A u j o u r d ’ h u i - g é o p o l i t i q u e  e t  i d e n t i t é a r m é n i e n n e
Aline Dedeyan (2017)

Une Identité aussi ancienne, datant de la préhistoire, est-elle en voie de disparition, de transformation ou de reconstruction ?

Aujourd’hui il est indispensable de l’insérer dans la politique et la diplomatie internationales en évitant le repli prolongé sur le passé – victimisation, pratiques, croyances traditionnelles à préserver, certes, mais pour ne s’en servir que dans certaines circonstances.

S’impose donc une conscience du real politique en parallèle, voir complémentaire avec les interventions, rapports et résolutions des représentations officielles (étatiques) de l’Arménie aux réunions internationales mobilisant l’attention de la communauté internationale sur les problématiques urgentes arméniennes. (Dans nos démocraties contemporaines tout Arménien peut être un acteur politique potentiel).

D’autant plus que malgré la fécondité des manifestations culturelles académiques et artistiques de haut niveau et de parfaite crédibilité, une guerre larvée et multiforme se poursuit aux frontières azéri-turques (la Turquie de R.T. Erdogan et l’Azerbaïdjan d’I. Aliyev) et que le peuple arménien demeure victime d’abus de ses DROITS fondamentaux – ni légitimés, ni réparés, si ce n’est que par une reconnaissance symbolique du génocide de la part de certains Etats, corpus régionaux, internationaux et autres. Ainsi que le refus de l’indépendance du NKR/Artsakh.

Or, si la géopolitique arménienne a subi de fortes turbulences, l’identité en a fait autant. En traversant, au cours des derniers siècles, des périodes de transition majeures causant la dispersion massive des populations assortie de fractures identitaires profondes.

Suite aux longues périodes de traumatismes collectifs et individuels – guerre, invasion, peur, déportation, pertes et dislocation, conversion sous contraintes, voir la fin du Royaume et de l’Etat-nation – surgissent, au lendemain de la 2e guerre mondiale et, notamment en Occident, de nouvelles sociétés post-génocide formant la fameuse Diaspora arménienne, composées de populations déplacées par la force, fuyant les invasions et la persécution (jadis le label minorités persécutées). Même que certains choisissant d’émigrer en URSS (les habitants de l’Arménie x-soviétique), se construit une population nomade coupée de ses racines, patrie et lieux et façon de vie ancestrales, souffrant des ruptures géopolitiques et identitaires et de ses retombées (domination parentale stricte, exigence d’interdits et d’obéissance et, faute de modèle plus rassurant, des pratiques traditionnelles exagérément normatives) se font ressentir sur les générations suivantes, nourries des récits, mémoires et silences opprimants de leur parents et grands-parents à la recherche d’une refonte identitaire libératrice.

Or, en 1991, avec la fondation de la République démocratique arménienne, d’autres fossés identitaires entre Arméniens de la Diaspora et de l’Arménie et, récemment, du NKR, viennent se greffer sur ceux d’après-guerre.

Alors que même privé de cohésion et du langage commun d’autrefois, tout Arménien où qu’il soit (citoyen à part entière et, si ce n’est que de la RdA, intégré à la politique/culture du pays de résidence) garde un noyau d’arménité distinctive s’interrogeant, nonobstant les non-dits et peurs d’autrefois, sur son fond dans l’impératif de lui trouver un sens.

En effet, au XXI siècle – mondialisation tout azimut, y compris culturelle et identitaire, comment refléter le profil d’un authentique Arménien au passé aussi lourd confronté constamment à un négationnisme d’état reniant son histoire et sa mémoire? Et, par ailleurs, comment la structurer dans un monde aux références/repères de plus en plus Insuffisants et contradictoires ?

Peut-on donc faire perdurer l’identité classique/nationaliste avec ses constructions – mythes, contraintes, tabous – alliant d’une humanité/générosité légendaire au sacrificiel et rationnel renforcée de résistance héroïque en situations extrêmes (soumission ou fuite) ? Autrement dit, une identité quasi biblique, cimentée par l’église et la langue arménienne préservée avec un humour décapant ?

Les années 1990-91. La fin abrupte du régime soviétique/totalitaire suscitant, à son tour, l’exode de milliers d’Arméniens vers les démocraties occidentales. Souvent jeunes, bien formés, parlant les langues et ayant des connections, ils sont prêts à brader l’Arménie ex-soviétique (tombée dans un vide sociopolitico-économique juste après la chute du rideau de fer) contre un Occident/Eldorado au capitalisme sauvage et le tout possible. Appréciant, au terme d’un siècle de restrictions et d’isolement, l’accès aux libertés individuelles et l’économie du marché.

