Le Pèlerinage d'un Alchimiste
Le voyage parmi les Arméniens de l'auteur à succès Paulo Coelho

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Par Khatchig Mouradian
"The Armenian Weekly"
www.armenianweekly.com
28 octobre 2006

Traduction Louise Kiffer

 

"Ce voyage, qui raconte l'histoire d'un jeune berger nommé Santiago, va peupler vos rêves" m'a dit une amie chinoise.

"Son message est puissant et simple: Si vous croyez réellement à quelque chose, tout l'univers conspire avec vous pour l'atteindre. Emportez-le à Beyrouth avec vous et lisez-le", continua-t-elle.

A des milliers de km de chez moi, on m'offrait un livre que j'avais dans ma propre bibliothèque, mais que je n'avais jamais lu. C'est ainsi qu'a commencé, le 10 septembre 2000, à Shenyang, en Chine, mon histoire avec L'Alchimiste.

En lisant le livre dans l'avion du retour, j'ai senti que je pourrais facilement transmettre le message du roman: Il nous fallait parfois aller dans des terres lointaines, pour trouver des trésors cachés dans notre arrière-cour.

Tandis que le pilote annonçait notre arrivée à l'aéroport international de Beyrouth, je me suis dit: "Je traduirai un jour ce livre en arménien".

En octobre 2003, j'ai commencé à interviewer des écrivains, des artistes et des universitaires de par le monde pour le quotidien arméno-libanais Aztag. "Ma première interview devrait être celle de l'auteur de "L'Alchimiste" ai-je pensé.

J'ai adressé un e-mail à l'agent littéraire de l'auteur pour demander une interview et, à ma grande surprise, j'ai reçu une réponse affirmative. L'un des plus grands auteurs à succès du monde consentait à partager ses pensées avec un petit journal de communauté de Beyrouth.

La dernière question que j'ai posée à Paulo Coelho fut s'ils avaient des projets de traduire son livre "L'Alchimiste" en arménien. Ce livre, déjà traduit en 54 langues, je sentais qu'il était temps que les Arméniens le lisent dans leur langue maternelle. Il exprima l'espoir qu'une maison d'édition serait intéressée par une telle initiative.

Le 30 octobre, l'interview parut dans Aztag. Quelques jours plus tard, je reçus un appel téléphonique de la maison d'édition Hamazkayin de Beyrouth. "Nous serions enchantés d'avoir L'Alchimiste traduit en arménien. Cela vous intéresserait-il de le traduire ?" demanda une voix à l'autre bout de la ligne.

Je me suis remémoré mon amie chinoise, la citation de Paulo Coelho sur le désir de quelque chose, et le souhait que j'avais exprimé lors de mon vol vers Beyrouth. Lorsque nous avons obtenu les droits de l'agence littéraire de Coelho, le jeune berger Santiago en moi fut ravi.

Un an après, je tenais le premier exemplaire de ma traduction de L'Alchimiste. J'ai consulté aussitôt la page 5 où paraissait la Préface du Traducteur, intitulée "55ème [traduction]". J'avais raconté là mon histoire avec le livre, sans savoir que ce n'était pas encore terminé. Dans quelques heures, je devais prendre l'avion pour Erevan, où je serais rejoint par Paulo Coelho en personne pour une série d'événements littéraires.

Le Pèlerinage.

Une grande foule de journalistes, photographes et cameramanes s'était réunie devant le Salon de réception de l'aéroport de Zvartnots d'Erevan. "Où est Khatchig ?" demanda l'homme à l'habit sombre sortant de la pièce des VIP. Comme je m'approchais et que nous nous embrassions, il fit sa première déclaration aux media:  "Il est trop jeune pour être traducteur"

 "et trop vieux pour être Santiago" pensai-je.

"Le Pèlerin est arrivé au pays des Pèlerinages: au pays Hayastan"  (Arménie) écrivit le quotidien "Hayastani Hanrapetudyun" (La République d'Arménie) quelques jours plus tard.

Alors que l'Arménie se préparait à l'un des plus grands événements littéraires de son histoire, Coelho avait autre chose en tête. Il avait un chauffeur arménien, il avait été dans des restaurants arméniens à Paris, il avait rencontré de nombreux Arméniens de la Diaspora, et entendu tant de choses sur leur patrimoine et leur pays, et voilà qu'il était en pèlerinage pour découvrir tout cela, de première main.

Nous avons flâné dans les rues d'Erevan cette nuit-là. Le lendemain, quand on lui demanda ses impressions sur la ville, il dit que les immeubles et les rues étaient presque les mêmes partout dans le monde. "Ce sont les gens qui font la différence, et ma meilleure impression a été le peuple" ajouta-t-il.

Plusieurs semaines avant son arrivée, comme nous étions en train de préparer le programme de sa semaine de visite, l'agent littéraire de Coelho avait précisé que l'auteur désirait passer un certain temps avec les gens, avec ses lecteurs, et que les réunions officielles devaient être réduites au minimum. Nous avons fini par inclure dans le programme un lunch avec le Président d'Arménie Robert Kotcharian au Museum Paradjanov, une visite au Catholicos de tous les Arméniens Karékine II à Etchmiadzine, et une réunion avec le Ministre de la Culture
Hovig Hoveyan.

Le 6 octobre 2004, le lancement du livre, consacré à la traduction en arménien de "L'Alchimiste" eut lieu dans la Grande Salle de l'Union des Ecrivains. Organisé par Hamazkayine et l'Union des Ecrivains d'Arménie, l'événement eut un immense succès.
La salle était bondée de gens, des heures avant le début, et des centaines de retardataires attendaient dehors, poussant les grilles, qui étaient fermées car la salle ne pouvait pas contenir plus de monde.

