Le texte original de Samuel
Chahmouradian a paru en arménien, en 1988, dans la revue "Kragan Tért".)
" Arméniens, nous vous mettons en
garde : ouvrez la porte . Au nom de la loi : ouvrez vite !". Une minute plus
tard, la porte a cédé sous les coups de hache, et on a descendu les époux
Arakélian dans la cour en les battant. Le reste a été accompli en l'espace
d'une minute. On a renversé l'homme à coups de hache et de barres de métal,
on l'a tué, arrosé d'essence et brûlé. La femme couverte de blessures
brûlait aussi, mais dans un effort surhumain, elle ne bougeait pas, pour ne
plus recevoir de nouveaux coups. (...) "Mort aux Arméniens !" hurlait le
meneur dans le haut-parleur, "A mort" répétait la foule de 200-300
personnes. En brandissant le drapeau de la RSS d'Azerbaïdjan, ils se sont
dirigés vers le fond du quartier, et après avoir saccagé plusieurs demeures,
ils ont envahi la cour de l'immeuble 2b. Un peu plus tard, avec une cruauté
et un sadisme inimaginables, incroyables, on a tué là Soghomon et Raissa
Melkoumian,leurs enfants Igor, Yétouart et Irina, et on a brûlé le corps
roué de coups de Micha Hampartsoumian. On n'avait laissé aucun vêtement sur
les corps de Raissa et de sa fille de 24 ans. Irina hurlait tellement fort
qu'on l'entendait à travers le grondement et les sifflements incessants de
la foule.
Le sang coulait en plein jour, dans le quartier étendu et peuplé. Hormis les
assassins, tout cela se déroulait sous les yeux de voisins curieux penchés à
leurs fenêtres ou appuyés sur leurs balcons. Il n'y avait même pas un
milicien dans les parages, et les militaires postés en ces lieux s'étaient
éloignés.(...)
Les trois représentants du groupe inculpé : Ahmet Ahmétov, Ilkam Ismailov et
Havar Zafarov, sont assis dans le box des accusés. Les deux premiers sont
nés en 1964, Zafarov a eu 18 ans au mois d'août. Leurs avocats sont des
Azéris.(...)
Il est impensable d'exprimer en ces lignes la tension et la psychologie
dramatique entourant le procès. Les yeux des parents des victimes et ceux
des inculpés se croisent inévitablement. Ismailov et Zafarov ont un air
terrifié. Ahmétov essaie de rester calme, et même d'afficher une certaine
fierté.(...)
-- "Appelez le témoin Zafarov".
La salle d'audience s'est pétrifiée, tous les regards se sont tournés
ensemble vers l'entrée. Une femme dans la cinquantaine est entrée à pas
lents et sans hâte : c'est la mère de l'inculpé Zafarov.
-- "Ce n'est pas mon fils qui devait être assis ici, mais les personnalités
officielles qui ont permis que tout cela se produise".
Des chuchotements ont couru dans la salle d'audience de la Cour Suprême, et
soudain des applaudissements ont éclatés. Rien de pareil n'avait eu lieu au
cours des trois journées de procès précédentes. Le Président Raymond Brizé a
tapoté le micro avec son stylo, et a averti que la prochaine fois il ferait
évacuer la salle.
Les sentiments de la mère sont compréhensibles. Mais sont mères aussi les
quatre veuves vêtues de noir et assises côte à côte, le dos voûté, sur le
banc des victimes.(...) Et parmi les trois inculpés, Zafaroz est celui qui a
peut-être le plus de sang sur les mains. Mince, ce petit homme au front
étroit, d'après les conclusions de l'inculpation, a frappé Ardach Arakélian
à coups de hache, poignardé Assia, battu Raïssa Melkoumian, participé à
l'assassinat d'Igor, de Yétouart et d'Irina Melkoumian, au cours duquel il a
frappé Etig sur la tête avec une hache avant de le balancer dans un brasier.
Le jeune Arménien, en rassemblant ses forces, a essayé alors de ramper hors
des flammes, mais quelqu'un s'est approché en courant et, à l'aide d'une
barre de fer, a écrasé fermement le corps de la victime contre le sol...
Etig avait servi pendant un an et demi en Afghanistan,et sa veuve Iréna
gémit encore souvent :" Là-bas, il n'a même pas reçu une égratignure, alors
qu'à Soumgait... Ils l'ont identifié au moyen de ses souliers à moitié
brûlés."