Là encore, si certaines attitudes et mœurs datant des temps soviétiques – à savoir le manque de transparence, la délation, double jeu et non-dit en amont d’une certaine méfiance et violence interpersonnelle, parfois physique, se portant plus d’une fois sur les femmes et les enfants – eurent également des retombées sur les générations post-soviétiques, ces dernières ont vite opté pour le régime plus soupe et tolérant – new age – de l’Occident, fonctionnant par l’apport des nouvelles technologies, la libre circulation de l’information et des principes phares comme la Déclaration universelle des droits de l’homme et ses instruments.

Peut-on donc opter pour les modèles identitaires diasporiques rivalisant de susceptibilité, d’individualisme et de statut privilégiant, entre autres, les apparences, une certaine arrogance (de riche) comme signes de pouvoir ? (L’image de celui qui s’est tire d’affaires mieux que les autres, m’astu vu… ?) En revanche, le citoyen X d’origine arménienne vivant en sécurité et aussi distancié qu’il soit des traditions arméniennes peut-il enfin cesser de se poser la question de qui suis-je aujourd’hui dans le monde moderne?

Dans une Diaspora aussi dispersée (Russie, Europe, Turquie, Proche et Moyen Orient, Asie, USA/Canada, Amérique latine, Caucase) comment faire renaître et développer le génie arménien ? Entendu que certains groupes refusent toute notion d’état-nation, d’autres réclamant en priorité la récupération de leurs racines, lieux de vie ancestrale, etc., d’autres l’oubli du passé avec l’intégration totale à l’Occident etc. et, encore d’autres, qui souhaitent prolonger des modes de vie traditionnels aux motifs orientaux, sans parler des jeunes militants qui ne savent plus vers qui se tourner pour rééquilibrer le destin arménien ?

S’il est indispensable de revaloriser les fondements et les spécificités de notre identité hormis les intériorités (paroles/histoires horrifiantes des grands et arrières grand parents, morts ou vivants) les chiches kebabs partis, les dolma, salmas, manti – fêtes culinaires, religieuses et artistiques – sont-elles suffisantes pour refléter et vivre les réalités d’aujourd’hui dans un esprit arménien ? ?

Faut-il faire une synthèse du passé et du présent en y ajoutant les valeurs/ normes démocratiques les plus avancées, tout en conjuguant savoirs et intelligence modernes à l’humanisme et l’originalité primaires ? En tout cas, l’arménité doit cesser d’être une légende aux yeux du grand public. L’Arménien différent, unique, ami inoubliable, femmes iconiques, peuple victime d’une histoire incompréhensible victime de génocide qui ne serait reconnue que symboliquement sans suite légale, ni pénale. (A part la loi Krikorian/Boyer contestée et réfutée)!

D’une seule voix tous les Arméniens doivent exiger vérité et justice, et, surtout, leur identité réelle. En s’engageant dans une vaste politique d’information et de dénonciation s’adressant à la fois à la société civile (mondiale) et aux gouvernements. En allant du bilatéral ou multilatéral. Car, il n’est plus possible de multiplier nos réunions arméno-arméniennes chapeautées par des grosses têtes rivalisant d’idées et de méthodologies mais n’ayant jamais percé la politique mondiale actuelle sauf par des commémorations et des infos. . En sachant qu’aujourd’hui nos revendications ne peuvent ni être assumées, ni satisfaites par nous-mêmes. (Et encore moins, par la Russie qui nous tient en tenaille !)

Il est donc urgent de faire appel à une juridiction impartiale au plus haut niveau – cours, tribunaux, institutions juridiques mondiales – au besoin d’exiger la création d’un 2ème tribunal spécial sous l’égide de l’ONU, mené par des procureurs, juges et magistrats indépendants chargés de vérifier les faits, statuer sur les responsabilités des parties concernées, porter des jugements et de prononcer des sanctions. Au final, proposer des solutions équitables et durables aux conflits arméno-turco-azéri. En s’appuyant, bien entendu, sur les outils et les principes internationaux des droits des peuples, de l’individu, des victimes de crimes de guerre et de génocide et bien d’autres encore, ainsi que la codification du droit international sur la question du négationnisme. Même si les temps ne sont pas propices, il est pressant de passer à des actions ciblées au niveau juridique mondial.

Or, la société civile arménienne (nous tous) devrait entrer dans la diplomatie internationale. En assistant et en intervenant à toutes les instances formelles et diplomatiques – locales, nationales, intergouvernementales et internationales – en tant que représentants du peuple arménien, membres actifs d’une/des ONG (organisations non-gouvernementales) et autres organisations, à la fois présentes et interactives dans toutes les réunions internationales et intergouvernementales). Non seulement pour condamner le négationnisme mené par des lobbies turcs, mais en formant également des groupes de pression arméniens exigeant la reconnaissance du génocide et celle de NKR – comme république indépendante. Avec des propositions de cohabitation sécurisée tournées vers le développement de la région. Dans un esprit résolument de gagnants et non plus de victimes/perdants !

Adedeyan@yahoo.com (juillet 2017)