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Par C.K. Garabed
Traduction Louise Kiffer
Artin Vakrouni regarda longuement la lettre entre ses mains. C'était souvent comme ça. Alors que la plupart des gens s'empressent de lire le contenu, il s'amusait à essayer de deviner ce que la lettre contenait. L'adresse de l'expéditeur lui dit qu'elle provenait d'un ancien collègue et ami Shirvan Zaradusht.
Ses pensées retournèrent longtemps auparavant, quand lui et Shirvan, un vieil intellectuel iranien, travaillaient ensemble à déchiffrer des fragments de tablettes trouvées profondément dans les ruines d'Erebouni. Cette époque était vraiment une ère de découverte. Qu'il était enthousiasmant de déterrer des trésors dont on n'avait pas rêvé ! Ni or, ni argent, ni diamants ni rubis, mais des trésors culturels, l'histoire passée des Ourartiens. Ensuite, lui et son ami partirent, se séparèrent, chacun dans des voies différentes. Lui, dans une vie de prétention universitaire, et Shirvan dans un parcours archéologique. Après ce qu'ils avaient vu, cela ne les intéressait plus de correspondre l'un avec l'autre.
Mais maintenant, il y avait un mot de Shirvan. Il devait avoir près de 90 ans ! Artin sentit que l'arrivée de cette lettre à ce moment-là était un présage. Finalement, il l'ouvrit. Elle était écrite d'une main mal assurée.
Mon cher Artin,
Tu es sans doute étonné de recevoir cette lettre. Nous savions tous deux que nous n'avions plus rien à nous communiquer après la grande aventure de notre vie. Toutefois, j'ai une affaire inachevée à m'occuper, qui me conduit dans ta direction. Dans ta direction, car de toutes les personnes en vie que je connais, tu es la seule à qui je puisse confier ce que je vais te raconter.
Il y a très longtemps, avant notre grande aventure, j'ai eu le grand frisson de ma vie lors d'une autre grande aventure. C'était le travail que je faisais avec le professeur Ebeling, le chercheur allemand d'antiquités classiques. C'était à sa demande que j'avais participé avec lui à la traduction de l'écriture cunéiforme assyrienne, et des tablettes de l'ancienne Babylone, qui menèrent à la découverte de l'épopée sumérienne de Gilgamesh.
Ebeling avait confié à ma garde certains fragments, et quoique notre intérêt se concentrât très rapidement sur les tablettes de Gilgamesh, il y avait d'autres fragments qui m'intéressaient moi, et seulement moi. C'est alors que je suis tombé sur un fragment qui ne pouvait pas être révélé au grand public dans le monde, car il était susceptible d'être mal interprété au point de vue politique et religieux. C'est pour cette raison que j'ai caché les fragments, et les ai gardés secrets pendant les 65 dernières années. Tu es horrifié, je sais. Mais quand tu sauras ce que je vais te révéler, tu comprendras. Il faut d'abord que je te mette au courant du contexte.
Depuis le Moyen Age, nous avons les concepts de MACROCOSME et de MICROCOSME, le MACROCOSME étant le grand monde de l'univers, et le MICROCOSME étant le petit monde, ou l'homme, qui incarne le grand monde. Ces concepts sont représentés par les figures géométriques du pentagone et de l'hexagone. Le pentagone, qu'on appelle aussi pentacle, était l'étoile à cinq branches qui représentait le microcosme. L'hexagone était l'étoile à six branches qui représentait le macrocosme. Mais ce n'était pas vraiment une étoile. C'étaient plutôt deux triangles équilatéraux dont l'un était superposé dans le sens inverse de l'autre. Ainsi, cela remontait au symbole hébraïque appelé par les non-initiés l'Etoile de David ou le Bouclier de David. Les plus instruits l'appellent le Sceau de Salomon, Salomon étant le roi philosophe et fils du roi David des Israélites. Mais encore, le commun des hommes, de nature populaire, interprète le symbole mystique comme une amulette destinée à préserver de la maladie.
David adopta le symbole venu des anciens Sumériens, mais c'est Salomon qui devina la véritable signification des deux triangles. A ce sujet, c'est l'hexagone qui semble le plus représenter le MICROCOSME, l'homme.