Rafig Atilov, témoin azéri, habitant du quartier 41A : " Je ne sais pas
combien de personnes il y avait dans ce groupe. Cinq cents, six cents ? Mais
je ne comprends pas comment ils ont pu perpétrer leurs actes dans une ville
de 300,000 habitants. Maintenant, comment vais-je faire pour expliquer tout
ça à mes enfants ? Où était donc la milice, où était le service d'ordre, où
étaient...?"(...)
"Comment ont-ils pu perpétrer leurs actes dans une ville de 300,000
habitants ?". Et c'est justement ce "comment" qui ne donne aucun répit aux
Arméniens et aux journalistes russes assis dans la salle d'audience, et avec
lesquels je discute après chaque audition. La mère de Zafarov n'est pas la
seule à dénoncer "ceux qui ont permis" les crimes en cause, la mère d'Ahmétov
a fait quasiment la même remarque. Et les parents des victimes répètent la
même chose : "Ce sont ces trois bandits qui ont assassiné les nôtres ? Ce
sont eux qui auraient organisé le génocide ? Où sont donc les autres, les
organisateurs ?"
Au cours du procès actuel devant la Cour Suprême, on juge les crimes
concrets de trois inculpés particuliers, mais n'oublions pas que le
véritable organisateur du massacre ne descend pas dans la rue en plein jour,
une hache ou un couteau à la main. Ceci est une ancienne vérité.
C'est-à-dire, Ahmétov est également un organisateur, mais il constitue
seulement un maillon secondaire. Il n'était ni un "colonel" de l'armée-bande
de Soumgaït, et ni surtout un "général". Les généraux de Soumgait, au moment
crucial, ne sont même pas sorti de leurs bureaux privés.
Le procès transporte de nouveau notre esprit au quartier 41A, en apportant
maints nouveaux détails, et nous oblige encore une fois à assister au
véritable enfer des visions successives de mort. Et de nouveau se répètent
les mêmes noms : Ardach Arakélian, Micha Hampartsoumian, les Melkoumian.
Viendra le moment, et nous ne manquerons pas de raconter l'histoire de
chacune des victimes innocentes de Soumgaït, qui tout en étant les êtres les
plus simples et les plus ordinaires, sont devenus les symboles des massacres
de 1988 et sont entrés dans notre biographie. Nous raconterons encore les
histoires des Emma Krikorian, Youri Avakian, Ardach Papayan, Alexandre
Ghamparian,(...) des époux Nicholas et Séta Taniélian, des père et fils
Armen et Arthur Aramian, nous raconterons peut-être la mort lente et atroce
de Lola Avakian, dont on a traîné le corps dévêtu et ensanglanté dans les
rues, et qu'on a obligée à danser, devenue à moitié folle, dans un tripot du
4e arrondissement.(...) Nous raconterons l'histoire de tous, nous n'en
oublierons aucun. Tous ces martyres sont indissociables, et pourtant, le
procès se borne à répéter 7 noms seulement...: Arakélian, Hampartsoumian,
les Melkoumian.
Jasmin apparut en premier sur la veranda, ensuite Gariné, avec les deux
enfants, Ira tenta de se cacher avec sa Lilia, ensuite elle supplia encore
une fois, mais fut brutalement projetée hors du perron. Jasmin et Gariné
avaient déjà disparu, la foule se déchaînait dans la cour. La seule issue
était de remonter. En serrant son enfant bleui de sanglots contre sa
poitrine, Ira frappa les portes du second étage, la réponse fut la même
partout :"yokh, yokh". Au cinquième, un homme dans la cinquantaine ouvrit la
porte, et en la prenant par la main, l'entraîna silencieusement à
l'intérieur. Gariné et Jasmin se trouvaient déjà dans cette maison. L'homme
les enferma dans la salle de bains, et leur ordonna de ne faire aucun bruit.
Cet homme était Niazali, et dans les quelques bribes de conversation
échangées, il se présenta comme un Lézki. La peur de perdre ses propres
enfants et le désir de sauver les Arméniens à quelques pas de la mort
s'affrontaient dans son esprit. La pitié, le bien, l'humain triomphèrent, et
il les garda jusqu'à la nuit, sans ouvrir la salle de bains et priant sans
cesse les femmes de ne pas pleurer et de ne pas cogner à la porte. Mais
comment auraient-elles pu ne pas pleurer, comment auraient-elles pu ne pas
frapper la porte, lorsque venant de la cour, et par-dessus le hurlement de
la foule et les exhortations des hauts-parleurs, on entendait les cris
d'Irina : "Maman... Maman... Sauve-moi".
