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Une interview de Chris Bohjalian,
Le romancier acclamé par la critique parle de sa vie et de son œuvre
Par Khatchig Mouradian
Traduction Louise Kiffer
Chris Bohjalian, acclamé par la critique est l'auteur de 11 romans, dont
plusieurs sont devenus des bestsellers du New York Times. Ses romans
s'intitulent "Midwives" (Sage-femmes)- une sélection de Publishers Weekly Best
Book, et une sélection de Oprah Book Club: 'Before you know Kindness'
Et "The Double Bind". Ses ouvrages ont été traduits en 20 langues. Bohjalian est
diplômé du Armherst College, et habite à Vermont, avec son épouse et sa fille.
Les articles de Bohjalian sont parus dans Cosmopolitan, Reader's Digest et "The
Boston Globe Sunday Magazine" Il est journaliste pour Gannett's Burlington Free
Press depuis 1992.
Dans cette interview, menée au début du mois, Bohjalian parle de ses romans et
de ses articles, ainsi que de ses passions et de ses souvenirs.
* * *
Khatchig Mouradian – Vous avez déménagé au Vermont, de New York après une
épreuve désagréable avec un taxi. En quoi Chris Bohjalian, romancier de New York
serait-il différent du romancier de Vermont en termes d'inspiration et de
problèmes que vous soulevez dans vos romans ?
Chris Bohjalian – Les romanciers parlent d'un certain nombre de sujets
angoissants sur la façon dont ils ont trouvé leur voix. La réalité, cependant,
est que j'ai trouvé la mienne dans le Vermont. Le Vermont est un microcosme
fascinant pour des questions qui relèvent de partout – l'environnement contre le
développement, la médecine alternative et la traditionnelle, tout le bagage que
nous amenons sur l'orientation sexuelle, et c'est si petit qu'il est possible
d'animer ces problèmes à une échelle humaine, reconnaissable et profondément
accessible. Par exemple, je n'aurais jamais écrit un livre sur le lieu de
naissance littéral et métaphorique dans notre culture (Midwives), si j'étais
resté à Manhattan. Après tout, la maison natale ne fait pas partie du dialogue.
Je n'aurais pas non plus écrit un roman vaguement écologique comme Water Witches
– et il est intéressant de remarquer que j'ai écrit ce roman en 1993 (il a été
publié en 1995) des années avant que nous soyons préoccupés par le changement du
climat mondial tel que nous le sommes maintenant. Ce n'est pas que je sois
particulièrement prescient, mais en quelque sorte le Vermont l'est.
Même un roman tel que "The Double Bind" qui explore des thèmes que je n'aurais
probablement pas abordés à New York – y compris naturellement la maladie
mentale, et les sans abris – a trouvé son information dans le Vermont. Il était
facile de faire des recherches sur le sujet à l'hôpital psychiatrique d'Etat, et
dans l'un des établissements correctionnels, de même que pour trouver des
thérapeutes et des assistants sociaux capables de m'aider, puisque nous sommes
si peu nombreux. Un appel téléphonique ça et là, et je pouvais obtenir les
interviews nécessaires.
Pourtant, j'aime New York. J'y retourne souvent, et la moitié de "Before you
Know Kindness" s'est fait là-bas. Mais je pense que j'ai trouvé au Vermont des
sujets plus aptes à renforcer mon style.
K.M. – Comment avez-vous décidé des sujets à traiter dans vos romans ? Dites
voir comment vous procédez quand vous écrivez un roman.
C.B. L'inspiration provient invariablement de ma vie personnelle. Quelqu'un que
j'ai rencontré, ou quelque chose dont j'ai entendu parler, ou que j'ai vu.
"The Double Bind" peut en être un bon exemple. Le roman a pris naissance en
décembre 2003, quand Rita Markley, la directrice administrative du logement des
sans abris, a partagé avec moi un box de vieilles photos. Les images en noir et
blanc avaient été prises par un photographe qui avait été sans abri et qui était
mort dans l'appartement de l'immeuble que son organisation avait trouvé pour
lui. Il s'appelait Bob "Soupy" Campbell.
