. Parce que, naturellement, s'intéresser à Agos signifie s'intéresser à la Turquie. Sinon, Agos ne devient qu'une question sentimentale pour vous. Aussi, est-ce là notre principale porte de sortie. Sinon, il faut connaître la langue turque pour comprendre le journal. Nous faisons des relevés dans les kiosques, et constatons que 70 à 80 pour cent des journaux sont achetés par des Turcs musulmans. Ainsi l'an dernier environ, Agos est devenu un journal propre à promouvoir la démocratie, au lieu d'être simplement un journal arménien. Comme aurait dit Hrant, nous préférons avoir des abonnés démocrates arméniens et démocrates turcs plutôt que seulement la communauté arménienne. Car nous savons, et de nombreux Arméniens s'en sont rendu compte, que sans une démocratisation de la Turquie, il est impossible de résoudre les problèmes de la communauté arménienne aujourd'hui en Turquie. Et il est impossible de résoudre tous les problèmes relatifs à l'Histoire.

D.B. - Quels sont ces problèmes en termes de droit civil et de droits humains ?
Est-ce qu'un citoyen arménien de Turquie a légalement les mêmes droits qu'un citoyen arménien ?

E.M. - Sur le papier, la plupart des droits sont les mêmes. Mais quand on en arrive à la pratique, on ne voit jamais un fonctionnaire public arménien, par exemple. C'est une règle acceptée dans la bureaucratie. On ne peut même pas devenir facteur.

Et pourquoi ? Peut-être parce qu'il porte un uniforme. Ceux qui portent des uniformes, qui ne font pas leur service militaire pendant un an ou six mois ou autre, doivent être des Turcs ethniques. Cela n'est écrit nulle part, mais c'est la pratique. Quoique, s'il nous arrivait de demander aux Arméniens s'ils sont contre ce règlement ou pas, je suppose qu'ils ne seraient pas très intéressés, car aucun ne veut être facteur ni général. Mais notre principal problème concerne les propriétés que nous avons et qui ont été confisquées par l'Etat au cours des trente dernières années, et l'Etat maintenant fait tout pour ne pas nous les rendre.

D.B.- Quelles sont ces propriétés ? A Istanbul ?

E.M. - Oui, la plupart sont à Istanbul. Elles appartiennent aux fondations arméniennes. Et il faut se rendre compte que 30 à 35 pour cent des habitants d'Istanbul étaient Arméniens. La plupart de ces propriétés étaient dans le centre ville, et avaient donc une grande valeur.

Ces propriétés appartenaient à un ou deux millions d'Arméniens, et maintenant, bien sûr, ils ne sont plus que 60 000. Une telle richesse appartenant à une si petite communauté. Aussi, l'Etat essaie-t-il de créer de nouveaux blocages pour empêcher la communauté de faire usage de ces propriétés, et il utilise plusieurs tactiques. L'une des lois, par exemple, est que si une fondation n'a pas un conseil d'administration, alors elle appartient à l'Etat. Mais il y a une autre loi qui dit que pour être élu à ce conseil d'administration, il faut vivre dans ce quartier. Or, avec les 60 000 Arméniens vivant dans différents quartiers, que dire des quartiers où les Arméniens n'habitent plus ? Qu'arrive-t-il après une période de dix ans par exemple ? Ces propriétés deviennent automatiquement des propriétés d'Etat.

La communauté essaie maintenant de récupérer ces propriétés, et a déjà deux affaires à la Cour de Justice Européenne.

Donc, comme je le constate, avec ces grands processus européens, la communauté arménienne a commencé à chercher à obtenir ses propres droits.

D.B.- Aujourd'hui, si j'habitais ici et étais un citoyen de Turquie, pourrais-je acheter un immeuble ou un appartement ?