Mikhail Iliassof,jeune homme d'origine russe, habitant l'immeuble 4v du
quartier 41A, témoin oculaire des opérations de la bande d'Ahmétov : " Le 28
du mois, au matin, de grosses pierres étaient jetées sur la route menant à
l'extérieur de la ville, apparemment dans le but d'arrêter plus aisément les
voitures. Lorsque les événements de mon quartier commencèrent, mon premier
sentiment en fut un de désarroi. Pour le moment, ils s'attaquaient seulement
aux Arméniens, mais qui pouvait garantir, que cinq minutes plus tard, la
même chose n'allait pas arriver aux Russes...? Une automobile noire de
marque Volga KAZ-24 apparut au bout du quartier. J'eus l'impression que les
massacreurs attendaient cette voiture. Quelques personnes, incluant des
non-adolescents, s'approchèrent de la voiture et se mirent à parler avec le
passager assis à côté du chauffeur. Ensuite, ils revinrent au quartier, et
il me sembla que le massacre se déroula soudain de manière plus active et
organisée. En effet, ils entraient sans se tromper et d'un seul coup dans
telle véranda, montaient directement à tel autre étage, et se présentaient
immanquablement aux domiciles des Arméniens. Moi je crois qu'ils
connaissaient d'avance l'adresse exacte des demeures des Arméniens.
[ Le procureur Vladimir Gozlovski demande à Iliassov si celui-ci n'a pas
entendu les hauts parleurs qui exigeaient des habitants du quartier de
dénoncer les maisons des Arméniens.]
"J'ai entendu, mais je crois que cela se faisait intentionnellement, dans le
but d'exercer une pression psychologique seulement. Ils savaient déjà, même
sans cela, où se trouvaient les Arméniens."
[Il est important de rappeler ici l'observation corroborative du témoin
Vlatislav Hairabédian, émise lors de l'interrogatoire au préalable. Lorsque
les résidant du quartier ne répondirent pas aux appels de l'homme au
haut-parleur qui leur ordonnait d'indiquer les maisons des Arméniens,
celui-ci sortit un calepin de sa poche, et après l'avoir consulté, désigna
lui-même à la foule les demeures qui devaient être attaquées.]
Iliassov déclare, qu'au moment des événements du quartier 41A, les tanks
militaires allaient et venaient sur l'avenue centrale, alors qu'un peu plus
loin dans un quartier la bande poursuivait librement ses atrocités. Le
témoin raconte également comment la foule lançait des pierres sur les chars
d'assaut.
"Et que faisaient alors les pauvres blindés ?", demande Paulina
Chamochnikova (procureur des parents des victimes).
"Les pauvres blindés, répond Iliassov, reculaient précipitamment."
La salle de la Cour Suprême présente maintenant un tableau inhabituel. Les
sièges des parents des victimes sont vides, de même que ceux de leurs
procureurs, et sur le banc des accusés, des trois inculpés il ne reste qu'un
seul : Ahmétov. En déviant de son cours précédent, tendu, difficile et
semlait-il prometteur, le procès s'est soudain épuisé, s'est banalisé, et
s'approche maintenant sûrement et sans obstacles de son terme prévisible.
Pour notre part, nous attendions un autre terme, ou plus correctement, un
autre commencement, lorsque fut présenté la requête visant à soumettre
l'affaire à une enquête judiciaire exhaustive. L'événement causant la
stupéfaction est survenu le 14 novembre, lorsque le tribunal, en accueillant
partiellement la requête qui lui était présentée, a renvoyé les cas d'Ismailov
et de Zafarov pour enquête et audition exhaustives, mais a rejeté ladite
requête dans ses principales revendications. En signe de protestation, les
parents des victimes ont renoncé à participer au procès et, après avoir
souligné leur appréciation quant aux efforts et au travail consciencieux des
leurs procureurs, ont renoncé également à ceux-ci et ont quitté la salle.
Dans l'instant qui suivit, tous les Arméniens leur emboîtèrent le pas. Sans
se laisser perturber par ces événements, le président de la Cour annonça
aussitôt que l'enquête judiciaire était terminée, ... mais personne neet
que les plaidoiries débuteraient le lendemain, te, ceux qui n'avaient pas
del'écoutait. En bas, dans la forte neige et la temps laissez-passer
attendaient les nouvelles. Nous étions une cinquantaine. Nous avons commencé
à déclamer : "nous de-man-dons jus-ti-ce".