Les photos étaient remarquables, à la fois grâce au talent manifeste de
Campbell, et à cause du sujet. J'ai reconnu les artistes – musiciens, comédiens,
acteurs – et les rédacteurs sur la plupart d'entre elles.
J'écris un article hebdomadaire pour le "Burlington free Press" qui explique
pourquoi Rita voulait que je voie les photos. Elle pensait que cela pourrait
faire une histoire intéressante et elle avait tout à fait raison. J'ai écrit à
propos de Campbell en décembre 2003, faisant des recherches sur sa vie et ses
réalisations, et les raisons pour lesquelles il s'était retrouvé sans abri, et à
ce jour, c'est resté les textes favoris que j'ai écrits pour ce journal. J'avais
rendu célèbres les talents de Campbell (qui étaient nombreux) et j'avais rappelé
aux lecteurs la ligne très fine qui sépare tant de nous de ceux qui deviennent
sans abris. Mais ensuite, j'ai jugé que j'avais épuisé le sujet.
Six mois plus tard, en juin 2004, j'ai relu "The Great Gatsby" (Gatsby le
Magnifique). J'adore ce roman. Peu d'écrivains ont ciselé des phrases si
constamment lumineuses que Fitzerald ou compris la classe et la culture, et le
profond désir également.
Ensuite, j'ai été faire une promenade en vélo sur une vilaine route profonde
sous une canopée dans les bois. Ma femme avait entendu une histoire à la radio
ce jour-là, que des parents avaient dit ceci à leurs enfants: si quelqu'un
essayait de les enlever alors qu'ils étaient en train de rouler sur leur vélo,
ils devraient se cramponner à leur guidon de toutes leurs forces. Il est plus
difficile d'enlever quelqu'un et de le jeter à l'arrière d'une voiture ou d'une
camionnette, s'il est fermement attaché à son vélo. La géométrie ne fonctionne
pas.
Comme je roulais, je me suis mis à penser à Bob Campbell pour la première fois
depuis des mois, et je pensais à lui relativement à Gatsby le magnifique.
Pourquoi ? Peut-être parce que nous voyons toujours Gatsby le magnifique à
travers la brume des photos en noir et blanc – le medium de Campbell. Et,
naturellement, Gatsby le Magnifique est un roman de l'époque du jazz – or
Campbell avait photographié de nombreux musiciens de jazz.
Et ainsi l'idée du "Double Bind" (double lien) s'est formée dans mon esprit, sur
cette vilaine route. Je savais précisément comment un livre allait commencer, et
pour la première fois de ma vie - je savais précisément comment il allait finir.
Bien sûr, cela voulait dire que je connaissais le A et le Z, mais pas les 24
lettres entre les deux. Cela voulait dire que j'avais une série de problèmes
différents à résoudre. J'écrivis quatre brouillons avant même de pouvoir
commencer à en publier un sérieusement. Un projet Henry-James-ian à la troisième
personne; puis un projet à la première personne raconté par Laurel Estabrook (le
personnage principal); ensuite un projet avec plusieurs narrateurs à la première
personne; et finalement un projet subjectif à la troisième personne – moins
froid et omniscient que la version initiale. Le brouillon a marché dans des
chemins que le premier n'avait pas pris. C'est seulement là que j'ai commencé à
perfectionner et à resserrer le roman.
K.M. – Les femmes figurent éminemment dans plusieurs de vos romans. Parlez-nous
du défi d'écrire un roman comme "Sage-Femme" ou "The Double Bind " où fouiller
dans le psychisme des comportements est la clé.
C.B. –J'aurais souhaité avoir eu un procédé spécifique mais je ne trouve pas
qu'écrire sur les femmes soit si différent qu'écrire sur les hommes. Dans chacun
des cas, c'est un acte d'imagination. Comment une personne va-t-elle réagir à un
événement ou à un moment spécifique ? Qu'est-ce qu'un individu va éprouver ou
penser ? Qu'est-ce que les gens voient ou entendent ?