E.M. - En tant qu'individu, oui. Mais dans le cas des fondations, nous parlons de grosses propriétés. Autrefois, quand il y avait une église, tous les bâtiments autour de l'église étaient appelés "vakfiye" (pieux, ndt) parce que l'église vivait du revenu de ces propriétés. Aussi, partout où il y a une église, y a-t-il au moins une centaine de mètres autour qui appartiennent à la communauté, et non seulement l'église, mais également les écoles, les hôpitaux, les cimetières. Ce sont toutes des fondations, elles ont toutes des propriétés qui sont 5 à 10 fois plus étendues que la terre sur laquelle elles ont été construites.

D.B. - Et qu'en est-il des lieux historiques comme Akhtamar à Van, Sourp Guiragos à Diyarbekir, ou Ani ?

E.M.- Eh bien, ce sont des problèmes plus simples, car ils ont une valeur symbolique mais n'appartiennent à aucune fondation. Ils deviennent des musées, etc... Ils ne font pas partie des richesses arméniennes de Turquie, mais ce sont des symboles du passé arménien.

Il y a donc un côté politique, mais c'est aussi un problème plus facile à résoudre, car comme je l'ai dit, ces édifices vont devenir des musées et seront administrés par l'Etat.

D.B.- Mais est-ce qu'ils sont identifiés comme historiquement arméniens, ou sont-ils appelés "byzantins" ou "anciens" ?

E.M. - La bureaucratie fait tout pour ne pas les appeler "arméniens". On change les mots, les lettres, etc... pour tenter de les faire ressembler à des mots turcs et ainsi de suite. Mais cela devient de plus en plus difficile.

D'autre part, il faut se rendre compte qu'en 1915 il y avait environ 2300-2500 églises sur cette terre, et aujourd'hui nous n'en avons plus qu'environ 35. Un grand nombre est en ruines maintenant, et peut-être que nous ne pouvons pas faire grand chose avec celles-ci. Mais il y en a environ 300 qui pourraient être rénovées.

C'est là un immense travail pour l'Etat, et il est très dur pour un nationaliste turc d'accepter que ces ruines appartiennent aux Arméniens, car cela voudrait dire qu'ils admettent que tous ces gens ont un jour vécu ici. Et alors on pourrait leur demander: "Qu'est-il arrivé à tous ces gens" ?

C'est pourquoi la rénovation avance très très lentement. Ce qui nous rend optimistes, toutefois, est l'initiative prise par quelques Turcs musulmans en Anatolie qui se sont réunis et ont dit: "Il y a une église ici. C'est une église arménienne. Nous voulons conserver cette église. Nous voulons rénover cette église." En plusieurs endroits, les Turcs musulmans essaient de permettre au moins que le site historique soit restauré et utilisé de nouveau.

D.B. -Que pensait Hrant Dink et que pensez-vous de certains Arméniens de diaspora qui ont pu avoir des jugements sévères au sujet de ce que vous deviez faire ici en Turquie ?

E.M. - Cela montre que les gens continuent à maintenir leur identité en tant que communauté, lorsqu'ils pensent et disent ce que les autres devraient faire.

Je pense qu'on doit comprendre les sentiments et les opinions de ces personnes; mais nous avons toujours pensé que ce qu'ils font n'est pas juste politiquement.

D.B.- Expliquez voir en quoi.

E.M. - Politiquement, si le génocide est le principal et si la Turquie doit accepter le génocide arménien, il est évident qu'une Turquie entrée dans l'Union Européenne serait plus en position d'accepter le génocide arménien qu'une Turquie qui serait restée dehors. Aussi, devrions-nous espérer que la diaspora soit pour l'adhésion de la Turquie. Mais ce que nous voyons dans certains cercles de la diaspora est une approche pour punir la Turquie. Bien sûr, ils ont raison, et je comprends ces sentiments, mais la condamnation d'un Etat signifie la condamnation de la société aussi. Or, la société a changé et n'est plus la société de 1915. Il y a des parties qui n'ont pas changé, naturellement, comme ces gens qui ont tué Hrant, mais la majorité est différente.

