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Vahakn DADRIAN
 Documentation du génocide arménien dans les sources turques

L’article « Documentation of the Armenian Genocide in Turkish Sources » a été publié en 1991 dans le second volume de Genocide : A Critical Bibliographie Review (dir. Israel Charny)

Vahakn N. Dadrian, historien né à Istanbul en 1923, est l’un des plus éminents spécialistes du génocide arménien. Professeur de sociologie à l’université de New-York de 1970 à 1991, il est aujourd’hui directeur de recherche au Zoryan Institute.

 Le texte ci-dessous est un petit  extrait de toute la documentation de Vahakn Dadrian :
http://www.imprescriptible.fr/dadrian

 Aveux des ex-Officiels civils et militaires
Ministres du Cabinet du temps de guerre

British Foreign Office FO371/5091/E14130

Folio 32. Le 19 octobre 1920, l’ex-Ministre des Travaux Publics et sous-secrétaire du Ministre de l’Intérieur Talat, Ali Munif, adressa une demande officielle au Secrétaire d’Etat britannique pour les Affaires Etrangères, pour être jugé immédiatement, ou, en l’absence de charges, être relâché immédiatement. En plaidant non coupable pour tout, il déclara : « Quant aux massacres, qui ont eu lieu en 1915, je n’étais pas en position à cette époque ni pour décréter, ni pour commettre directement ou indirectement ces actes. En conséquence, je ne peux pas être tenu pour responsable pour ceux-ci, n’ayant ni le pouvoir de décréter, ni la capacité d’exécuter ».

Gökbilgin Tayyib M. (1959)Milli mücadele başlarken ( quand commença la lutte nationale) Vol. 1 - Ankara : Société historique turque. 195 pp.

p.55 - En référence à la déclaration du Ministre de l'Intérieur, Cemal dit que « la nation a le droit qu'on lui rende compte du passé sanglant », c'est-à-dire l'héritage de la guerre, le meurtre de masse, et les délits économiques; dans la même veine, Cemal a indiqué « la résolution du gouvernement de s'arranger rapidement avec ce passé afin de le nettoyer ». (kanlı maziyi temizleyecektir).

Presse d’Istamboul

Alemdar, Ikdam, Vakit, 15 March 1919 ; Le Moniteur Oriental, 13 March 1919.

Article et éditorial sur la déclaration publique du Ministre de l’Intérieur Cemal, qui, selon les statistiques compilées par le Ministère de l’Intérieur « 800 000 Arméniens ont été tués au cours de ces déportations ». Ce nombre ne comprend pas les dizaines de milliers d’Arméniens appelés sous les drapeaux et tués par des soldats et officiers servant dans l’armée turque pendant la guerre, ni les innombrables femmes et jeunes filles forcées d’entrer dans des harems, ni les multitudes d’orphelins ramassés et élevés en Musulmans et turquifiés. (L’historien turc Bayur dans son dernier volume précise que le chiffre de 800 000 se moque plus ou moins des chiffres ultérieurs publiés par les autorités turques (p. 787) - Bayur. Y.H. (1983 Türk inkilâbütarihi (L’histoire de la Révolution turque) Vol. 3 (4) Ankara : Société turque historique ; 878 pages.

Nor Giank 7 novembre 1918. Source originale : Mémoires du Général Vakit.

Le Général Çürüsulu Mahmud Paşa, député Ministre de la Guerre 1913, Ministre des Travaux Publics 1914 ; Ministre sans portefeuille en 1919, et Sénateur du Parlement Ottoman, dans ses mémoires, raconte les échanges verbaux avec l’ambassadeur de Berlin et l’ex-Grand Vizir Hakki pacha, et les députés Abdullah Azmi (Kütahya) et Salah Cimcoz (Istanbul). L’essentiel de ces conversations, tel que rapporté par le Général indique que « ce n’est pas le peuple turc mais le gouvernement qui est impliqué dans ces crimes, y compris les noyades des enfants entassés dans des paniers ».

Harb kabinelerinin isticvabı, 16 novembre - 19 décembre 1918 (auditions des ministres du Cabinet du temps de guerre) (1933) [Supplément spécial n° 2 du journal turc Vakit qui donne des extraits des auditions effectuées par le cinquième Comité de la Chambre Ottomane des Députés. Istanbul Vakit . pp.620 ]

1) Extraits du témoignage de l’ex-Ministre de la Justice Ibrahim :
pp.516-519 - En réponse à la déclaration du Président du cinquième Comité parlementaire enquêtant sur l’« inconduite » ministérielle pendant la guerre, disant que la loi de la déportation « était contraire à l’esprit de l’humanité » et à la déclaration subsidiaire d’un député membre du comité disant que la loi avait dégénéré en « licence de tuer des êtres humains » Ibrahim soutint que « ces excès avaient été commis sans avoir été portés à la connaissance du gouvernement ».
p. 526 - « Je crois que même si les députés étaient tout à fait au courant de ces méfaits et atrocités, aucun d’entre eux ne nous en a parlé ni prévenus ».