Au cours des dix dernières années, j'ai écrit des romans ou décrit des scènes
dans des romans en partant du point de vue (entre autres) d'une sage-femme,
d'une lesbienne transsexuelle, d'une vigoureuse citoyenne âgée, d'un enfant
américano-africain placé dans une famille d'accueil, une fillette de dix ans,
une aristocrate prussienne de 18 ans en 1945, un jeune homme juif d'Allemagne
qui avait sauté d'un train à destination d'un camp de la mort en 1943, et une
variété d'hommes d'âge moyen à demi chauves. J'ai vraiment trouvé cette dernière
catégorie – les hommes d'âge moyen à demi chauves comme moi, la moins
intéressante.
K.M. – Parlez-nous de votre prochain roman Skeletons at the Feast (Squelettes à
la fête)
C.B.- Ce roman est un départ – et c'est, au point de vue création – la chose la
plus satisfaisante que j'ai faite dans ma vie (cela ne veut pas dire que c'est
plutôt bien, ou que j'ai fait quelque chose de juste – c'est seulement que cela
a été un combat et que c'était réconfortant).
En 1999, le père d'une petite fille de la classe du jardin d'enfant de ma fille
m'a demandé si je voulais lire le journal inédit que sa grand'mère lui avait
laissé. Sa mère venait de le traduire de l'allemand en anglais, et l'avait tapé
à la machine. Nous étions de bons amis, je fus donc heureux d'y jeter un coup
d'œil.
Le journal racontait en détails la vie de cette femme dans une propriété massive
et une ferme dans la Prusse orientale, et il y avait un tas de choses qui me
fascinaient – principalement les déplacements désespérés des femmes au cours des
derniers mois de la seconde guerre mondiale pour atteindre les lignes
britanniques et américaines avant l'arrivée de l'armée soviétique. Je l'ai
proposé à plusieurs éditeurs, mais aucun n'était preneur.
Des années plus tard, en 2005, j'ai lu "Armageddon" de Max Hastings son
compte-rendu non romanesque de la dernière année de la Seconde Guerre Mondiale
en Allemagne, et je suis tombé sur des références à des scènes qui m'étaient
familières. Puis je me suis rendu compte que j'avais lu ces mêmes faits dans ce
journal six ans auparavant. J'ai demandé à mon ami si je pouvais le relire.
Quand je l'ai revu, j'ai décidé que je voulais écrire un roman situé dans cette
période, et c'est ainsi que j'ai commencé une partie de la recherche la plus
intense (et l'écriture) de ma carrière professionnelle.
Skeletons at the Feast est un roman d'amour, un triangle d'amour, en fait qui se
passe en Pologne et en Allemagne dans les six derniers mois de la Seconde Guerre
Mondiale.
Les personnages ? Il y a Anna Emmerich, 18 ans, une fille d'aristocrates
prussiens qui étaient à l'origine satisfaits quand leur propriété massive
redevint allemande en 1939, mais qui découvrirent au cours des cinq années
suivantes ce que signifiait réellement pour la gestion nazie leur district
rural.
Il y a son amoureux, Callum Finella, un prisonnier de guerre de 20 ans, qui a
été détaché du stalag dans sa ferme familiale comme travailleur forcé. Et il y a
un caporal de la Wehrmacht de 26 ans, que les deux autres connaissent sous le
nom de Manfred – mais qui est en réalité un chanteur, un Juif allemand qui s'est
débrouillé pour oser s'échapper d'un train à destination d'Auschwitz, et qui a
depuis lors saboté l'effort de guerre nazi.
Le roman raconte la plus longue journée de leur vie. Leur essai de croiser les
rescapés du troisième Reich, de Varsovie au Rhin s'il le faut, pour atteindre
les lignes britanniques et américaines.
K.M.- Nous avons discuté du rôle que le Vermont a joué dans votre œuvre. Qu'en
est-il du rôle que vos parents et votre famille élargie ont joué, et de celui
que votre épouse et votre fille jouent maintenant ? Comment diffusent-elles
votre œuvre ?
