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Ce bref récit est une partie de la vie de la grand'mère de Joanne Julian, artiste peintre de Los Angeles, qui l'a découvert récemment après la mort de sa mère, en rangeant sa maison.
Ecrit le 18 septembre 1950.
Mes souvenirs ne remontent pas plus loin que le tremblement de terre, survenu avant les massacres de 1897. Du séisme, je me rappelle seulement que mon père avait dressé une tente dans notre jardin, où nous pouvions dormir la nuit, car nous n'étions pas sûrs de pouvoir dormir dans la maison après cela.
Lors des massacres de 1897, les Turcs impitoyables ont laissé ma mère veuve avec six enfants. Deux ans après les massacres, un philanthrope, le Père Baghdassarian, a voulu accueillir de dix à quinze enfants, je fus l'une de ces enfants, mais il m'a accepté à contre cœur car mes parents étaient 'loussavortchagan' (appartenant à l'Eglise apostolique arménienne).
J'avais dix ans à cette époque, et je me sentis très malheureuse de devoir quitter ma mère, mes frères et sœurs et ma maison. Cette souffrance, je ne l'ai jamais oubliée. Je n'ai jamais oublié les derniers baisers et les dernières larmes versées sur moi. On nous fit monter dans une caravane et partir loin de Malatia.
Nous avons voyagé pendant vingt jours jusqu'à notre arrivée à Boursa. Le bon Révérend, après nous avoir laissés nous reposer pendant quelques jours, a commencé à écrire notre histoire. Quand vint mon tour de raconter, le pasteur fut très intéressé quand il apprit que mon père avait combattu vaillamment contre les Turcs, et quand il m'entendit dire que mon père avait déclaré: "Je dois mourir pour que mes enfants voient des jours meilleurs". Mon père était un Hentchag qui avait tué de nombreux Turcs. Sa dernière cartouche, il l'a tirée contre lui-même, il n'avait pas d'autre issue, car il savait que s'ils s'emparaient de lui, ils le tueraient après le longues tortures. Mon père était un homme très courageux. Ainsi mon histoire fut écrite et envoyée aux associations philanthropiques. Mais j'avais un oncle en Amérique qui aidait parfois les orphelinats financièrement.
Cinq années passèrent, où j'avais reçu un enseignement primaire et secondaire.
Le Révérend Baghdassarian nourrissait et éduquait 150 étudiants. Quand les étudiants atteignaient l'âge de 15 à 20 ans, il les renvoyait dans leur village natal; et ceux qui étaient venus avec moi furent renvoyés à Malatia. Mais mon oncle demanda à me recevoir en Amérique.
Le 3 octobre 1903, j'arrivai en Amérique et me rendis à Fresno. J'allai au poste de police et demandai où trouver mon oncle.
Un homme de grande taille écoutait notre conversation. Il dit au policier: "C'est ma nièce". Et le policier me confia à cette grande personne.
Mon oncle se souvenait de mon enfance. Naturellement, je ne me souvenais pas de lui. Après lui avoir posé quelques questions, je fus certaine que cette grande personne était mon oncle. Mon oncle m'emmena chez son amie Mrs. Saroyan et me laissa chez elle. Au bout de deux semaines, j'ai été dans la maison de mon professeur, où je suis restée encore deux semaines. Entre-temps, mon oncle avait loué un logement avec une autre famille. Là, j'ai rencontré les voisins avec lesquels nous sommes restés environ cinq ans.
Pendant ce temps, mon esprit avait beaucoup mûri. Combien de fois dans mes rêves n'avais-je pas vu les Turcs tuer mes chers petits frères, je me réveillais effrayée, rendant grâce à Dieu que ce ne soit qu'un rêve.
Quand je suis arrivée en Amérique, mon plus grand désir était de travailler, de gagner de l'argent pour délivrer ma mère, mes frères et mes sœurs des mains des horribles Turcs. Il m'a fallu cinq ans pour réunir cinq cents dollars. Pendant ces cinq années, j'envoyais 50 dollars par an à ma mère et à mes frères, pour qu'ils puissent vivre. La sixième année, je leur ai écrit que je leur enverrais l'argent du voyage s'ils voulaient venir en Amérique, mais que je ne pourrais pas leur envoyer de quoi vivre ici. Jusque là, j'était redevable à mon oncle.
Eh bien, ça ne fait rien. Au moins, trois d'entre eux furent sauvés.
Mon frère aîné retourna à Malatia et épousa sa fiancée. Malheureusement, les Turcs les tuèrent.
J'ai épousé Hovannès Lulejian, qui venait d'être libéré de l'U.S.Navy. Mon mari n'avait pas réussi dans le commerce. Il rejoignit la marine US quand notre premier enfant eut 10 mois. Il reçut l'ordre de se rendre aux Iles Philippines.
C'étaient des nouvelles pénibles, mais il n'y avait rien à faire d'autre, que partir ou mourir. Il partit, et quelque temps après, il m'écrivit de faire une demande de déménagement à Manille. C'est ce que je fis. Avec mon bébé, et 125 autres familles, nous avons entrepris ce voyage depuis San Francisco. Cela nous a pris un mois entier dans l'Océan Pacifique. Nous sommes arrivés à Manille. Mon mari était là pour nous accueillir. Il avait loué une petite maison à Cavite. Nous y vécûmes environ 4 ans. Quand son service a pris fin, nous sommes retournés aux Etats Unis. Mais à ce moment-là, l'Amérique avait déclaré la guerre à l'Allemagne, et il rejoignit la Marine. En tant que menuisier, il fut incorporé dans une troupe de transport de bateaux. Il échappa trois fois à la mort. Après avoir servi 16 ans, dans la Marine en service actif, il faut transféré au service de réserve dans le 11ème district de San Diego
(le manuscrit s'arrête là).
Traduction Louise Kiffer