2) Extraits du témoignage de l’ex-Grand Vizir Said Halim :
pp. 290-291 - Parlant des déportations ayant dégénéré en une campagne d’extermination « On ne peut pas interpréter l’ordre de “déporter” par “ordre de tuer” … comme dans d’autres cas. J’ai entendu parler de cette tragédie quand tout était terminé ».
pp293-294 : En réponse à une autre question, Said Halim en un seul paragraphe définit les mesures anti-arméniennes comme « massacres arméniens », laissant tomber entièrement le mot synonyme « déportation ». Il méprisait Talat, le traitant d’infâme scélérat, empêchant tout effort d’investigation de l’affaire, concluant que pour que cette investigation soit véritable et judicieuse, elle devait être reportée à la fin de la guerre.
pp. 295-296 - Se lamentant sur « la tragédie de Zohrab, cet homme innocent » [ un député arménien qui a été assassiné par les agents de l’Organisation Spéciale, en même temps que Vartkès, un autre député arménien] Said Halim n’eut que du mépris pour l’indifférence du Parlement, et continua : « J’ai demandé : C’est quoi ça ? Selon quelles lois faites-vous de telles choses ? On ne m’a pas répondu ». [L’ambassadeur d’Autriche en Turquie, lors de la Première Guerre Mondiale, Pallavicini, dans deux rapports à Vienne, relate des extraits des échanges avec le Grand Vizir Ottoman, confirmant les déclarations d’après-guerre de ce dernier, cités ci-dessus. Le 7 novembre 1915 (l’anniversaire du début officiel de la guerre avec la Russie) dans un télégramme chiffré marqué « très confidentiel » (streng vertraulich), Pallavicini déclarait que Said Halim n’était pas d’accord avec la politique de Talat envers les Arméniens, et qu’il n’excusait pas « le penchant pour créer un état national (homogène) en détruisant les éléments étrangers » (die Tendenz einen nationalen Stat durch Vernichtung der Fremden Elemente w schaffen). Archives du Ministère des Affaires Etrangères autrichiennes. Österreichisches Staats Archiv. Haus une Hof. Vienna Abteilung I. Allgemeines (Karton Rot) 944. Allgemeines 1915 V-XII n° 93, A.E.

Dans un rapport du 10 mars 1916, Pallavicini décrit la pratique turque de transformer les déportations en une campagne de destruction de la nation arménienne comme une « tache éternelle pour le gouvernement turc » (wird immer ein Schandfleck für die Tukische Regierung bleiben). Il ajoute ensuite cette remarque « Il y a quelques jours, le Grand Vizir a déclaré candidement que dès le début il était contre les mesures anti-arméniennes telles que conçues initialement par Talat et Enver ». (Austrian Foreign Ministry ; archives XII. Türkei 3) Die Armenier Verfolgungen 1915-1918, karton 463 ; N° 21/P.B. L’Ambassadeur attribue la même observation au Ministre des Affaires Etrangères Turc Halil, dans le même rapport, de même que dans celui du 7 novembre 1915 dans lequel Pallavicini déclare « Halil, avec une candeur totale concéda que son collègue Talat se décarcasse pour résoudre la question arménienne, pendant que la guerre se déroule, à sa manière et en créant pour les grandes puissances un fait accompli… Les gouverneurs des provinces et des districts sont du parti Ittihadiste et n’obéissent qu’aux ordres venant du parti, mais pas à ceux qui viennent du gouvernement ». (Ministères des Affaires Etrangères d’Autriche, Archives XII, Türkei 3) Die Armenier Verfolgungen 1915-1918. Karton 463. N° 93/ P.B.

Takvimi Vekayi. N° 3540 ; session du 28 avril 1919 - date de publication 5 mai 1919

P. 8 Dr. Nâzım, l’un des chefs des organisateurs du génocide, est décrit comme admonestant le gouverneur de Konya récalcitrant Celal, par ces mots : « Les mesures anti-arméniennes ont été déterminées suite à des délibérations considérables et complètes par le Comité Central [ayant pour but de résoudre la Question Arménienne]. »

Ministres de la période de l’armistice (Opposants et critiques de l’Ittihad)

Archives du Ministère des Affaires Etrangères d’Allemagne A.A. Botschaft Konstantinopl 172 n° 384- Le Consul allemand de Damas Loytved Herdegg, Rapport du 30 mai 1916.

Ce rapport concerne une conversation confidentielle avec Hüseyin Kâzım Kadri, Ministre du Commerce, de l’Agriculture et des Travaux Publics pendant la période de l’Armistice (1920-21) au cours de laquelle ce dernier est décrit comme s’étant « rendu compte que le gouvernement turc n’est pas sérieux au sujet des déportations, mais il a réellement pour objectif une extermination systématique » (systematisch ausrotten) des déportés arméniens. L’échange avait débuté par Kadri au cours d’un banquet donné par Cemal Paşa sous les ordres duquel Kadri servait alors d’officier de relocalisation, donc impliqué dans l’installation des déportés arméniens.

