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Il n’y a pas d’ivresses ni de croix,
Que ton saz1 n’ai pesées – Sayat-Nova
Pas de jardins que l’ombre de ta voix
N’ait longuement parés – Sayat-Nova
Pas un amour que ton sang déchiré
N’ait longuement fleuri – Sayat-Nova
Pas un poignard que ton chant mis à nu
N’ait longuement flétri – Sayat-Nova
Et si le couteau perse à délirer
Si longuement te perce
- qui se brisa
la chanson d’Arménie ne s’est pas tue
quand un jour meurt après l’autre et s’en va
ton saz demeure.
Tu sacres toute poésie
Et sur les versants du Caucase
De l’Alaguiaz en Arménie
Au grand Elbrouz de Géorgie
Le savoir jaillit de ton saz.
Je t’écoute chanter la femme
-le rossignol ou bien la rose-
quand cette nuit va rendre l’âme
quand l’eau noiera toutes les rames
mon corps ira selon tes clauses.
Mon corps fermé draine ton sang,
Et les fontaines qui l’étanchent
Et le langage qu’il pressent
Ont tes reflets et tes accents.
Cette blessure de ta hanche
Est-ce la source où s’abreuver
Ton corps ouvert sous un autel
Tes yeux perdus, ton chant troué,
Est-ce le Christ ressuscité
Ta voix en moi battant de l’aile
Guitare des soirs d’Arménie,
Au seuil des doigts comme un vieil air,
Guitare d’un soir qu’on renie,
Reine pourtant et que manient
Chiraz2, Lorca, Apollinaire
Se ploient les arbres à genoux
Gorgés d’orages et d’azurs
- ma femme est-ce toi, est-ce nous,
ces paroles ces songes fous
et cette voix qui nous mesure
dans la ville-cœur dans Paris
dont un fleuve noir est la veine
c’est nous deux – d’ailleurs d’où surgis
des rues longues comme son cri
mènent tous nos pas à la Seine.
Tout l’art de vivre et l’art d’aimer
Guitare qu’à Tiflis louèrent
Le roi la cour les mal-aimés
C’est lui Sayat qui l’a gréée
Mêlant ses dires à des airs.
Et à jamais quand il nous vint
En mil sept cent douze ou dix-sept
Qui donc donnait son prix au vin
Vivre ou mourir rien n’est en vain
Sa chanson l’affirme à tue-tête.
Chantre-serf adulé - haï
Auprès d’un roi au gré des cours
Tant il jaugeait l’arbre à ses fruits
Et la racine à ses épis
Qu’on y jugea le troubadour.
On déballa tout son roman
Tout l’au-delà d’un fol amour
--qu’une dame l’ait pour tourment
un serf est serf pas un amant
fût-il aimé, fût-il achough 3.
Puni banni qui le héla
Crut voir le moine Stepannos
Et si ses airs sont nos lilas,
Sa gorge déployée, on la
Retint dans une robe atroce.
Est-ce elle ce chant, ce vaisseau
La mâture dans les étoiles
Ce survivant des noires eaux
La voilure comme le sceau
D’or d’une promesse orientale
Et
l’équipage c’est bien toi,
C’est bien nous lourds de ses paroles,
Lourds des musiques d’autrefois
Mais d’aujourd’hui quand tant de fois
Sur tant de plaies ploie leur obole
Quoi dire aux femmes s’affligeant
Quoi dire de ces plaies modernes
Quand la vigne est celle émergeant
Du cœur troué des jeunes gens
Ici et là dans le jour terne
Quoi dire de ce canevas
--un songe saigne sur le sable
et tant d’amants vont au trépas
Sayat-Nova Sayat-Nova
Sans que l’amour soit responsable.
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1Saz – musique –
instrument à cordes dont jouait Sayat-Nova . Par extension, saz peut signifier
tout instrument de musique en général, et dans certains vers de Sayat-Nova, saz
signifie également chant.
2 Poète
d’Arménie 1915-1984.
3Il
semble que des courtisans, jaloux des prérogatives et du renom de Sayat, aient
pris prétexte de cette mésalliance. Achough – poète.