Vivre et évoluer sans reconnaissance internationale de Mathieu PETITHOMME (*)

INTRODUCTION

Les Arméniens du  Haut Karabagh, depuis le cessez le feu de 1994,  continuent à vivre et à évoluer, dans un état « de facto » autonome, et sans reconnaissance internationale.

On utilise la notion de « conflit gelé » ou de « statu quo », qui révèle l’impasse diplomatique.

La notion de « conflit gelé » se retrouve dans le cadre de la République turque de Chypre du Nord. Plus récemment, on le retrouve, en Géorgie, tant en Ossétie du Nord qu’en Abkhazie, mais qui s’est terminée par une guerre éclair.

L’absence de reconnaissance internationale engendre une opportunité favorable au  conflit. 

DEBUT DU CONFLIT

 Le 20 février 1988, le Soviet Suprême du Haut Karabagh, adopte une résolution demandant le rattachement  de l’enclave,  sous la souveraineté de la RSS d’Arménie.

Il s’ensuit  des pogroms, dont celle de Soumgaït, février  1988, puis de Bakou, janvier 1990. A la même époque, le Comité Karabagh émerge et, se prononce en faveur de la démocratie et de l’indépendance. Il est crée en Arménie par un groupe d’intellectuels, parmi lesquels : Levon Der Pétrossian.

Le 13 juin 1988, le Soviet Suprême de la RSS d’Azerbaïdjan, rejette la résolution.

Le 15 juin, le Soviet Suprême d’Arménie, prend une "contre résolution » approuvant l‘incorporation  du Haut Karabagh. 

Le 18 juillet, le Soviet Suprême de l’URSS, soucieux de ne pas  créer de précédent, confirme l’attachement de l’enclave à la RSS d’Azerbaïdjan.

 Lorsque l’Azerbaïdjan devient indépendant le 30 août 1991, et l’Arménie le 21 septembre, les Karabghtsis, arguant que l’Azerbaïdjan est indépendant, veulent créer un état.

Ils organisent le 10 décembre 1991 un référendum, sur l’indépendance qui obtient 99% de oui,  puis déclarent leur autonomie, le 6 janvier 1992, dans la continuité de la perestroïka.

 Il s’ensuit un conflit armé (1991-1994), qui redéfinis les frontières territoriales, et qui excluent toute autorité azerbaïdjanaise de l’enclave, alors même qu’au début  1992, les azéris contrôlaient la moitié du Karabagh.

 Le Comité d’Etat à la Défense est dirigé par Robert Kotcharian, qui coordonne les Milices d’autodéfense. Au printemps 1992, après la prise de Chouchi le, 8 mai,  puis de Latchine et de son corridor le, 18 mai, annoncent la proche victoire

      15 %  du territoire azerbaïdjanais (10.000 km2) son passés sous le contrôle  du Karabagh.
      Ce sont les territoires-tampons. 

Le cessez le feu signé le 12 mai 1994, le pouvoir du Gvt. Autonome du H K est effectif.
La guerre ayant été principalement  menée par des troupes irrégulières, soutenues par l’Arménie, et par la diaspora,  il a fallut constituer une armée régulière, qui comprenait 18.500 combattants, qui ont  fournis les premières institutions.

 Etatisation

La guerre détermine l’apparition, ou la disparition des Etats.
Les revendications antérieures du Karabagh, n’avaient pas pour objet l’étatisation, mais le rattachement à l’Arménie.
Puis  cela a évolué vers une définition négative : tout sauf l’Azerbaïdjan.
La libération vis-à-vis de la tutelle azérie est devenue une question de survie.

    Cela entraîna un conflit armé.

Pour le Karabagh, la solution prend le visage de l’Etat, instrument de préservation identitaire.  
Il a été à l’origine de la première institution de l’Etat du Haut Karabagh: par l’Armée.
Car la fonction première de l’Etat est la Défense, face à un danger permanent.
Et de  1991 à 1994, l’ensemble des efforts de guerre, se concentrent sur un objectif : la construction de l’Etat.
Mais l’absence de compétence internationale de l’Etat contesté, pose problème.
Investi d’une compétence interne, il exerce son pouvoir sur son propre espace, mais il est incapable d’exister sur la scène internationale.

Matérialisation de l’Etat

Les éléments symboliques sont : le passeport, mais la RHK (république autoproclamée) ne peut délivrer aucun document officiel. A ceux qui sortent à l’étranger, via l’Arménie, il faut un passeport arménien, sur lequel est annoté la mention « Stépanakert ».