Presse d’Istanbul :

Sabah, 28 janvier 1919. Editorial par Ali Kemal, Ministre de l’Education (4 mars - 19 mai 1919) et du Ministre de l’Intérieur (19 mai - 29 juin 1919)

« Il y a 4 ou 5 ans, un crime historique singulier a été perpétré, un crime devant lequel le monde frissonne. Etant donné ses dimensions et son niveau, ses auteurs ne se comptent pas par cinq, ni dix, mais par centaines de milliers… En fait, il a déjà été démontré que cette tragédie avait été planifiée et fondée sur une décision prise par le Comité Central de l’Ittihad ». [ un autre éditorial dans Alemdar du 18 juillet 1919, disait que : « … Notre Ministre de la Justice a ouvert les portes des prisons… Ne croyez pas que nous essayons de blâmer les Arméniens ; nous ne devons pas nous flatter en pensant que le monde est peuplé d’idiots. Nous avons pillé les propriétés des gens que nous avons déportés et massacrés ; nous avons approuvé le vol dans notre Chambre et notre Sénat… Prouvons que nous avons suffisamment d’énergie nationale pour mettre la loi en vigueur contre les chefs de ces bandes qui ont foulé au pied la justice et traîné dans la boue notre honneur et notre vie nationale ».]

Vakit, 13 décembre 1918 : Déclaration du Ministre de l’Intérieur Mustafa Arif (Deymeyer).

« Il est certain que certains Arméniens ont été complices de nos ennemis et les ont aidés, quelques députés arméniens ont commis des crimes contre la nation turque… Il incombe à un gouvernement de poursuivre les coupables. Malheureusement, nos dirigeants du temps de guerre, imbus d’un esprit de brigandage ont mis en œuvre la loi de la déportation de telle manière qu’elle allait surpasser les tendances des bandits les plus assoiffés de sang. Ils ont décidé d’exterminer les Arméniens, et ils les ont exterminés. Cette décision a été prise par le Comité Central des “Jeunes Turcs” et fut mis en œuvre par le Gouvernement »
Huit jours plus tard, le 21 décembre, le même Ministre de l’Intérieur déclarait à la Chambre des Députés Ottomane : « Les atrocités commises contre les Arméniens ont réduit notre pays à un gigantesque abattoir ». Il fit cette déclaration après avoir fini de lire l’Edit Impérial du Sultan qui ordonnait la dissolution de la Chambre comme prévu par la Constitution. Renaissance, 11 décembre 1918.

Türkgeldi, Fuad Ali (1951) Görup işittiklerim (les choses que j’ai vues et entendues) 2ème édition - Ankara - Publication de la Société historique turque 290 pp. Déclaration du Grand Vizir Damad Ferid Paşa

p. 197 : « Il est nécessaire d’adopter rapidement une décision concernant les auteurs d’un crime qui a provoqué le dégoût de l’humanité entière ».

Takvimi Vekayi, 21 juillet 1920. Cemal, Ministre de l’Intérieur (Mars-Avril 1919), Ministre de l’Intérieur par intérim (juillet 1920)

L’évaluation par son ministère du nombre d’Arméniens tués au cours des déportations s’élève à 800 000, alors Cemal pose la question : « Ne pensez-vous pas que la nation a le droit d’avoir un compte-rendu des atrocités ?… Le passé sanglant sera effacé ». [ cité aussi à la page 55 de Gökbilgin, T.M. (1951) - voir page 107 de ce chapitre « Aveux d’ex-Officiels civils et militaires ») et dans la presse d’Istanbul ci-dessous.

Presse d’Istanbul :

Vakit, Ikdam, 15 mars 1919 ; Alemdar, 13 mars 1919.

La déclaration publique du Ministre de l’Intérieur Cemal : « Sur la base des calculs effectués par les experts du Ministère, 800 000 déportés arméniens ont réellement été tués

Etant donné la lourde charge de responsabilité pesant sur ces trois dirigeants en ce qui concerne l’énormité du crime du génocide arménien, responsabilité partagée et aggravée par la défaite de la Turquie en octobre 1918, les déclarations faites par ceux-ci pendant la période de l’armistice doivent être étudiées avec la plus grande attention et circonspection. Par conséquent, les comptes-rendus respectifs disponibles, ainsi que les références aux mesures anti-arméniennes sont principalement des versions simplifiées d’un conflit arméno-turc, exacerbé par les priorités et les exigences de la guerre mondiale. La Turquie est décrite comme ayant mené une lutte de question de vie ou de mort, et les Arméniens sont définis comme des ennemis internes traîtres et séditieux, essayant de faire pencher la balance de cette lutte sur le plateau d’une lutte contre la mort. Néanmoins, les contours d’une attaque d’extermination sont discernables dans l’application de ces mesures anti-arméniennes, comme il est concédé et justifié par tous ces hommes.

 Traduction Louise Kiffer

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