Dans mon discours d'introduction, j'ai raconté mon histoire avec L'Alchimiste, en commençant, comme toujours, par la Chine. J'ai dit: "Exactement comme Paulo, je crois, moi aussi, qu'il nous faut quelquefois aller dans des pays lointains, pour trouver des trésors cachés dans notre arrière-cour. Et pour nous, Arméniens de la Diaspora, dont les grands-parents durent marcher à travers les déserts dans des conditions encore plus pénibles que le fit Santiago dans sa quête, les véritables trésors sont cachés ici, en Arménie, que nous nous en rendions compte ou non."

Dans son discours, Coelho, que les Publishing Trends (Editions Branchées, ndt) ont déclaré le N° 1 des auteurs à succès il y a un an, a également fait allusion aux Arméniens de Diaspora, disant qu'il pensait qu'un jour, ceux-ci retourneraient, comme la pluie, au pays de leurs ancêtres, apportant avec eux tout ce qu'ils avaient appris et accompli. 

"Dans la salle de l'Union des Ecrivains, il n'y avait pas de place pour mettre une aiguille dans un tas de foin" écrivit l'hebdomadaire Yerkir dans son compte-rendu de l'événement. "Nous ne pouvons pas nous rappeler une autre fois où la salle était bondée comme cela". Dans son histoire, l'Union des Ecrivains n'avait été témoin d'un événement semblable qu'une seule fois, c'était lors de la visite de William Saroyan à Erevan, écrivit Grakan Tert.(Bulletin littéraire).

La seconde réunion de Coelho avec les lecteurs arméniens eut lieu deux jours plus tard dans la Salle Tcharents de l'Université d'Etat d'Erevan. La salle était bondée de 900 personnes, dont un grand nombre assis par terre ou adossé aux murs. Coelho dit qu'il ne voulait pas prononcer un discours, et à la place, invita 10 étudiants sur l'estrade et donna à chacun une occasion de poser une question.

Je traduisais en arménien les réponses de Paulo. A un certain moment, répondant à une question sur son dernier roman "Onze Minutes" (traduit en français. ndt) Paulo se mit à parler de sexe. Alors que j'éprouvais des difficultés à traduire des mots comme "masturbation", "orgasme", "pénis", "vagin", rougissant de temps en temps, l'auditoire s'esclaffa.
Rarement, sinon jamais, un orateur n'avait parlé si ouvertement de sexe sur cette estrade.

On lui demanda si un jour il écrirait un roman sur l'Arménie. Coelho dit qu'il ne détermine jamais à l'avance le sujet sur lequel il va écrire. Il se compara à un marin qui démarre sans avoir une destination spécifique. "Je ne sais pas si je vais écrire un roman sur l'Arménie, dit-il, mais l'Arménie a écrit un roman dans mon cœur".

Le lendemain, le quotidien Azg écrivit: "D'après les réunions de Paulo Coelho avec le public d'Erevan, il est manifeste qu'il est faux de dire que le lecteur arménien est devenu indifférent à la littérature".

Les jours suivants, Coelho déposa des couronnes au mémorial du Génocide arménien, visita le Museum du Génocide, et planta un arbre au jardin du mémorial de Dzidzernagapert. Il se rendit également à Oshagan le Jour des Saints Traducteurs, et déposa une fleur sur la tombe de Mesrob Mashdots, le créateur de l'alphabet arménien.

Il fut particulièrement impressionné par le fait que les Arméniens sanctifient leurs traducteurs, qui ont éclairé leur peuple après la découverte de leur alphabet. Il dit qu'il avait fait le tour du monde, et n'avait jamais rencontré semblable pratique. Coelho écrivit plus tard un article, publié simultanément dans tous les journaux du monde, sur sa visite en Arménie, et spécifiquement ses impressions sur le "Jour des Saints Traducteurs".

Il était impossible de faire un seul pas dans les rues d'Erevan sans être abordé par un admirateur de l'œuvre de Coelho, demandant un autographe. Il autographiait patiemment les livres pour chacun. Le profond respect et le plus grand amour dont il faisait preuve envers chacun et chaque lecteur était vraiment réconfortant.

Une fois, alors que nous visitions le "vernissage", le marché d'art en plein air d'Erevan, un peintre, dans les 70 ans, s'approcha et  serra l'auteur dans ses bras, lui donnant l'un de ses tableaux en cadeau. "Dites au monde que nous aimons la vie, et que nous l'emporterons sur les difficultés économiques et politiques", dit le peintre. Ses paroles, pleines de détermination, me rappelèrent le style littéraire de Paulo: simple, mais puissant, inspiré et réconfortant.

Sans même le savoir, nous nous sommes retrouvés à l'aéroport de Zvartnots. "Partir, c'est mourir un peu" dit-on en France. "Hératsman metch el ga mi vératarts" : dans tout départ, il y aussi un retour, dit un chant arménien. Je le crois aussi.

 

Récemment, j'ai demandé à Paulo d'envoyer un e-mail pour souhaiter un heureux anniversaire à une amie à moi, qui est une grande admiratrice de ses œuvres.
"Un homme qui aime  demande, et un homme qui respecte l'amour obéit" lui écrivit-il le lendemain. "Heureux anniversaire !". Comme toujours, Paulo a trouvé le meilleur moyen d'atteindre le cœur de son lecteur.