A
la suite de mon article précédent
intitulé "Emile Gallé,
homme de culture et foi", l'une
de mes lectrices, qui habite Reims,
m'a proposé d'aller voir au Musée
de Reims, la commode qu'Emile Gallé,
Maître de l'Art Nouveau, avait
dédiée aux victimes arméniennes
des massacres d 'Abdul Hamid de 1894
à 1896.
Il
n'est pas nécessaire d'être
arménien pour s'intéresser
à l'art et aux grandes causes
humanitaires. Cette noble lectrice et
son mari, qui sont tous deux professeurs
d'histoire, ont été passionnés
par cette recherche. Ils ont pris rendez-vous
avec les responsables du Musée
des Beaux-Arts de Reims, qui leur
ont réservé le meilleur
accueil.
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On sait qu'Emile Gallé
s'inspirait de la nature. En 1883, il
construit de vastes ateliers, de nombreux
artistes et artisans travaillent pour
lui. En 1889, ils sont environ 300.
Il interdit à ses collaborateurs
de reproduire une fleur sans en avoir
le modèle sous les yeux. Mais
il ne se contentait pas de copier, d'imiter,
il prenait des motifs floraux et leur
insufflait une vitalité.
"Nos arts exhaleront des senteurs
de prairies , altruisme et beauté
parfumeront nos vies " écrivait-il.
C'était un grand humaniste.
Il écrit à son ami Roger
Marx : " Cher Roger , je suis
malade , mais je veux aller jusqu'au
bout car le but est grand : faire
la guerre aux ignominies de ces temps - ci
".
Il
écrit aussi à Anatole
France : Cher maître ,homme
de coeur et de sens, je vous remets
100 francs pour la Souscription ouverte
par vous dans le journal "le Temps
" en faveur de ces orphelins arméniens
dont les pères ne semblent pas
avoir trouvé dans notre journal
quelque écho à leurs appels
désespérés sinon
au lendemain du dernier massacre accompli
".
Cette
commode n'est pas exposée actuellement.
Elle avait été achetée
par Henry Vasnier,(1832-1907)
un grand collectionneur d'oeuvres
d'art, qui avait été séduit
par sa beauté. Henry Vasnier
est célèbre à Reims,
il a légué son immense
collection, 593 oeuvres, au Musée
des Beaux-Arts, faisant ainsi de ce
musée l'un des plus grands musées
français de province.
Emile
Gallé (1846-1904) a décrit
ainsi son oeuvre : "Le Sang d'Arménie
est un meuble console en noyer turc,
mosaïque de bois naturels. Prunus
armeniaca est l'arbre national du pays
martyr, l'Arménie. Ses rameaux
en fleurs, en pleurs, s'incrustent,
entaillés dans l'onyx oriental
qui sert de tablette à cette
console douloureuse...On y voit passer,
sur les champs fauchés de tulipes,
l'islam ; on y voit rugir la folie féroce,
le souffle de rage et de mort de l'homme
maniaque, derrière des horizons
de meurtre et de viol, églises,
bourgades en flammes, provinces embrasées,
dedans des marais de rubis caillés,
on voit se mirer le Croissant : de sang
chrétien, il s'est encore une
fois soûlé. "
Une
citation est gravée sur le meuble
:
" Prenez garde à
la sombre équité. Prenez
garde. Victor Hugo "
(Citation extraite de La Légende
des Siècles XXXIII, " Le
Cercle des Tyrans ")
"
Quand vous cadenassez sous un rideau
de fer
Tous ces buveurs d'azur faits pour s'enivrer
d'air,
Tous ces nageurs charmants de la lumière
bleue,
Chardonneret, pinson, moineau franc,
hochequeue,
Croyez-vous que le bec sanglant des
passereaux
Ne touche pas l'homme en heurtant ses
barreaux ?
Prenez garde à la sombre équité.
Prenez garde."
Le
nom de Victor Hugo est gravé
sur un des pieds de la commode.
Le
"prunus armeniaca" est l'abricotier.
Le nom de cette fleur est gravé
dans l'onyx de la tablette, et les fleurs
également.
Sur
la face avant, on voit les tulipes fauchées
à travers le croissant, et au
fond, les villages incendiés.
Sur la face arrière, les pétales
des fleurs de l'abricotier tombent une
à une dans le marais sanglant.
Un minaret se dresse au loin dans le
soleil couchant.
Il
existe trois autres exemplaires de cette
commode, mais nous ne savons pas encore
où ils se trouvent. Pas plus
que le vase qu'Emile Gallé avait
présenté à l'Exposition
Universelle de 1900 et qui était
aussi dédié à l'Arménie
martyre.