                                                     le  drapeau, adopté le 2 juin 1992,
il reprend les trois couleurs du drapeau arménien, ce qui manifeste la dépendance avec  l’Arménie, mais il en est séparé par une bandelette hachurée.
      Il manifeste la souveraineté de la RHK, mais aussi l’existence de deux Arménie.
      La disparition de la bandelette signifierait son intégration  à la Mère Patrie.

                                                    la  monnaie,

même si le groupe de Minsk a accepté, en1998,  l’idée d’une monnaie autonome, elle n’a pu être créée à cause des moyens techniques. Le « dram » arménien est utilisé au Karabagh.
Cela fait dépendre l’économie du HK à la banque centrale arménienne.
De plus, il est intéressant de noter que le dollar, utilisée quotidiennement en Arménie, n’est pas accepté au HK.

                                                      l’hymne national,

il crée une émotion d’autant plus vive, que c’est un phénomène nouveau.
Tous ces éléments matérialisent son ambivalence, et sa dépendance à l’égard de l’Arménie.

 Normalisation

 Puis de 1994 à 1999 s’est mis en place, un régime présidentiel, par une élection au suffrage universel. Le pouvoir s’organise autour d’un Parlement.  

Héros de guerre, Robert Kotcharian accède le 28 décembre 1994, à la Présidence et forme le premier gouvernement indépendant de la RHK. Nommé Premier Ministre en Arménie, lui succède Arkady Ghoukassian en, 1997, pour deux mandats successifs.

Il est remplacé par Bako Sahakian en, 2007.

Les pouvoirs civils prennent l’ascendant sur les militaires, c’est ce qui a occasionné la tentative d’assassinat du Président Ghougassian, par le Commandant en chef des forces armées, Samuel Babayan.
Depuis le Ministre de la Défense (actuel Ministre en Arménie), Seyran  Ohanian, a maintenu l’armée en dehors de la politique.
Depuis 1991, cinq élections parlementaires ont été organisées tous les cinq ans.
     L’Assemblée Nationale est composés de 33 élus.
Il faut noter que sur une population de 150.000 personnes, le corps administratif est composé de 500 personnes.
Le Ministère de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères, restent de la compétence du Président.
Les autorités acceptent mal les oppositions, et la presse relativement indépendante est encadrée.

 Nationalisation de la population.

 Il faut inventer une citoyenneté Karabaghienne
Peut devenir citoyen de la RHK, toute personne résidant sur le territoire depuis cinq années, ou tout individu marié(e) à un citoyen(ne) du Karabagh, ou toute personne qui a eu la citoyenneté arménienne et qui peut prouver avoir résidé au moins cinq ans sur le territoire du Karabagh.
    La langue d’Etat est l’arménien. 
    La notion d’« Arménien du Karabagh » accentue l’absence d’une nation « propre ».

 Dépendance économique.
 
La RKH est loin d’être autosuffisante.
   70 % du budget annuel est couvert par Erevan.
   Par solidarité nationale, plus de 250 millions de Dollars ont été transférés en quinze ans.
   En 2005, sur les 25 millions de dollars du budget du Karabagh, 17 millions provenaient d’Erevan, soit 5 % du budget de l’Arménie.    Elle reste donc un partenaire indispensable de la survie.
    La diaspora a investie dans 15 % du budget annuel du HK.
    Notamment dans l’industrie du tapis, du traitement du bois, de la taille de diamants. En  2002,  la société minière (cuivre et or)  de Derembon (Mardakert) qui emploie 1000 personnes. C’est devenu un village, où vivent  de 4000 personnes, logées dans des habitations construites spécialement, avec une Mairie, une  école, un dispensaire, des commerces.

De plus la diaspora a financée la construction de la route du corridor de Latchine, « le cordon ombilical, qui relie l’Arménie au HK. Elle a investit dans des programmes de développement dans les domaines de l’éducation, de la santé et quelques programmes agricoles.

Mais pour la viabilité du HK,  il faudrait passer de l’Aide humanitaire à une logique d’investissement.
 Le Gouvernement du HK, a organisé le prélèvement de l’impôt, sur ce qui est possible : le secteur agricole, qui représente, en 2005, 15 % du budget de l’entité.
L’industrie est en état embryonnaire (bois et textile).
Le service public est limité.
L’eau est distribuée deux  heures par jour et,  l’électricité est sujette à de nombreuses coupures. 
Les salaires en 2003 sont bas : 20 à 50 dollars par mois. Mais ils ont augmentés considérablement, en passant entre  200 à 250 en 2008.