Et on ne peut pas défendre la cause arménienne en condamnant une autre société. L'Etat, c'est autre chose. On peut aller contre l'Etat, car c'est un acteur délibéré. Si l'Etat agit immoralement - et la plupart des Etats agissent toujours immoralement - là c'est un fait, et on peut avoir des opinions politiques à ce niveau. Mais dès qu'on détourne son énergie et essaie de condamner la société aussi, cela provoque un contrecoup, et c'est absurde, et cela rend les vies des Arméniens ici beaucoup plus difficiles et beaucoup plus vides de sens.

D.B.- Il est donc plus facile de parler, pour quelqu'un qui habite à New York ou à Los Angeles.

E.M. - Toujours ! De même qu'il est plus facile pour nous ici de parler de New York. Nous savons que la diaspora a eu une vie difficile dans ces pays, parce que ces gens venaient de Turquie, et en Turquie la communauté était fondée sur une compréhension autoritaire de la religion. Il y avait un patriarche, et le patriarche, encore en Turquie, est censé être le dirigeant de la communauté. Mais quand on va en Europe, ou aux Etats Unis, on est dans un pays très laïque. Bien sûr, il y a encore des patriarches, mais il n'ont plus du tout la même influence sur le public. Alors, on a besoin de quelque chose d'autre pour rassembler la communauté. Le génocide arménien fonctionne donc comme outil à cet égard. Nous devons aussi nous rendre compte, que si l'on bâtit la communauté sur une question historique laïque comme celle-ci, alors on crée une relation de pouvoir à l'intérieur de la communauté. On crée une hiérarchie dans la communauté.

Et ce rapport de forces et cette hiérarchie éloignent encore plus la communauté du fait d'être une communauté démocratique. Et ce que Hrant cherchait à faire était de former des communautés arméniennes démocratiques dans le monde entier.

D.B. - Et quelles sont vos relations avec la République d'Arménie, à part la langue et la culture ?

E.M. - Dans notre vie tous les jours, nous n'avons vraiment pas beaucoup de relations. Mais tous les Arméniens commencent de plus en plus à s'intéresser à ce qui se passe en Arménie. Naturellement, avec l'Arménie si proche de nous, nous éprouvons un sentiment de

D.B. - réconfort ?

E.M. - Confiance, peut-être. Il est très difficile de signaler ces sentiments, parce qu'il n'y a pas de sondages là-dessus. Mais d'après ce que je vois d'Agos, la communauté arméno-turque s'intéresse réellement aux nouvelles concernant l'Arménie.

Je pense qu'avec le processus de l'UE et les relations qui se sont établies en 2006 entre l'UE et l'Arménie, chacun se rend compte que dans 10 ou 15 ans, nous aurons l'Arménie et la Turquie dans le même sac. Cela peut arriver. Si la Turquie est un peu en retard pour l'adhésion, la probabilité d'un tels scénario devient plus grande. Aussi, ce qui se passe en Arménie va être très important pour la communauté arménienne d'ici, exactement aussi important que ce qui se passe en Turquie.

D.B. - Mais maintenant, la frontière est fermée, n'est-ce pas ?

E.M. - La frontière est fermée si l'on y va en voiture. Mais si on prend l'avion, elle est ouverte. Il y a plusieurs vols par semaine. Je crois que le gouvernement turc veut résoudre ce problème, mais avec l'élection cette année, et les nationalistes, il semble qu'il attende une conjoncture favorable pour prendre cette mesure.

David Barsamian est le fondateur et le directeur d'Alternative Radio www.alternativeradio.org

source: http://www.hairenik.com/armenianweekly/fpg07140703.htm

NB - des extraits d'une interview de David Barsamian par Khatchig Mouradian peuvent être lus en arménien sur le site:
http://www.aztagdaily.com/interviews/barsamian_arm.htm
également en anglais et en français.