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La nation a perdu la collection inestimable du magnat en faveur du Portugal
il y a 50 ans. Enfin, les trésors retournent à Londres,
écrit Alice O'Keefe
Alice O'Keeffe
Dimanche 19 février 2006 , "Observer"
Traduction Louise Kiffer
Quand la "National Gallery" a refusé un legs inestimable du magnat du pétrole Calouste Gulbenkian en 1950, la Grande-Bretagne s'est privée de l'une des plus considérables collections d'art du monde. Des tableaux de Rubens, Degas, Monet, Turner et Gainsborough furent expédiés du pays par bateau, ainsi qu'une multitude d'œuvres d'art comprenant des sculptures égyptiennes, des tas de pièces gréco-romaines d'or et d'argent, de délicats vases Qing, des velours ottomans et de l'orfèvrerie Lalique.
La collection et son propriétaire excentrique trouvèrent refuge à Lisbonne où le Musée Gulbenkian et la fondation caritative Gulbenkian devinrent l'une des pierres angulaires de la vie culturelle portugaise. Mais maintenant, pour la première fois depuis plus d'un demi-siècle, la collection est en train de prêter quelques-uns de ses tableaux, des œuvres contemporaines britanniques par des artistes comprenant David Hockney, Bridget Riley, Patrick Caulfield et Paula Rego – pour une exposition à Tate Britain, en commémoration du 50ème anniversaire de la Fondation. "Gulbenkian était un sujet britannique, il semble donc opportun de marquer l'anniversaire en Grande-Bretagne" dit George Molder, directeur du "Gulbenkian Museum of Modern Art", qui fournit des tableaux pour l'exposition devant s'ouvrir en mars. "En tant qu'organisation, nous avons toujours eu des liens très étroits avec la Grande-Bretagne. Ce fut la bonne fortune du Portugal, que la collection ne reste pas là-bas, comme il l'avait projeté".
Un conflit diplomatique repose derrière la décision de la "National Gallery" de refuser le legs. Arménien né en Turquie, Gulbenkian avait acquis la citoyenneté britannique en 1920. Il avait consacré une grande partie de la fortune qu'il avait amassée en tant que "Monsieur Cinq pour cent", propriétaire de 5 % de la Compagnie 'Iraqi Petroleum', à se constituer une collection d'art. Il se proposait fièrement d'en faire don à la "National Gallery", et projetait même de payer la construction d'une annexe spécialement destinée à l'exposer.
Mais ses relations avec la Galerie et avec le Gouvernement britannique se détériorèrent au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Gulbenkian était irrité d'avoir été classé comme "étranger ennemi" par la Grande Bretagne, quand il était resté chez lui à Paris après l'invasion allemande. Il demanda que cette classification fût supprimée de son dossier, mais les Britanniques refusèrent, par un mémorandum du Gouvernement en 1944, qui le qualifiait de "bienfaiteur douteux". Gulbenkian avait aussi provoqué la désapprobation du gouvernement par ses tentatives d'éviter de payer la taxe britannique sur ses millions. Après des années de négociations, le legs tomba à l'eau quand l'ami de Gulbenkian, Kenneth Clark fut remplacé en tant que directeur de la "National Gallery" par l'irascible Philip Hendy, qui s'opposait à ses plans.
"Gulbenkian n'en voulait pas aux Britanniques" répète Rui Esgaio, directeur du bureau du président de la fondation à Lisbonne. Une partie de sa famille continuait à vivre au Royaume Uni. Quand la Fondation fut établie, il semblait opportun qu'il y ait une agence à Londres".
On dit que le dictateur portugais Antonio de Oliveira Salazar aurait offert à Gulbenkian une exemption de taxes pour faire venir ses trésors dans le pays. Le Musée Calouste Gulbenkian est aujourd'hui l'une des attractions touristiques majeures de Lisbonne. Des carreaux de faïence du Moyen Orient sont incrustés dans les murs, et une pièce pleine de superbes lampes de mosquées syriennes est adossée à son propre jardin fermé, représentant l'idée islamique du paradis.
"Pour créer une collection comme celle-ci, il faut être un artiste", dit Maria Deolinda Cerqueira, Conservatrice du Musée. "Ces œuvres d'art représentent parfaitement la personnalité de Gulbenkian, reflétant son intérêt aussi bien pour l'art islamique que pour l'art occidental. Il était un pont entre les deux cultures."
La Fondation Gulbenkian, créée un an après sa mort en 1955, est fière d'avoir à son actif 2,5 millions d'euros et un budget annuel de 100 millions d'euros, la plaçant comme l'une des organisations charitables les plus importantes du monde. Elle dépense 85 % de son budget au Portugal, à financer les arts, le développement social, l'éducation et la science. La branche britannique finance le prix britannique annuel Gulbenkian de 100 000 £ pour les musées et les galeries et sponsorise le 'Tate Triennal', une exposition du nouvel art britannique qui continuera à être présentée en même temps que l'exposition Gulbenkian de mars. Mais à ce jour, les trésors une fois accaparés par la Grande-Bretagne sont restés difficiles à saisir "Gulbenkian n'achetait que les œuvres qu'il aimait – il ne les vendait, ni ne les prêtait. Il considérait ses œuvres d'art comme ses enfants", dit Maria Cerqueira. Peut-être cela explique-t-il pourquoi il répugnait à les laisser partir".
Source : http://www.guardian.co.uk/print/0,,329415889-110427,00.html