Un chirurgien ne percevait à l’époque que 70 dollars. Il en perçoit aujourd’hui 400. 
Ce n’est pas énorme, surtout que la vie au Karabagh est plus chère qu’en Arménie.

Le gouvernement amène une aide sérieuse à toute personne voulant s’installer au HK., et surtout en favorisant le repeuplement de Latchine, et des « territoires tampons ».

 La Législation .
Elle est importée, et adoptée par commodité.
Ce qui permet de pallier l’inexpérience parlementaire du Karabagh.
    Cette dynamique est soutenue aussi bien par le Karabagh que par l’Arménie, en pensant institutionnaliser le HK, mais aussi,  pour préserver la possibilité d’une annexion.
     Mais la spécificité du HK,  est le maintien de la loi martiale, en raison des conditions militaires.

 Coopérations et Divergences.

 Le soutien à l’étatisation de la RHK, est à l’origine de dissensions entre les acteurs.
     C’est pour cela, que l’étatisation est un instrument de préservation de l’autonomie du Karabagh, face à un possible renoncement d’Erevan.
      Si certains y voient un enjeu de la cause arménienne, d’autres considèrent le HK, comme un frein au développement économique de l’Arménie.
     Pire, en 1990,  une minorité, privilégie le renforcement des droits des Arméniens d’Azerbaïdjan.
     Alors qu’en 1988, la population arménienne avait revendiqué le rattachement du HK à l’Arménie.
     La diaspora arménienne, encouragée par la victoire du Karabagh, face aux turcs,  est plus radicale, dans la défense du territoire, que le gouvernement arménien lui-même.
     Les anciens combattants (Yergra Bah) sont ouvertement opposés à un compromis avec l’Azerbaïdjan, et n’excluent pas une solution militaire.
     Cependant, des variantes existent, ceux qui veulent garder une large autonomie par rapport à Erevan, et ceux, qui souhaite une annexion   par l’Arménie.

Les élites du Karabagh, méfiants, cherchent à conserver en,1997 une marge de manœuvre, vis-à-vis des positions plus conciliatrices, des autorités arméniennes, surtout après la réélection contestée, en 1996, de Lévon Der Petrossian à la Présidence de l’Arménie.
    Il  était accusé de sacrifier les intérêts nationaux, par une approche « pas à pas » (c.à.d. un plan de paix progressif)  avec les Azéris (préconisée par le groupe de Minsk, depuis 1994) pour lever le blocus,. Il pensait  que le statut du Karabagh, serait résolu ultérieurement, alors que le groupe « pro Karabagh » ne voulait pas céder et demandait, une approche globale.

       Afin de garder sa popularité perdue, il nomma, en 1997,  Robert Kotcharian, Premier Ministre, en pensant que c’était le meilleur moyen de résoudre le conflit du Karabagh.
      Levon  Der Petrossian  a dû  finalement démissionner le, 2 février 1998.
Ce qui conduit à l’élection de Kotcharian à la Présidence de l’Arménie, à la grande joie des « karabaghtsis », car avec lui, ils pensaient pouvoir influencer la position de l’Arménie en leur faveur.  Il sera même soupçonné de sacrifier les intérêts de l’Arménie pour la sauvegarde du Karabagh.  Cela renforce le sentiment anti-karabaghien en Arménie.

 Notons que pour maintes raisons, l’Arménie n’a pas reconnue officiellement la République Auto Proclamée du Haut Karabagh. Alors, que l’Azerbaïdjan, a été la première République musulmane de l’ex-Union Soviétique reconnue par Ankara.

 Conclusion

L’étatisation du HK, même si elle reste limitée,  ne produit pas seulement un ordre juridico-institutionnel nouveau, mais dote surtout la RHK d’une personnalité morale autonome et,  d’une souveraineté interne, qui permettra d’user de leur influence sur l’avenir du HK.
 
Ne pouvant pas participer aux pourparlers à cause du refus de Bakou, en raison du déni de souveraineté, de «  jure », la RHK cherche à affirmer une souveraineté interne, pour prendre part et négocier activement les conditions possibles de sortie, car pour eux, leur indépendance est un fait, et elle ne peut être remise en question.  

Garbis Nigoghossian
INALCO
20 mars 2012

(*) Cour de Martine HOVANESSIAN à l’INALCO