La validité de ce que je t'écris provient du message contenu dans les fragments de tablettes en ma possession. Si l'on pouvait m'accorder la liberté de fournir les portions manquantes des tablettes, je produirais l'inscription suivante:
"Le symbole représente l'homme. Cette partie du symbole qui est le triangle dont la pointe est en haut, représente le principe masculin. La partie du symbole qui est le triangle dont la pointe est en bas, représente le principe féminin. La partie du triangle qui dépasse l'autre en haut est celle attribuée au principe masculin, incompréhensible au principe féminin. Elle représente la logique, la pensée consécutive, et la semence de la créativité. La partie qui dépasse en bas du triangle est celle des attributs du principe féminin, qui est incompréhensible au principe masculin. Elle représente l'intuition, la pensée discrète et l'œuf de la créativité. Ensemble, elles représentent l'humanité".
Ce que cela a à voir avec les 12 tablettes de base contenant l'épopée de Gilgamesh est une affaire de conjecture. Cependant, je peux expliquer ce rapport, plutôt confidentiellement, comme suit:
Gilgamesh, en tant qu'équivalent du Dieu Soleil, représente le principe masculin. Enkidu, qui est un homme sauvage vivant avec les bêtes des champs, symbolise l'homme primitif, et représente le principe féminin. Quoique Enkidu eût été créé pour agir en tant que rival de Gilgamesh, mettre un frein à sa force et contester son contrôle tyrannique, sa séduction par une femme anéantit ses instincts et aiguise son esprit, le transformant ainsi du principe féminin en masculin. Gilgamesh et Enkidu, en fait, deviennent amis, et ensemble ils envoient Khumbaba, le gardien de la forêt de cèdres où demeure la déesse Ishtar, et tuent aussi le taureau divin envoyé contre eux. La mort ultérieure d'Enkidu oblige Gilgamesh à dénicher les secrets de l'immortalité de Ut-Napishtim, qui a survécu au grand déluge (qui a précédé le déluge biblique, comme l'a décrit Gurdjieff le mystique).
Après de nombreuses épreuves, Gilgamesh trouve Ut-Napishtim et apprend de lui le secret de la jeunesse éternelle. Il est contenu dans une certaine graine que Gilgamesh réussit à obtenir, seulement après l'avoir arrachée à un serpent.
La division en 12 tablettes, qui correspond à la course annuelle du soleil, projette plus loin les héros de l'épopée, dans les cieux, parmi le système mythologico-astral.
Ci-inclus se trouvent les instructions qui t'aideront à prendre possession des fragments de tablettes. J'ai confiance en ton jugement quant à l'époque propice à la révélation de ce secret à la Fraternité maçonnique et au grand public. Il se peut que cela ne se produise pas au cours de ta vie, comme cela le fut pour moi.
Dans ce cas, tu dois te contenter de garder ce projet, et le passer, avec ma documentation, à la seule personne en qui, à ton tour, tu puisses faire confiance, et avec les mêmes instructions que je t'ai données.
Jusqu'à ce que vienne ce jour final, tu peux faire des conjectures sur le degré de connaissance possédé par la fraternité maçonnique (successeur des Chevaliers du Temple) qui a prédominé dans la promotion de l'inclusion du Sceau de Salomon dans le Grand Sceau des Etats Unis d'Amérique, en gardant à l'esprit que les symboles maçonniques du Compas et du Carré, superposés l'un sur l'autre, sont des représentations énigmatiques tout à fait semblables de l'hexagone susmentionné et une coïncidence encore plus étrange avec la philosophie sumérienne contenue dans les fragments de tablettes.
Le dernière chose qu'Artin eut à l'esprit avant de s'endormir cette nuit-là fut la signification du nombre 12. Il y a 12 signes du Zodiaque. Douze dieux et déesses compris dans les panthéons sumérien, babylonien, grec et romain. Le Christ a eu 12 apôtres. Le Credo de Nicée dans la liturgie arménienne est construit musicalement en 12 sections. Est-ce un nombre mystique ? Exactement comme Sherlok Holmes faisait référence à ces quelques thèmes qui le dépassaient, à son frère Mycroft, Artin allait appeler son frère Hovhannès demain. Il pourrait fournir les réponses.
Source:
AWOL (Armenian Weekly On-Line) Volume 73, No. 2, January 13, 2007
(Ndt – pour plus d'information sur Gilgamesh voir le site, entre autres:
http://shs.epfl.ch/pdf/mediterranee/med1e_cours_semaine2.pdf