Des miliciens trapus ont averti au moyen de haut-parleurs :"Citoyens,
calmez-vous. En cas de désordre la loi sera mise en application dans sa
pleine rigueur."
La loi sera mise en application dans sa pleine rigueur... Un peuple entier
grièvement blessé à Soumgait n'attend que cela depuis des mois. Ce peuple
veut encore croire, que les responsables des barbarismes moyenâgeux commis
en 1988 seront poursuivis jusqu'au bout, et qu'ils recevront leur juste
traitement politique de principe, c'est-à-dire, cette rétribution pleine et
sévère que devra leur infliger une société saine et civilisée, cet Etat même
dont les premiers pas vers la légitimité ont malheureusement coïncidé avec
les horreurs de Soumgaït.
Nous nous devons d'aspirer à une condamnation complète des violences
commises. Mais il est encore plus important de condamner Soumgaït en tant
que notion. Là est le problème. Et c'est ce qui a motivé la présentation de
la requête visant à soumettre l'affaire à une enquête judiciaire complète,
et qui a été reçue à coups de baïonnettes et, sur le fond, rejetée par le
tribunal.
Gozlovski, dans sa plaidoirie d'accusation, avait noté que l'inculpé [Ahmétov]
n'a aucunement conscience de la gravité des crimes qu'il a commis, et que
pendant le procès il n'a exprimé même pas un mot de remord ou de regret.
Cette observation de Vladimir Gozlovski me rappelle l'audience
particulièrement pénible du 11 novembre, lorsque les Arakélian, les
Hampartsoumian et les Melkoumian, épuisés de souffrance et amoindris, ont
été obligés d'entendre les conclusions de l'examen médico-judicaire des 7
membres de leur famille victimes des crimes en cause, et dont la lecture
condensée même a duré environ 30 minutes. On aurait dit qu'ils se
retouvaient en présence de leurs proches, et qu'il voyaient comment de tous
les côtés on leur assénait des coups de hache, on les couvrait de coups de
couteaux, on les dépeçait, on les lait vifs... L'audience était à peine
levée, lorsqueviolait, piétinait, br Jasmin Hampartsoumian, en proférant
des malédictions, a essayé de s'approcher du box des accusés." Que vous
avaient-ils donc fait, pourquoi les avez-vous tués, vils assassins ?". Je
n'ai pas vu Tchafarov à ce moment-là,, mais Ismailov a détourné la tête avec
un ricanement satisfait, et Ahmétov a soudainement explosé : "nous avons
très bien fait...!".
Les crimes commis sur une période de trois heures étaient l'oeuvre d'une
foule composée de 200-300 ou, selon d'autres données, 400 personnes. Et le
verdict de la Cour Suprême ne visait qu'un seul individu dans cette foule,
certes le meneur, le harangueur, mais néanmoins : un seul. Le procureur
Gozlovski a tout d'abord inculpé Ahmetov d'avoir organisé des désordres de
masse et d'y avoir personnellement pris part avec d'autres personnes. Le
jeune homme de taille moyenne, vêtu d'un uniforme de couleur sombre et le
haut-parleur à la main, se manifeste constamment dans presque tous les
témoignages relatifs aux effroyables circonstances des tragédies survenues
dans le quartier 41A. Il est continuellement en mouvement. Il veut sans
cesse et rapidement se retrouver au centre de toutes les opérations
successives. Il s'adresse aux résidants, et raconte tout ce que les
Arméniens auraient fait subir au Azéris vivant au Karapagh. Il exige qu'on
dénonce les Arméniens, qu'on ne les abrite pas. Il se tourne ensuite vers la
foule, lui donne des instructions, des ordres, exigeant des actes plus
décisifs, plus décisifs encore. Ils écoutaient Ahmétov, a témoigné Ilkam
Aliev, un camarade d'enfance d'Ahmétov,lui-même condamné pour les crimes
commis au quartier 41A.
Le haut-parleur passe parfois pour une brève période de temps entre les
mains d'autres personnes, mais il retourne invariablement à Ahmétov.