C.B.- Ma mère s'est éteinte en 1995. Et mes parents – mon père naturellement
depuis 1995 – vivent à des milliers de kilomètres depuis 1988. Il est certain
que mon père est fier de moi. Ma mère l'était jusqu'à sa mort. Mais je ne dirais
pas qu'ils ont influencé ma décision de devenir écrivain. Ils aimaient et
soutenaient, et lisaient tout ce qu'un enfant pouvait désirer de ses parents.
Mais ils ne furent pas un facteur conscient de ce que je faisais ou des sujets
que je choisissais pour mes romans.
Ma femme et ma fille, en revanche, on joué un rôle critique dans mon travail. Ma
femme est une éditrice merveilleuse et patiente. Elle, et Shaye Areheart (mon
éditeur à Random House) sont les deux premiers lecteurs de tout ce que j'écris.
J'apprécie énormément le jugement de ma femme.
Et le fait d'être parent a considérablement changé ce que j'écris. Voyez les
romans tels que "les Sages-Femmes" et "Before you know Kindness", et le "Buffalo
Soldier". Etre parent a été très important pour eux. Ils n'existeraient pas si
ne n'avais pas eu la chance d'avoir ma fille. Et la petite fille dans "The Law
of Similars" ? Mais, c'est ma petite fille quand elle avait trois ou quatre ans.
K.M.- Parlez-nous de vos souvenirs de jeunesse qui vous plaisent le plus..
C.B. J'ai eu une enfance classique de banlieue des années 60-70. J'ai grandi
dans différentes banlieues à problèmes juste à l'extérieur de New York City
(avec un détour de trois ans à Miami, Fla). Quand j'ai lu "Le Chien noir du
Destin" de Peter Balakian, j'ai perçu les échos de ma propre enfance.
Nous avons aussi beaucoup déménagé, cependant, et à une certaine période, j'ai
été dans quatre écoles différentes en quatre ans. Et ainsi, bien que mon enfance
ne fût pas mauvaise, elle ne rassembla pas autour de moi beaucoup d'amis une
fois que j'eus terminé ma 6ème année. Le fait est que mes amis ont changé par
nécessité presque chaque année, depuis la 7ème année.
Mes souvenirs favoris, dans le désordre, sont:
Jouer au baseball dans la Little League de Stamford, Conn.;
Lire pour la première fois Johnny Tremain et " To Kill a Mocking Bird" et "April
Morning".
Rendre visite à mes grands-parents à Tuckhahoe, N.Y. et écouter Léo Bohjalian –
mon grand-père jouer du oud, après avoir perdu sa femme dans une piscine. Je
peux encore sentir les beureks de ma grand'mère.
Organiser des cartes de baseball dans mon salon avant les orages;
Voler partout dans des aéroplanes
Etre follement effrayé par les films suivants: "The Birds (Les oiseaux) "The
Haunting" et "Psycho".
K.M. – Vous avez écrit des articles pour Burlington Free Press depuis environ 17
ans maintenant. Parlez-nous de cette expérience.
C.B. J'aime bien écrire des articles, sinon je ne le ferais pas. J'écris
habituellement à la fin de la semaine, et c'est un charmant répit de mon roman,
qui peut être parfois sombre. Cela ne veut pas dire que je n'aborde pas des
sujets graves dans mes colonnes à l'occasion. Je le fais. J'ai écrit par
exemple, sur la mort de ma mère, sur le changement du climat dans le monde, et
sur la guerre en Irak. Mais généralement, c'est une occasion d'explorer quelque
chose de personnel, ou quelque chose qui me fait sourire.
Et alors que les gens me disent que ça doit être stressant de rédiger un article
chaque semaine, ça ne l'est pas vraiment. C'est beaucoup moins stressant qu'un
roman. Le secret ? J'essaie de ne jamais perdre de vue le fait que quelques
heures après la parution de l'article le dimanche matin, il aide soit à allumer
le feu dans le poêle à bois soit à être étalé sous la litière du chat.
Source:
http://www.hairenik.com/armenianweekly/NYS_122207_07.htm