Personne n'est capable d'enflammer comme lui, personne ne peut inciter la
foule à la rage, personne ne peut envoûter come il le fait les habitants du
quartier appuyés à leurs balcons,et qui regardent comme du cinéma gratuit
l'horrible spectacle qui se déroule sous leurs yeux. Sa voix est parfois
cruelle et hystérique : "Mort aux Arméniens !", "Musulmans, mettez-les à
leur juste place!", parfois elle devient réservée et théâtrale : "Mes
soeurs, ne regardez pas, la femme azérie ne doit pas assister à des choses
semblables", parfois encore elle fait écho avec un ton autoritaire et
impératif : "Massacrez seulement, brûlez, celui qui pille ou vole aura
affaire à moi !", puis elle explose de nouveau avec rage :"Mort aux
Arméniens!.
La sentence a été établie le 18 novembre. "Au nom de l'Union des Républiques
Socialistes Soviétiques... Après avoir entendu les inculpés, les parents des
victimes et les témoins, évalué les preuves écrites produites au soutien du
dossier, et entendu les discours du procureur général et du procureur me de
l'URSS,de la défense, et le dernier mot de l'inculpé, la Cour Supr division
des causes criminelles, déclare ce qui suit : le 29 février 1988, dans la
ville de Soumgaït de la RSS d'Azerbaïdjan, l'inculpé Ahmétov a organisé des
désordres de masses dans le quartier 41A, et il y a pris directement part,
lesquels désordres ont été accompagnés de massacres, de démolitions,
d'assassinats et d'autres crimes, et provoqué par des incitations de
"hooligans", il a tenté d'assassiner Papayan, a organisé le meurtre de 7
personnes et, par des incitations de "hooligan" et avec une cruauté
particulière, il y a participé. Les actes criminels spécifiques perpétrés
par l'inculpé Ahmétov se sont manifestés lors des actions suivantes..."
La déclaration de la sentence a duré environ 40 minutes. La salle d'audience
était comble, émue. Le visage d'Ahmétov avait pâli, avait pris un teint de
cadavre. Les yeux à demi fermés, il écoutait attentivement le verdict.
--" J'ai pitié", soupire doucement une femme arménienne assise à côté de
moi.
Lorsque le président a déclaré, que la Cour Suprême de l'URSS reconnaît
Ahmétov coupable des crimes dont il est inculpé, et qu'elle le condamne à la
peine de mort, il y a eu quelques applaudissements dans la salle, mais la
plupart des présents étaient oppressés, voire désemparés. Choqué par les
applaudissements, Ahmétov s'est tourné vivement vers la salle. Ses yeux
étaient injectés de sang, les dents serrées, son visage était déformé par
une rage cruelle et impuissante. J'ai pensé qu'il devait avoir la même
expression sur le visage au moment des massacres...
Ainsi s'est terminé le procès moscovite qui aura duré exactement un mois, et
Ahmétov a reçu son juste châtiment pour les crimes commis à Soumgaït. Mais
qui était Ahmétov ? Un animal sanginaire, sournois, mais docile et obéissant
entre les mains habiles du dresseur, un instrument au service des
machinations organisées par des forces occultes, un pantin parmi tant
d'autres dont ceux qui tirent véritablement les ficelles demeurent
actuellement invisibles et impunis. Et je suis convaincu que le public qui a
suivi pendant un mois ce procès avec attention s'attendait à ce que
l'instance suprême du pays ne se contente pas de condamner seulement Ahmétov
ou ses semblables, mais qu'elle juge avant tout Soumgaït, et qu'elle évalue
honnêtement la noire réalité politique en cause. Une telle évaluation n'a
malheureusement pas eu lieu.
... A présent, lorsque tard dans la nuit je rédige ces dernières lignes dans
ma chambre de l'hôtel moscovite, et que le téléphone me communique
continuellement les nouvelles des récentes violences survenues à Bakou, à
Kirovabad et au Nakhitchévan, et des rassemblements antisoviétiques,
antirusses et anti-arméniens, je demeure convaincu : Soumgaït doit être
condamné, par les autorités suprêmes du pays et avec une entière sévérité,
autrement, les mêmes événements pourront se répéter de manière encore plus
monstrueuse, et dans une mesure encore plus horrifiante. "
Les extraits ci-dessus, traduits de
l'arménien par Me Haytoug Chamlian, ont paru en février 1989 dans le journal
«La Cause Arménienne » publié au Canada.
L'ensemble du reportage de Samuel Chahmouradian a été publié par la suite
dans un livre, en français, à Paris, Re : «La tragédie de Soumgaït : un
pogrom d'Arméniens en Union soviétique / témoignages recueillis par Samuel Chahmouradian», présentation de Bernard Kouchner ; préface d'Elena Bonner,
Paris : Éditions du Seuil , 1991.
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